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Billet de blog 2 juillet 2025

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Impôt sur la fortune immobilière (IFI) : l’heure d’une réforme de fond ?

En 2018, l’ISF devient IFI pour libérer l’investissement et freiner l’exil fiscal. Sept ans plus tard, ni retour massif des exilés ni réorientation nette de l’épargne n’ont eu lieu. L’IFI, dans sa forme actuelle, semble avoir manqué sa cible. Une réforme en profondeur apparaît désormais nécessaire.

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Qu’est-ce que l’IFI ?

Instauré en 2018 en remplacement de l’ISF, l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) ne concerne que les contribuables dont le patrimoine immobilier net excède 1,3 million d’euros. Son assiette se limite aux biens et droits immobiliers, détenus directement ou via des structures, évalués au 1er janvier de chaque année. À la différence de l’ISF, l’IFI exclut totalement le patrimoine financier – sans condition – ce qui en fait un impôt allégé pour les contribuables les plus fortunés. Certains actifs restent exonérés, comme le patrimoine professionnel ou les biens affectés à l’activité du redevable. Les dettes immobilières, elles, demeurent déductibles, mais les dettes purement financières ne le sont plus, à la différence du régime antérieur. Pour en savoir plus : consultez ce guide et simulateur IFI.

Un impact budgétaire significatif

Le gain pour les assujettis est indéniable, mais pour les caisses de l’État, le manque à gagner est considérable. En 2018, première année de perception de l’IFI, les recettes s’élevaient à 1,29 milliard d’euros – à peine 29 % de ce qu’aurait rapporté l’ISF. En 2022, l’IFI atteint 1,83 milliard d’euros, en hausse de 42 % en quatre ans, mais cette progression s’explique essentiellement par l’augmentation du nombre d’assujettis. En 2024, l’impôt sur la fortune immobilière atteint 2,2 milliards d’euros, en hausse de 11 % par rapport à 2023. Selon le dernier rapport final du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, remis en octobre 2023, les recettes de l’ISF auraient avoisiné 6,3 milliards d’euros si le dispositif avait été maintenu. Soit 4,5 milliards d’euros de recettes perdues en 2022, une somme qui pèse lourd notamment dans le contexte budgétaire actuel.

Alors que le gouvernement appelle à la responsabilité collective, envisage de réduire les dépenses publiques via des coupes budgétaires, la suppression de l’ISF continue de faire figure de cadeau fiscal aux plus aisés sans contrepartie.

Des objectifs non atteints

L’un des objectifs phares de la réforme de 2018 – réorienter l’épargne des ménages fortunés vers l’économie productive en défavorisant l’investissement immobilier – n’a pas produit les effets escomptés. Malgré une fiscalité désormais moins avantageuse sur les revenus fonciers (soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux), et l’instauration d’un impôt concentré uniquement sur l’immobilier (IFI), aucune réallocation nette du patrimoine vers des actifs financiers n’a été observée. Les données issues du dernier rapport final de France Stratégie sur le sujet (octobre 2023) montrent qu’après une baisse ponctuelle de la valeur des patrimoines immobiliers en 2018 – année de transition vers l’IFI – les gros propriétaires (détenant plus de 3 millions d’euros d’actifs en 2014) ont vu la valeur moyenne et médiane de leur patrimoine immobilier remonter progressivement jusqu’à quasiment retrouver, voire dépasser, leur niveau d’avant réforme en 2021. En définitive, les contribuables les plus fortunés n’ont pas massivement arbitré leurs portefeuilles au profit de l’économie réelle, malgré les incitations fiscales.

Pistes pour une réforme de l’IFI plus juste et efficace

Face au manque à gagner budgétaire et à l’inefficacité des objectifs initiaux de l’IFI, plusieurs réformes peuvent être envisagées pour rendre cet impôt à la fois plus équitable et plus performant.

Réintégrer le patrimoine professionnel

Aujourd’hui totalement exonéré, le patrimoine des chefs d’entreprise constitue une part significative de la richesse des contribuables les plus aisés, créant une inégalité flagrante dans l’effort fiscal. L’argument selon lequel taxer ces actifs mettrait en péril les entreprises en forçant leurs dirigeants à vendre des parts ne résiste pas à la réalité des faits. Comme sous l’ISF, l’IFI intègre un mécanisme de plafonnement : le montant cumulé des impôts ne peut excéder un pourcentage des revenus du contribuable. Ce mécanisme, pensé justement pour éviter des situations dans lesquels le contribuable est contraint de céder des actifs, pourrait être réadapté à l’aune de cette réforme, garantissant ainsi la solvabilité des redevables.

Réviser l’exonération du patrimoine financier

Au lieu d’une suppression brutale de la taxation des actifs financiers, il serait possible de repenser cette exonération autour d’un principe d’utilité économique. L’État pourrait instaurer une logique incitative : seuls les investissements orientés vers l’économie réelle – c’est-à-dire répondant aux besoins stratégiques du pays – bénéficieraient d’un avantage fiscal. En somme, une exonération partielle ou totale serait conditionnée à la mobilisation effective de ces capitaux dans des secteurs identifiés comme prioritaires, à l’image de la transition écologique, du logement social ou de la réindustrialisation.

Créer des « super livrets » défiscalisés

Enfin, l’État pourrait aller plus loin en créant des « super livrets » partiellement défiscalisés, fléchés vers l’investissement de long terme, au service de projets collectifs ou environnementaux. Ce type de dispositif offrirait aux contribuables fortunés une alternative responsable à la simple thésaurisation, tout en renforçant la capacité d’investissement public, sans creuser davantage la dette.

Vers un nouveau contrat social

Ces leviers ne sont pas seulement fiscaux : ils participeraient d’un nouveau contrat entre les contribuables les plus aisés et la collectivité. Le moment est venu de remettre à plat un impôt qui, sous couvert d’efficacité économique, a creusé les inégalités sans remplir ses promesses. La réforme de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) serait une mesure de justice sociale, équilibrée et efficace. Elle permettrait d’augmenter les recettes publiques sans provoquer de départs massifs à l’étranger grâce aux incitations fiscales évoquées plus haut.

Il ne s’agit pas de punir la réussite financière ou l’entrepreneuriat, mais d’instaurer une mesure de solidarité nationale dans un contexte inégalitaire.
On ne naît pas tous avec les mêmes chances. En France, la reproduction sociale reste particulièrement forte. Selon le rapport Regards sur l’éducation 2024 de l’OCDE, en 2021, 80% des personnes âgées de 25 à 64 ans ayant au moins un parent diplômé du supérieur ont, elles aussi, obtenu un diplôme universitaire (contre 72 % en moyenne dans l’OCDE). À l’inverse, à peine 25% des personnes du même âge issus de parents n’ayant pas dépassé le secondaire inférieur accèdent à l’enseignement supérieur, contre 19 % en moyenne dans les pays de l’OCDE.
De plus, l’accès aux services publics, à l’éducation, aux infrastructures ou au marché intérieur a largement contribué à l’enrichissement des plus fortunés. Il est donc légitime qu’ils participent davantage à l’effort collectif, surtout dans un contexte de fortes tensions budgétaires.
Par ailleurs, depuis 2017, les plus aisés ont largement bénéficié de baisses d’impôts :

• L’impôt sur les sociétés est passé de 33,3 % à 25 %, avec même un taux réduit de 15 % sur les premiers 42 500 € de bénéfices.
• Les revenus du capital (dividendes, intérêts) sont désormais soumis à une flat tax de 30 %, échappant à la progressivité de l’impôt sur le revenu.
Dans ce contexte, demander un effort supplémentaire aux ménages modestes sans solliciter ceux qui ont le plus profité des dernières réformes fiscales serait indécent.

Une perspective européenne

Enfin, un impôt sur la fortune plus ambitieux – à l’échelle européenne – permettrait de réduire la concurrence fiscale entre États, au moins au niveau de l’UE, et de limiter les stratégies de départs opportunistes.

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