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Billet de blog 5 septembre 2025

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Retraite par capitalisation et retraite par répartition : deux modèles antagonistes ?

Plusieurs réformes des retraites se succèdent tout en suscitant la désapprobation majoritaire de la population. Chacune d'entre elles tendent à rallonger la durée de travail avant de pouvoir profiter de sa retraite. Certains proposent, parmi les libéraux, de se diriger vers une retraite par capitalisation. Peut-on transformer cette idée pour qu'elle soit compatible avec la justice sociale ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu’est-ce que le régime de retraite par répartition ?

La retraite par répartition est un système dans lequel les pensions des retraités sont financées par les cotisations des salariés en activité. Autrement dit, les travailleurs actuels contribuent à la retraite des générations précédentes, et en contrepartie, ils acquièrent des droits qui leur permettront, plus tard, de bénéficier d’une pension financée par les générations suivantes. Ce système repose donc sur un principe fondamental : la solidarité entre les générations.

Dans le débat public, la retraite par répartition s’oppose souvent à la retraite par capitalisation, où chacun épargne pour sa propre retraite plutôt que de compter sur la contribution des actifs.

Un système né de l’histoire

L’idée de la retraite par répartition en France trouve ses origines pendant la période de l’Occupation allemande. Le gouvernement de Vichy, confronté à des difficultés économiques, puise dans les caisses de retraite existantes pour financer les pensions des assurés du commerce et de l’industrie. C’est ainsi qu’apparaît l’allocation aux vieux travailleurs salariés, ancêtre du minimum vieillesse, et une première forme de pension par répartition.

Après la Libération, en 1946, le système est officiellement mis en place par la Sécurité sociale, grâce au travail de Pierre Laroque, Alexandre Parodi et Ambroise Croizat. La loi du 22 mai 1946 établit les régimes de base pour tous les assurés sociaux et encadre la création des régimes complémentaires obligatoires.

Comment fonctionne le système ?

Dans un régime de retraite par répartition :

  • Le financement est immédiat : les cotisations des salariés actifs servent directement à payer les pensions des retraités.
  • Pas de réserve obligatoire : l’équilibre financier dépend de l’adéquation entre cotisations et pensions versées à chaque instant.
  • Sensibilité aux variations économiques et démographiques : si le nombre de cotisants baisse ou si celui des retraités augmente, des déséquilibres peuvent apparaître.

Pour limiter ces déséquilibres, plusieurs leviers existent :

  • Taux de cotisation : augmenter les cotisations permet de financer davantage de pensions.
  • Paramètres de calcul des pensions : le montant de la retraite dépend du taux de liquidation et du revenu de référence sur lequel il est calculé.
  • Âge légal de départ : un âge de départ plus élevé augmente le nombre de cotisants et réduit le nombre de bénéficiaires simultanés.

Deux modes de fonctionnement

Le système peut être contributif ou redistributif :

  • Contributif : la pension est proportionnelle aux cotisations versées au cours de la carrière. C'est le système que l'on connaît aujourd'hui en France. 
  • Redistributif : la pension est indépendante des cotisations individuelles. L’objectif est de garantir un minimum de retraite aux salariés modestes grâce à la solidarité des plus hauts revenus.

Le régime de retraite par répartition français est-il en danger ?

Comme affirmé précédemment, le système de retraite par répartition repose sur le principe selon lequel les cotisations des actifs financent les pensions des retraités. Mais cet équilibre est fragile. Si cotisations et pensions sont fixes, il est presque impossible que la somme collectée corresponde exactement à celle à verser constamment.

Une pression démographique croissante

L’équilibre dépend largement du ratio de dépendance démographique, c’est-à-dire le nombre de jeunes et de retraités par rapport à celui des actifs. Et la tendance est claire depuis des décennies : la population vieillit. Les projections démographiques montrent que cette pression ne fera que s’accentuer dans les années à venir.

Quels leviers pour préserver le système ?

  • Plusieurs options sont possibles, mais elles ont toutes leurs limites :
  • Augmenter le nombre de cotisants, difficile sans immigration massive ou très forte natalité.
  • Relever le taux de cotisation, ce qui réduit le pouvoir d’achat des actifs et peut freiner la croissance.
  • Allonger la durée de cotisation ou reculer l’âge de départ, deux mesures très impopulaires et injustes socialement. L'espérance de vie en bonne santé après la retraite est variable selon la carrière professionnelle. 
  • Réduire le salaire de référence pour calculer les pensions, risquant de paupériser les retraités.
  • Faire appel à d’autres financements, comme les subventions de l’État, sans creuser la dette.
  • Limiter le nombre de bénéficiaires ou diminuer le montant des pensions, des solutions politiquement sensibles.

Une équation complexe à gauche pour préserver la justice sociale

Parmi les militants et la plupart des dirigeants marqués à gauche, l’objectif est de préserver le régime par répartition sans toucher à l’âge légal ni à la durée de cotisation, afin de garantir la justice sociale et permettre à chacun de profiter de sa retraite en bonne santé.
Toutefois, est-ce possible sans compromis ? C’est dans ce contexte que l’idée d’une retraite par capitalisation partielle peut s’inviter dans le débat, y compris à gauche, sans tabou.

Qu’est-ce que le régime de retraite par capitalisation ?

La retraite par capitalisation repose sur un principe simple à comprendre : chaque travailleur met de côté une partie de ses revenus pour constituer un capital qui servira à financer sa propre retraite. Contrairement à la retraite par répartition, où les cotisations des actifs financent directement les pensions des retraités, la capitalisation fonctionne sur l’épargne individuelle et l’investissement.

Concrètement : vous cotisez pendant votre carrière, votre argent est investi dans différents placements, et les revenus générés permettent de constituer un revenu pour votre retraite. Le capital accumulé peut également servir de garantie si les marchés connaissent des fluctuations.

Gestion individuelle ou collective

Le capital peut être géré de différentes manières :

  • Individuelle : chaque personne décide où placer son argent (compte bancaire, actions, immobilier…).
  • Collective : un organisme (État, entreprise, fonds de pension) gère les sommes pour le compte des participants.

Selon le pays ou le régime, le système peut être libre ou partiellement obligatoire pour certains types de travailleurs.

Montant de la retraite et risques associés

Le revenu de retraite dépend directement :

  • De l’épargne accumulée : plus vous avez mis de côté, plus le revenu sera élevé.
  • Des placements réalisés : la performance des marchés financiers joue un rôle important.

Deux approches existent :

  • Cotisations définies : le montant que vous cotisez est fixé, mais votre retraite peut varier selon la performance des investissements.
  • Prestations définies : la retraite est garantie, mais le gestionnaire (fonds de pension ou assureur) prend le risque de marché.

Pour encourager l’épargne, de nombreux pays imposent un minimum obligatoire d’épargne retraite, parfois encouragé par des avantages fiscaux.

Les options à la retraite

Lorsque le capital est disponible à la retraite, deux solutions principales de sortie sont possibles :

  • Retrait progressif du capital : le retraité utilise son capital pour générer un revenu jusqu’à épuisement. L’épargne non utilisée peut être transmise aux héritiers.
  • Rente viagère : le capital est transformé en revenu fixe versé jusqu’au décès du retraité. Cette solution offre une sécurité financière maximale, mais le capital ne peut plus être transmis.

Sensibilité aux marchés financiers

Le système de capitalisation comporte des risques :

  • Les crises économiques ou financières peuvent réduire la valeur du capital.
  • L’inflation peut diminuer le pouvoir d’achat de l’épargne si les revenus générés ne suivent pas le coût de la vie.
  • Dans les régimes à cotisations définies, le risque est porté par l’épargnant ; dans les régimes à prestations définies, il est porté par le gestionnaire.

Pour limiter ces aléas, les fonds de pension diversifient les investissements et ajustent progressivement la composition des placements : par exemple, plus d’actions lorsque la retraite est loin, plus d’obligations et placements sécurisés à l’approche de la retraite.

Historique et mise en pratique

La capitalisation a été très répandue avant la Seconde Guerre mondiale, mais la répartition a progressivement pris le dessus en Europe face aux crises et aux guerres. Elle a toutefois été maintenue ou réintroduite dans plusieurs pays :

  • Suisse : retraite complémentaire obligatoire en plus de la répartition (AVS).
  • Suède et Allemagne : systèmes mixtes combinant répartition et capitalisation.
  • Chili (1981) : système strictement individualisé via les fonds de pension (AFP).
  • États-Unis : Social Security pour la répartition de base, avec capitalisation via les plans 401(k).
  • France : via le PER (Plan d’Epargne Retraite) ou encore l’assurance-vie.

La retraite par capitalisation constitue-t-elle une solution juste ?

La retraite par capitalisation séduit à droite dans les milieux libéraux : chacun épargne pour soi, investit son argent, et profite de ses efforts au moment de la retraite. Mais derrière cette apparente logique, des limites importantes apparaissent.

Les limites d’un système 100 % capitalisation

  • Injustice sociale : ceux qui n’ont pas les moyens d’épargner, faute de revenus suffisants, arriveraient à la retraite sans ressources. Le risque de pauvreté des seniors serait massif.
  • Vulnérabilité aux marchés financiers : même en ayant cotisé, un retraité pourrait se retrouver fragilisé si son capital a été placé sur des marchés instables ou dans des placements risqués.
  • Inégalités face au risque : les ménages les plus riches, mieux conseillés et mieux diversifiés, sont capables d’absorber les chocs financiers. Les plus modestes, eux, subiraient de plein fouet les crises financières.

Certes, sur le long terme, les marchés financiers suivent une tendance globalement croissante, mais cette promesse de rentabilité ne suffit pas à protéger les plus fragiles financièrement.

Les inégalités actuelles dans l’accès à la capitalisation

Aujourd’hui, la capitalisation existe déjà en France, mais sous forme complémentaire : assurance-vie, plan d’épargne retraite (PER), plan d’épargne en actions (PEA)…
Ces produits sont fiscalement avantageux, mais profitent essentiellement aux ménages les plus aisés, capables d’y placer des sommes importantes en plus de leurs cotisations au système par répartition. 

Le Plan d’épargne retraite (PER) offre un double avantage fiscal :

  • les versements effectués peuvent être déduits du revenu imposable, réduisant ainsi immédiatement la facture fiscale ;
  • les sommes investies ne sont pas soumises à l’impôt tant qu’aucun retrait n’a lieu, ce qui permet de capitaliser dans un cadre fiscalement allégé.

In fine, les plus riches cumulent deux sources de revenus à la retraite (répartition + capitalisation), tandis que les plus modestes restent dépendants du seul régime par répartition.

Vers une réforme combinant répartition et capitalisation

Une réforme en profondeur pourrait viser à renforcer la justice sociale tout en s’appuyant intelligemment sur la capitalisation. L’idée serait de réorienter le système par répartition vers les plus modestes, tout en laissant aux plus aisés la responsabilité de compléter leur retraite via la capitalisation, qu’ils utilisent déjà largement.

Parmi les pistes :

  • Un régime redistributif : limiter la retraite par répartition aux ménages modestes (définir un seuil suffisamment haut). De plus, il serait créé un minimum vieillesse renforcé qui protégerait tous les Français en cas d’accident de vie.
  • Une contribution exceptionnelle des plus riches : au lieu de cotiser pour une pension par répartition dont ils n’ont pas réellement besoin, les plus aisés continueraient à verser une contribution équivalente, mais sans droit automatique à prestation.
  • Un système dégressif et progressif : pas de coupure brutale, mais une graduation en fonction des revenus. Chacun aurait droit à une part de retraite par répartition, mais les plus riches verraient cette part diminuer au profit des plus modestes.
  • Revaloriser les petites retraites : l’argent économisé permettrait d’augmenter les pensions les plus faibles. Comme les ménages modestes consomment davantage et épargnent moins, cela soutiendrait la consommation et, indirectement, la croissance économique.
  • Introduire une épargne obligatoire : un pourcentage minimal du salaire, variable selon le niveau de revenus, pourrait être fléché vers des produits de capitalisation. Cela garantirait que tous, y compris les plus modestes, se constituent progressivement un capital retraite.

Une voie médiane

Cette réforme ne reviendrait pas à supprimer le système par répartition, mais à le concentrer sur son rôle de solidarité intergénérationnelle, en ciblant prioritairement ceux qui en ont le plus besoin. En parallèle, elle inciterait les plus aisés à développer davantage leur retraite par capitalisation qu’ils utilisent déjà largement.

En combinant les deux logiques, il serait possible :

  • de soulager le système par répartition et même le pérenniser,
  • de protéger les plus pauvres et revaloriser toutes les petites retraites,
  • d'autonomiser les plus riches en leur reconnaissant la capacité à s’autofinancer grâce à la capitalisation.

En somme, ce modèle hybride permettrait d’éviter le scénario imposé qui consiste à « travailler plus longtemps » tout en rééquilibrant le système de façon plus juste et durable.

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