L’Enfance. Pas vraiment ce qu’on en croit. Pas forcément un paradis perdu, pas forcément le souvenir d’un territoire tracé en de belles lettres et pas non plus celui d’un temps hors-temps. L’Enfance. L’insouciance bien sur mais c’est aussi le silence, la violence derrière le calme apparent, la rumination, les poings serrés devant l’Injustice.
L’Enfance, avec toutes ces injonctions sur lesquelles on a plié : «Ne bouge pas», «Reste à table» «Tais-toi». Comme une prosopopée qui revient dix, quinze, vingt ans plus tard battre en bruit sourd, dans la poitrine.
Il en existe quelques-un(e)s, de ces rescapés de l’Enfance qui ont écrit, filmé ces moments-là. Ils ont vécu. Ils savent. Ils n’ont pas oublié.
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Déjà Fernand Deligny et son petit livre «Graine de Crapule». Une somme de réflexions in-vivo lancées dans les années 50-60, nées du travail d’accompagnement d’enfants abandonnés, d’adolescents fugueurs, en révolte. Deligny, «éducateur» novateur, bien avant tous.
«Dans les plus grandes pagailles, tu es calme, souriant. Dans les grands calmes, tu es le vent».
«Trop se pencher sur eux, c’est la meilleure position pour recevoir un coup de pied au derrière».
«Ne leur apprends pas à scier si tu ne sais pas tenir une scie ; ne leur apprends pas à chanter si chanter t’ennuie ; ne te charge pas de leur apprendre à vivre si tu n’aimes pas la vie».
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Et puis Louis-René des Forêts avec son implacable «Ostinato». Un livre bouleversant même après tant de relectures. Un livre qui palpite, abrupt et non négociable. Toujours sur l’Enfant.
«Toutes ces grandes personnes parlent sans répit et si fort qu’il se retire loin de leurs voix dans sa fable intérieure».
«Souffrance, détresse, fureur dont il se délivre par le rire, et c’est ainsi qu’on le tient pour un joyeux garçon».
«Les maîtres qu’il a acquis la faculté de percer à jour et qui, le sachant, perdent patience. Le plus rusé soutient son regard pour en émousser la pointe».
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Et puis il y a les films.
Celui d’Abbas Kiarostami : «Où est passé la maison de mon ami?». Une fiction où se joue la solidarité entre enfants, où se trace la ligne de démarcation entre l’écolier et l’adulte, le maître, le Professeur, où est magnifiée la ruse de l’enfant.
Celui de Jean Eustache : «Mes petites Amoureuses». Film magnifique sur l’éveil de l’enfant (un garçon) dans ses rapports avec les filles, premières amoureuses. L’état d’inquiétante étrangeté dans lequel ces rapports se jouent.
Et aussi l’enfant de Freud, pervers polymorphe, qui remue les consciences, le ciel comme la terre.
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Et puis ces enfants guidés tant bien que mal vers l’écriture :
Sur cette musique j’écris
des paroles qui ne verront
jamais le jour, la belle
lumière du soleil, mais
ils seront récompensés
par le regard de tes yeux
sur ce papier
Et encore cet autre texte de Pascal B. qui n’a probablement jamais écouté et compris le «Like A Rolling Stone» de Dylan mais qui écrit aussi bien (Extraits tirés du livre «Le Courage des Oiseaux» chez Compact Editeur).
Tu es belle et tu t’amuses
avec tout le monde,
oui mais un jour tout va se retourner contre
toi, et tous tes amis
ne pourront pas t’aider
car ça sera de ta faute
et ce jour-là
je serai là pour te
consoler mais je ne pourrai pas
t’aider, malgré que
je t’aime
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