J’habite depuis 5 ans à la Goutte d’or, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Si à Paris existe un quartier musulman, ce quartier est certainement la Goutte d’or : quartier populaire déjà cher à Zola et à ses personnages et puis, plus récemment et beaucoup moins poétiquement, classé en Zone urbaine sensible (ZUS) et même –cas unique dans le Paris intra muros- en Zone sécurité prioritaire (ZSP). Dans la partie du quartier plus proche de l’hôpital Lariboisière et de la Gare du Nord, la majorité des habitants sont d’origine maghrébine et de confession musulmane. Devenu le quartier le moins cher de la ville, il a fait l’objet, au cours de ces dernières années, de l’ intérêt d’acheteurs de la classe moyenne. Cependant, malgré une mixité croissante, quoique très lente, la ghettoïsation perdure. Depuis mon arrivée, je constate l’incapacité des pouvoirs publics d’accueillir le Ramadan largement fêté dans le quartier. Comme s’il s’agissait d’une éventualité imprévisible et sporadique, ou bien d’une petite fête sans importance, ou d’une extravagante initiative personnelle à faible impact social, tout ce que l’organisation de la fête demande, se passe dans la totale indifférence des institutions civiles et religieuses. Comme chaque année, le Ramadan qui vient de terminer a été livré à lui-même, sans aucun support de la part de Mairie ou de je ne sais quelle institution ou association. Le marché des gâteaux, de soupes, pain et boissons, un marché joyeux et folklorique, envahi souvent les trottoirs et la petite place donnant sur le Boulevard de la Chapelle, avec une occupation du domaine public sincèrement désarmante. Le marché est abusif, comme tout ce que les institutions ne veulent pas régler, les conditions hygiéniques dans lesquelles les aliments sont préparés et vendus sont plutôt approximatives. Presque quotidiennes sont les interventions de la police afin de dégager la zone concernée : ces interventions font monter une nervosité palpable qui transforme l’atmosphère de la fête en une malaise collective. Les bagarres et les mouvements de foule sont habituels, avec des désordres qui débouchent presque toujours sur un emploi massif de gaz lacrymogène. Lorsque le marché n’est pas interdit, les vendeurs installés sous le métro aérien étaient entourés par des policiers stationnant avec leurs mitraillettes à la main, et de la même manière, mitraillette au poing, était réalisée la ronde des policiers qui surveillaient les alentours. Tout cela, c’est évident, pose d’importantes questions d’ordre culturel et social, questions touchant au rapport entre espace public, identité religieuse, et laïcité. Et pourtant, les mesures pratiques ne sont pas trop difficiles à imaginer : le marché, par exemple, pourrait très bien être abrité dans un pavillon éphémère qui lui serait dédié chaque année, étant donné que tout marché est partie intégrante d’une fête religieuse (il suffit de penser aux innombrables marchés de Noël jalonnant la ville pendant des semaines). En outre, le quartier devrait être mieux équipé de poubelles, compte tenu d’une physiologique surproduction de déchets, alors que même à l’égard du nettoyage des rues on fait comme si c’était un quartier quelconque dans une période de l’année quelconque. Je ne comprends pas comment il est possible qu’une ville comme Paris, où le Nouvel An chinois est organisé et publicisé comme fête intéressante aussi pour les touristes, ne sache pas assumer le Ramadan comme une de ses fêtes annuelles, pour en faire une occasion de rencontre et de participation, qui serait colorée et festive, capable d’attirer beaucoup de monde, en plus d’être une activité concrète et tangible de collaboration avec la communauté musulmane, dans un moment historique de tension et de conflit comme l’est bien l’actuel. Paris traite le Ramadan comme un problème d’ordre public quelconque, un problème de trafic et de désordres, sans aucune valeur humaine et culturelle. Et pourtant, le Ramadan de la Goutte d’or pourrait devenir ce que, à bien y songer, il est déjà, le Ramadan le plus important en Europe. Savoir le reconnaître comporterait des conséquences positives sur l’identité et l’image d’une ville qui se veut multiethnique, cosmopolite et tolérante. Le quartier entier pourrait bénéficier d’une manière durable d'une différente approche du Ramadan. Un quartier qui bien que au cœur de Paris, stagne dans des conditions de insalubrité d'immeubles vétustes et de rues pas assez entretenues, ainsi que du laisser-faire de petits recels et de deal.
Peppe Cavallari
Enseignant et chercheur