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Billet de blog 18 septembre 2023

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Parler le catalan en Europe

Le 19 septembre, le Conseil des Affaires générales de l'Union européenne débattra sur la reconnaissance des droits linguistiques de 10 millions de citoyens européens.

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« La langue est l'âme d'un pays et mérite beaucoup d'attentions », a déclaré l'écrivaine catalane Mercè Rodoreda. Elle le disait avec tout son amour pour la langue catalane, le pilier fondamental de notre pays, la Catalogne, qui nous unit et nous rassemble. Une langue qui nous définit en tant qu'Européens, comme toutes les langues romanes. Une langue millénaire qui contribue à enrichir la diversité culturelle et linguistique de l'Europe et qui, loin d'être minoritaire, conserve toute sa vitalité et constitue 'une des 15 langues officielles les plus parlées sur le continent. 

Le catalan, comme toutes autres les langues, mérite beaucoup d'attentions. Pour le gouvernement de Catalogne, la défense, la promotion et la pleine normalisation de la langue catalane sont une priorité absolue et c’est pourquoi nous demandons depuis des années ce que le Conseil des Affaires générales de l'Union européenne débattra le 19 septembre prochain : que le catalan devienne également langue officielle de l'Union européenne, une décision qui doit être prise à l'unanimité par les 27 États membres. 

Pour l'Europe et pour la société catalane, c'est une grande opportunité de corriger la grave anomalie historique que représente le fait que des millions de citoyens européens n'aient toujours pas aujourd'hui leurs droits linguistiques garantis, en termes d'égalité avec la vaste majorité de la population européenne. 

En Catalogne, nous sommes conscients que cette opportunité peut être vue avec méfiance depuis certaines parties d'Europe. Cependant, les Catalans nous ne revendiquons pas un traitement de faveur, mais simplement l'égalité linguistique. Nous sommes l'Europe et nous croyons en l'Europe. Et nous demandons seulement le droit de parler à l'Europe comme le font presque tous nos concitoyens, dans notre langue. 

En Catalogne, nous avons subi pendant des siècles les effets d'un nationalisme espagnol excluant qui a utilisé tous les instruments de l'État pour marginaliser les autres langues historiques. Pendant la dictature franquiste, le catalan a été interdit et persécuté, comme un outil de répression supplémentaire envers la différence. À ce jour, il y a aussi certains partis espagnols qui tentent d'entraver la pleine normalisation de nos langues. C'est la même attitude, contraire à l'égalité, au multilinguisme et à la diversité, qui a engendré tant de conflits en Espagne et en Europe, et qui s'éloigne des valeurs que représente l'Union européenne. En Catalogne, et avec l'Europe, nous souhaitons empêcher que ces attitudes excluantes prédominent où que ce soit. 

Certaines voix ont évoqué des difficultés économiques pour reconnaître de nouvelles langues. Nous comprenons que la défense des droits des citoyens ne devrait pas dépendre d'une discussion économique, mais, dans tous les cas, nous rappelons que les dépenses annuelles des institutions pour les traductions ne représentent que 0,2 % du budget communautaire, et que les nouvelles technologies peuvent considérablement réduire ces coûts dans les années à venir. Le gouvernement de Catalogne est à la disposition des institutions européennes pour explorer des mécanismes permettant de surmonter tous les obstacles. 

D'autres voix suggèrent qu'il faut mettre une limite à l'adoption de nouvelles langues officielles. C'est un argument discutable, mais il faut tenir compte du fait que la condition préalable pour rejoindre le club des langues officielles de l'Union européenne est de l’être dans l’un de ses États membres. Et il n'y a actuellement que 5 langues en Europe qui ne sont pas encore officielles dans l'Union européenne, bien qu'elles le soient dans leur État membre. Le catalan en fait partie, il est pleinement officiel dans plusieurs territoires de l'État espagnol et est parlé bien plus que de nombreuses langues déjà officielles au sein des institutions européennes. 

Enfin, nous savons qu'il existe des méfiances selon lesquelles cette demande serait conjoncturelle de la part du gouvernement espagnol, actuellement à la tête du Conseil, à un moment de complexité politique en Espagne, après des élections générales et pendant les négociations pour former un nouveau gouvernement. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité.  

La promotion du catalan au sein des institutions européennes est un engagement du gouvernement de l'État pris il y a plus d'un an dans le cadre des négociations entre les gouvernements de l'Espagne et de la Catalogne pour résoudre le conflit de souveraineté entre les parties. Cependant, la revendication de pouvoir parler notre langue en Europe remonte à bien plus loin, elle est fondée sur la profonde vocation européenne de la société catalane et est reconnue dans notre Statut d'autonomie de la Catalogne.  

Le 19 septembre prochain, le Conseil des Affaires générales de l'Union européenne ne débattra pas sur la réélection de Pedro Sánchez en tant que président du gouvernement espagnol. Ce n'est pas de sa compétence et cela ne lui incombe pas. Il débattra plutôt sur la reconnaissance des droits linguistiques de 10 millions de citoyens européens. Et c'est le seul prisme qui devrait guider sa décision. L'engagement de l'Union européenne envers la liberté, l'égalité et le multilinguisme est en jeu, tout comme la devise qui nous rassemble, à savoir, l'unité dans la diversité. 

Les Catalans ne revendiquent pas être une exception en Europe. Ils revendiquent cesser de l'être.  

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