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Billet de blog 4 novembre 2013

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Quels antidotes au Front National? La réaction de Bernard Stiegler

Retour sur l'émission En direct de Mediapart consacré à « Quels antidotes au Front National ? ». Le philosophe Bernard Stiegler nous livre ici sa réaction aux propos de Jean-Yves Camus à la 59ème minute de l'émission.

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Retour sur l'émission En direct de Mediapart consacré à « Quels antidotes au Front National ? ». Le philosophe Bernard Stiegler nous livre ici sa réaction aux propos de Jean-Yves Camus à la 59ème minute de l'émission.

(consulter la 59ème minute ou consulter et réagissez à la vidéo sur Mediapart)


« Je partage tout à fait cette analyse de Jean-Yves Camus – et je ne crois pas que le maurrassisme soit à l’origine du FN : je doute que Maurras aurait reconnu dans le « Reagan français » un digne représentant de son courant de pensée.

Sans aucun doute le maurrassisme nourrit-il le fond des références idéologiques et l’on pourrait dire « mythologiques » du FN. Mais bien plus celui-ci se nourrit non pas, comme Maurras, de l’imaginaire d’un déclin de la Nation française corrompue par les idées républicaines, mais de l’imaginaire d’un déclin de l’Occident où l’Amérique est une référence positive, qui devient même un modèle pour Le Pen, ce qui n’est évidemment pas imaginable dans le cas de Maurras. Cette évolution passe par Europe-Action qui plaide en 1963 pour un nationalisme européen fondé sur la suprématie de l’Occident et de la race blanche peut-être plus proche du Ku Klux Klan que de Maurras.

La question qui se pose à nous aujourd’hui – c’est à dire à moins de quatre ans d’un scrutin électoral dont ces questions sont l’enjeu – est d’ailleurs peut-être moins l’origine du groupuscule FN qui naît au début des années 1970 et au moment du choc pétrolier qui concrétise la fin de la suprématie occidentale que la dynamique historique qui va le conduire à devenir une véritable alternative pour de nombreux Français.

Et s’il en va ainsi (qu’il puisse apparaître comme une alternative, et la seule existante), c’est parce que, comme le dit Jean-Yves Camus, les autres partis, et notamment la gauche, ont éliminé toute perspective alternative de leur discours – et n’ont autrement dit pas fait la critique radicale du néolibéralisme qui s’est imposé partout à travers l’idéologie de la révolution conservatrice, qui ne se présente pas du tout comme une contre-révolution au sens de Maurras : la contre-révolution est ce qui s’oppose à un imaginaire révolutionnaire de la gauche, tandis que la révolution conservatrice s’oppose au manque d’imagination de la social démocratie (représentée par le Welfare state) et de ses avatars de droite dits « gestionnaires » tout en posant qu’il n’y a pas d’alternative à la liquidation de toute puissance publique.

Le paradoxe est que le FN à travers son fondateur a toujours revendiqué ce point de vue, et que pourtant, sa fille Marine se présente désormais comme l’incarnation de la défense de l’Etat, c’est à dire de la puissance publique, et non seulement comme puissance policière, mais comme puissance sociale – se rapprochant ainsi de la tradition historique de l’extrême droite européenne que son père ignorait délibérément.

Ceci n’est possible que parce que la gauche n’a plus tenu aucun discours sur la responsabilité publique et sur l’initiative publique qu’elle aurait dû incarner face à l’effondrement du modèle consumériste aussi bien keynésien que reaganien, thatchérien et blairiste. C’est ce pour quoi Ars Industrialis a plaidé dans un article publié sur le site de Télérama en février 2012 (http://www.telerama.fr/idees/presidentielle-j-57-la-campagne-vue-par-bernard-stiegler,78318.php) sous le titre Capables et incapables.

Si la gauche avait fait cette critique, elle aurait mis en évidence l’incohérence historique du FN, sa complicité fondamentale avec ce qui a conduit à la situation présente, et elle aurait pu ouvrir de nouvelles perspectives en affirmant la nécessité d’une nouvelle rationalité économique aussi bien que politique et géopolitique qui relève de ce qu’Ars Industrialis appelle économie de la contribution. Malheureusement, la gauche est tout au contraire dans la répétition de la politique fabiusienne de 1984 qui avait intériorisé sans le dire et même sans le savoir l’idéologie néolibérale promue par la révolution conservatrice, faute d’avoir montré les limites drastiques du consumérisme qui ne pouvaient que conduire à la crise de 2008. J’ai développé ces points en détail dans Pharmacologie du Front national.

C’est cela que Jean-Yves Camus appelle l’impensé, et ce qu’il nomme le pessimisme actif – tout à l’opposé d’Emmanuel Todd, qui influence sans aucun doute François Hollande sur ce point de façon très nuisible – c’est ce qui doit conduire à une nouvelle critique de l’économie politique par la gauche – mais pour 2017, c’est sans doute un peu tard… »

Bernard Stiegler

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