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Billet de blog 16 avril 2020

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Chronique d’une catastrophe annoncée

Le rôle primordial du travail des personnels dans le secteur associatif auprès des personnes âgées en EHPAD ou suivies à domicile qui sont les réels fantassins de la République

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          CHRONIQUE D’UNE CATASTROPHE ANNONCEE

Plus de 15 000 morts du Covid-19 dont près de 5 000 personnes dans les EHPAD, tel est le bilan malheureusement partiel à la mi-avril 2020 de cette épidémie en France.

A l’heure où nous devrons tirer les enseignements, rechercher les responsabilités, analyser les événements de cette crise, il ne faudra pas oublier les raisons profondes de cette situation. Les médias, les journalistes, les spécialistes rappelleront que le secteur sanitaire et principalement le secteur hospitalier crient et alertent depuis de nombreux mois relatant une dégradation sans précédent de leurs conditions de travail, du manque de considération des pouvoirs publics, d’une vision économico-centrée aveuglant la réalité de la situation.

L’hommage mérité rendu tous les soirs aux soignants ne saurait occulter le besoin d’une vraie réforme, d’une remise en cause complète des dérives observées depuis près de 15 ans considérant enfin davantage la santé comme un bien collectif à préserver « coute que coute »et non comme une dépense.

Mais à l’heure du bilan, n’oublions pas la formidable contribution du secteur médico-social et en particulier des associations. Redécouvrons la force, la pertinence et l’aspect irremplaçable du terme non-lucratif dans une période où ne semblaient être intéressants que ceux qui contribuaient au PIB, ceux qui réussissaient dans le business. Les pouvoirs publics n’avaient d’yeux que pour le secteur marchand privé, la rentabilité, les bénéfices.

Pourtant ce sont les initiatives de solidarité illustrées tous les jours sur notre territoire qui nousrappellent l’existence des valeurs irremplaçables dans notre vie en société là où le vivre-ensemble devient fondamental quand nous en sommes privés par un confinement indispensable pour nous préserver collectivement contre ce virus assassin.

Il ne faudra pas oublier ces fantassins fantastiques qu’ont été ces travailleurs à domicile pour apporter des soins, des repas, des services, de la présence auprès des personnes âgées, en perte d’autonomie, souvent isolées. Ces dévouements au péril de leur santé ou de celle de leurs proches, mais avec un sens de la responsabilité hors du commun qui ont permis leur maintien à domicile, qui ont évité l’engorgement des hôpitaux, qui ont maintenu avec elles, ce lien social et humain dont nous avons tous immensément besoin.

Depuis des mois nous tirons la sonnette d’alarme sur ce secteur et nous implorons les politiques à reconsidérer leurs orientations. Voilà un secteur avec celui des EHPAD où le personnel est sous-payé, parfois moins que le SMIC dans l’aide à domicile, où les moyens attribués sont dérisoires et très nettement en dessous des besoins, où l’on exige du personnel des conditions de travail difficiles, dévalorisées et mésestimées du public et où toutes les réformes proposées sont soit différées, soit envisagées pour en baisser le coût.

Or ce sont eux qui ont tenu pendant la crise, eux qui ont pris des risques pour eux et leur famille au nom d’une éthique liée à la relation humaine car la plupart ont refusé le chômage partiel pour ne pas abandonner ces personnes âgées ou en situation de handicap, qu’elles aident et soutiennent tous les jours.

Nous ne nous conterons pas pour eux de quelques paroles laudatives, de remerciements appuyés ou d’une prime pour solde de tout compte. Une ‘R’évolution devra être entreprise pour apporter des changements primordiaux. L’expertise retrouvant ses lettres de noblesse, les corps intermédiaires en général et les associations en particulier devront faire valoir elles aussi leur expertise, leur connaissance des publics les plus défavorisées et leurs propositions.

Les grandes leçons à retenir devront aborder le décloisonnement des politiques publiques entre le sanitaire et le médico-social. L’hôpital ne doit pas rester SEUL. Il faut envisager son avenir avec de nouvelles ressources bien sûr mais aussi dans un cursus qui intègre en amont une meilleure prévention et un accompagnement du public en particulier les plus fragiles.Mais c’est aussi l’aval, les sorties d’hospitalisation qui doivent être mieux préparées pour que l’hôpital soit efficace. La continuité des services aux personnes doit être organisée, avec la médecine ambulatoire, avec les établissements de suite, avec les services de soins infirmiers et les services d’accompagnement et d’aide à domicile. C’est cette coopération globale, décloisonnée, dans un souci d’efficacité globale et non d’économie des uns sur les autres qui fonde notre solidarité et le dynamisme de notre action.

Enfin dans les leçons à retenir et les analyses à étudier nous devons bien comprendre que cette crise a représenté un incroyable révélateur des inégalités. Inégalités d’accès aux soins, Inégalités sociales et économiques, Inégalités éducatives des enfants, Inégalités face aux risques en comparant ceux qui ont pu exercer par télétravail et ceux qui ont été envoyés au front (et souvent sans armes), Inégalités dans les conditions d’habitat et de promiscuité si criantes en période de confinement, Inégalités dans la reconnaissance des fonctions et des métiers. Ainsi les travailleurs sociaux souvent oubliés dans les premiers discours, dans les premières mesures comme la garde des enfants auront participé à ce combat qui nous a mobilisés comme beaucoup d’acteurs anonymes mais indispensables.

Il y avait un avant et c’est notre responsabilité collective que l’après soit différent. L’injustice et l’inégalité devront être combattues sans relâche et c’est seulement ainsi que nous sortirons renforcés d’une telle épreuve.

Patrick DOUTRELIGNE

Président de l’UNIOPSS

(Union des associations de solidarité dans le secteur sanitaire, social et médico-social)

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