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Billet de blog 9 septembre 2011

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Les business schools sont-elles responsables de la crise?

A la crise il a été donné, par les uns ou les autres, différents responsables : des escrocs, des irresponsables, des traders trop gourmands, etc. Peut-être ne s'agit-il bien souvent que de désigner des boucs-emissaires, soit pour en dissimuler les vraies causes, soit parce qu'on les ignore. Or parmi les responsables ainsi pointés du doigt, l'on trouve les écoles de commerce elles-mêmes.

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A la crise il a été donné, par les uns ou les autres, différents responsables : des escrocs, des irresponsables, des traders trop gourmands, etc. Peut-être ne s'agit-il bien souvent que de désigner des boucs-emissaires, soit pour en dissimuler les vraies causes, soit parce qu'on les ignore. Or parmi les responsables ainsi pointés du doigt, l'on trouve les écoles de commerce elles-mêmes.

Par exemple, un ouvrage récent de Florence Noiville, J'ai fait HEC et je men excuse, met en cause l'enseignement de cette prestigieuse institution et les pratiques que cet enseignement induit ou encourage dans les entreprises. Elle qui a fait HEC souhaite que l'on puisse « refaire HEC », entendez : en réformer l'enseignement. Et elle fait un rêve dans lequel HEC dans le futur signifierait « Haute Ethique Contemporaine ». Et elle pointe la contradiction majeure entre les savoir-faire routiniers des managers et l'enseignement qu'on a prétendu leur donner pour les former à savoir oser.

Déjà courant 2009, le directeur d'une grande ESC, reconnaissait dans la presse spécialisée (Les Echos), que les ESC ont souvent enseigné des techniques, financières par exemple, qui se sont trouvées prises en défaut, et ont accordé trop peu de place à la formation éthique et à la culture des futurs managers. Il résume les éléments d'un débat américain que l'on évoquera plus loin.

Mais il faut rappeler que déjà auparavant, par exemple le philosophe Whitehead dès 1929, lors de l'inauguration de la section Business à Harvard, déclarait : « Desire for money will produce hard-fistedness and not enterprise » (l'appât du gain est l'école de la rapacité, non de l'entreprise). Et encore : « ...There can be no prospect of industrial peace so long as masters and men in the mass conceive themselves as engaged in a soulless operation of extracting money from the public. » (Il n'y a pas de perspective de paix industrielle aussi longtemps que les patrons comme les hommes de la masse se conçoivent eux-mêmes comme engagés dans une opération sans âme : extraire du public de l'argent). A quoi on doit opposer selon lui l'idée d'une « sympathie coopérative » (sympathetic cooperation) fondée sur des vues élargies du travail réalisé et du service commun rendu par là.

Il est abusif sans doute de faire porter la responsabilité entière de la crise aux ESC, mais leur enseignement n'en demande peut-être pas moins à être réformé dans le sens indiqué par les exemples ci-dessus. Et la question, difficile, devient : comment introduire un enseignement éthique dans une école de management ?

On tirera simplement ici de cette discussion, sans entrer plus avant dans la polémique, une conclusion incontournable qui concerne la place de la formation culturelle et donc éthique des futurs managers. On peut du reste avancer que toutes les branches de l'enseignement supérieur et professionnel devraient inclure cette formation qui est indissolublement culture et éthique.

*

Dès le mois d'août 2009, Newsweek se faisait l'écho des critiques faites aux Business-Schools et aux diplômes qu'elles délivrent, les MBA, dont sont titulaires les hommes qui occupent les échelons les plus élevés du monde financier. Le journal, en date du 17 aout, publie un article intitulé B-School Backlash (choc en retour pour les Ecoles de management). Les programmes MBA seraient dangereux par l'excès de confiance qu'ils donnent dans leur modèles techniques : « That academic overspecialization keeps students ignorant of systemwide risks ; ans that programs treat ethics as an afterthouht » (Cette surspécialisation académique laisse les étudiants ignorants des risques de l'ensemble du système ; et ces programmes traitent l'éthique comme subalterne). L'article évoque un livre récent (2007) de Rakeh Khurana, professeur à Harvard - From Hiher Aimes to Hired Hands (mot à mot : « Des buts les plus hauts aux mains mercenaires » ; on pourrait proposer : « De hautes fins à la main basse » !) - qui soutient que les B-Schools ont oublié la vocation première des MBAs ; les programmes MBA créés au début du XX ème siècle visaient à former les managers en vue de piloter les institutions économiques pour le bien social et non pas pour le profit à court terme. L'article discute ces critiques et montre que rien ne prouve que les B-Schools soient plus responsables de la crise que l'ensemble des journalistes, des universitaires et des banquiers ; et que les étudiants accédant aux grades mis en cause appartiennent aux classes privilégiées à 98% et ne doivent pas leur place d'abord à leur grade académique, mais à leur origine sociale.

Ce qui est reproché avant tout aux B-Schools est d'avoir enseigné beaucoup de savoir-faire permettant de faire de l'argent, mais peu de sens éthique, avec pour résultat de produire des guns-for-hire. Ce jeu de mots est intraduisible : l'expression signifie en langage courant « arme de location », mais prend ici le sens d' « homme de main pour l'endettement » (hire signifie aussi le crédit). Cependant, bien des B-Schools aujourd'hui s'efforce d'essayer de former la moralité de leurs étudiants. Mais la qualité de cette formation laisse à désirer et leur crédibilité mise en péril par les scandales à répétition (Enron, Worldcom...). Khurana ajoute que ces cours d'éthique furent souvent des mises en scène destinées à endormir l'esprit critique et qu'ils ont été marginalisés ou abandonnés.

Toutes ces critiques, si pertinentes soient-elles, ne peuvent pour autant fournir la preuve que les programmes MBA ont été la cause de la crise financière. C'est bien plutôt le système qui a le pouvoir, une fois corrompu, de prendre le dessus sur les meilleures formes d'éducation...

Mais, de ce que les B-Schools ne peuvent être tenues pour responsables de la crise, il ne suit pas qu'elles soient au-dessus de toute critique. Que les programmes MBA aient été détournés de leur vocation première pour régner aujourd'hui au nom même du bien social est inadmissible. C'est pour quoi Khurana demande que le management devienne une profession à part entière, avec un diplôme et un ensemble de manquements définis soumis au contrôle, comme c'est le cas pour la médecine, avec un engagement des étudiants qui pourrait ressembler au serment d'Hippocrate. Déjà nombre d'institutions américaines ont mis cela en pratique.

Cependant, quand les institutions mariées avec le statu quo sont soumises à une pression exigeant des changements, elles ont tendance à se borner à des déclarations purement symboliques. Le seul facteur qui devrait vraisemblablement produire un réel changement est que leurs programmes d'enseignement soient punis par la force même à laquelle ils attribuent la valeur suprême : celle du marché.

En attendant, concluait Newsweek, les B-schools n'ont probablement pas causé la dernière crise, mais elles ne nous feront pas éviter la prochaine.

*

Nous laissons chacun réfléchir à cette affaire et nous abstenons de tout autre conclusion, car si la promotion de la culture générale et la formation éthique sont sans doute nécessaires, elles ne suffiront pas à enrayer les effets de ce qu'il convenu d'appeler mondialisation et financiarisation de l'économie.

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