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Billet de blog 17 janvier 2012

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MUTUALITÉ 1

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D’UN PRINCIPE DE MUTUALITÉ A l’ÉCOLE

Voici quelques propositions sur la mise en pratique du principe de mutualité dans le cadre de l’institution éducative. L’idée directrice est fournie par l’expérience : chacun sait que les enfants tirent une partie de leur formation – leurs habitudes, leurs connaissances – des échanges qu’ils trouvent hors de la classe ou de la famille. Cette part est généralement « sauvage », càd se développe plus ou moins hors du contrôle du maître ou des parents, mais il est possible d’en tirer parti sans les contraindre d’une part (leur liberté est un aspect essentiel de leur fécondité), d’autre part de les développer dans le cadre scolaire lui-même, comme on tente de le faire dans d’autres structures éducatives, en les organisant intelligemment. Une ancienne expérience scolaire en fournit un exemple, celui de la classe unique, autrefois fréquente dans les écoles rurales : le maître doit y déployer un savoir-faire, un art des préparations, qui fait de cet exemple une sorte de modèle où se combinent la virtuosité pédagogique et la riche spontanéité des relations interindividuelles, en même temps que la nécessité de l’ordre et de la discipline. L’organisation de cette formation mutualiste n’est pas chose facile : sa mise en pratique est tout sauf une attitude paresseuse qui permettrait au maître de n’être dans la classe qu’une sorte de vigile face à des élèves chargés de s’entre-instruire sans lui. Ce ne sera pas non plus un moyen d’économiser des postes, dès lors qu’est aperçu que cette formule suppose des classes peu nombreuses exigeant du maître, en même temps que les rendant possibles, une présence et une disponibilité extrêmes. Les effets attendus de cette méthode, qui n’est pas exclusive du recours à d’autres formules habituelles, sont : la disparition de l’isolement des élèves (et des maîtres) et l’ennui qui s’ensuit souvent, la fin de ces compétitions des élèves dans la « participation », si souvent stériles et de plus moralement suspectes, centrées sur le maître, préoccupées d’attirer son attention au lieu de viser la chose elle-même ; bref l’apprentissage de la chose conjugué avec celui de l’objectivité par l’intersubjectivité. Au plan éducatif, la mise en œuvre du principe de mutualité rejoint l’idée essentielle selon laquelle la formation de l’esprit suppose que l’enseigné soit mis en position d’enseignant chaque fois que c’est possible : « Docendo disco » (J’apprends en enseignant).

  1. 1.    Mutualité entre les élèves
  • Elèves de même âge : à l’intérieur d’une même classe, il est possible, même à des enfants de 6 ans (peut-être moins) de commencer à savoir transmettre une part de leurs acquis, non seulement de cette manière aveugle et irréfléchie dont ils sont spontanément capables, mais en exerçant un effort méthodique et en étant conscients d’accomplir une tâche complémentaire à celle de l’adulte, ici une tâche d’instruction inscrite dans l’organisation collective et s’ajoutant à celles du maître. Il est clair que plus l’on aura à faire à des élèves plus âgés et plus instruits, plus cette participation pédagogique pourra être développée, et rendue plus autonome, le maître devenant tendanciellement inutile. Par exemple, quelques élèves plus avancés en lecture que les autres peuvent parfaitement enseigner leurs camarades, quitte à ce que certaines difficultés restent l’affaire du maître. Le maître pourra amorcer l’expérience en sollicitant tel ou tel enfant : « Saurais-tu expliquer ceci à ton camarade ? ». Et si la réponse ne vient pas ou s’égare et avorte : « Quelqu’un peut-il nous aider ? » Etc. Ces tentatives patiemment répétées peuvent très tôt apprendre à l’enfant à s’expliquer en sachant se mettre à la place d’autrui. Les résultats peuvent être très modestes d’abord, mais une fois le processus lancé les enfants seront eux-mêmes demandeurs de ces efforts très valorisants. Y-a-t-il lieu de craindre qu’on scinde le groupe en enfants enseignants, actifs, et enfants enseignés, passifs ? C’est évidemment une des tâches du maître d’organiser progressivement les choses de façon à « vider » peu à peu le groupe des moins avancés.

Ainsi en 6e jadis j’ai eu un maître[1] qui initiait au latin en faisant passer aux élèves, sur la base d’un carnet commun d’éléments et règles de base, un « permis de conduire » en grammaire sans lequel on était interdit de traduction ; la classe était partagée géographiquement en deux sections et progressivement l’une des deux disparaissait, de plus en plus rapidement même grâce à l’aide apportée par ceux qui avaient leur permis aux autres ; ensuite dans la seconde partie de l’année on mettait en pratique les acquis dans des exercices de version et de thème corrigés en commun. Naturellement la phase de rattrapage des plus rapides par les plus lents ne doit pas s’éterniser et, pour cela, il faut savoir mesurer raisonnablement l’effort maximum demandé.

De même des méthodes, peut-être encore en vigueur, comme la correction mutuelle (orale ou écrite), peuvent être variées selon les matières et les niveaux, des classes élémentaires aux études universitaires. Rien n’est plus difficile à organiser utilement : ou bien ces pratiques sont très décevantes quand elles sont improvisées, ou bien elles sont incomparables si elles sont menées avec art. Elles réclament de la part du maître de l’intelligence matérielle et morale : il faut prévoir, tenir compte des progressions respectives, ne pas donner l’impression aux élèves que l’on institue le vide et éviter de tomber dans les pièges du fameux « travail de groupe » qui permet à certains de dissimuler leur passivité, pénalise certains autres, favorise des leaderships pernicieux. La correction collective des devoirs est un exercice très efficace (qui ne dispense pas le maître de son propre contrôle), dès lors qu’il permet aux élèves de se comparer entre eux. C’est chronophage, sans doute, et ne peut être facilement généralisé à tous les types d’exercice et à toutes les matières, du moins dans les conditions imposées par les programmes.

D’autre part les moins avancés dans un type d’acquisition peuvent l’être bien plus dans un autre, de sorte qu’on peut les solliciter de la même manière : « Peux-tu montrer ceci à ton camarade ? » - « Est-ce que d’après toi il a compris ? » - « Est-ce sa faute ? » - « Comment faire ? ». Etc. Il ne faut pas que le maître s’interdise d’apporter son aide. Tout ne peut pas venir des enfants, contrairement aux prétentions de certaine pédagogie dite « innovante » (depuis des décennies) qui promet des miracles (et le repos au maître). Du reste le maître reste toujours confronté lui-même à la difficulté de la communication et à apprendre, presque chaque jour, à surmonter des échecs et des malentendus et à comprendre pourquoi il a échoué à communiquer telle ou telle chose.

  • Elèves d’âges différents : à vrai dire cette distinction n’est que relative. La « classe unique » qui nous sert de point de départ mélange les 2 catégories et offre la possibilité de mutualisation aussi bien dans une même catégorie qu’entre les deux. Pourquoi ce qui est possible dans cette structure ne le serait-il pas à l’échelle de plusieurs classes ou d’une école ? L’expérience montre assez qu’entre des élèves d’une même classe (donc d’une tranche d’âge étroite) il existe des écarts de niveaux  plus ou moins provisoires, tels qu’ils peuvent être considérés comme un cas particulier des écarts, également provisoires à plus ou moins long terme, entre des élèves de classes et tranches d’âge différents. Si l’on travaillait non pas dans le système de classes, qui nous est familier, mais dans un système de cursus comme celui voulu par la Convention dans les Ecoles Centrales[2], on verrait qu’avec le temps des élèves d’âges souvent assez divers peuvent se retrouver à un même niveau de progression dans une matière donnée. Si l’on suppose les maîtres prêts à mutualiser leurs moyens, les élèves faisant partie de ces moyens, il est permis d’imaginer que tels élèves de tel niveau puissent intervenir face à des élèves plus jeunes et témoignent ainsi devant eux de ce que ces derniers peuvent espérer atteindre, en même temps qu’aidant leurs cadets à apprendre ceci ou cela, les premiers enrichissent leur expérience de communication, et y trouvent l’occasion de consolider leur propre savoir.
  1. 2.    Mutualité entre les maîtres

Point capital. Malgré l’emploi courant de l’expression « équipe pédagogique », la situation des maîtres est marquée par l’isolement. Un peu moins peut-être dans le primaire que dans le secondaire, mais les conditions objectives du travail demandé interdisent le partage efficace des méthodes et des expériences, des compétences aussi : simple question de temps d’abord[3]. On touche ici à une question sensible : une réelle mutualisation des moyens entre enseignants suppose une présence accrue dans l’institution, donc un temps d’enseignement face aux élèves allégé ; ce qui peut s’obtenir par la diminution du temps scolaire des élèves d’un côté, l’augmentation du nombre de postes (et du taux d’encadrement donc). Il n’y a strictement aucune raison pour que la diminution du temps scolaire entraine une baisse du niveau : le « rendement » pédagogique moyen, càd l’avancée effective des élèves dans les acquisitions, est devenu si médiocre que la réforme effective de la valeur des maîtres doit compenser plus que largement ce qui pourra paraître perdu : qu’a-t-on réellement à perdre sur un temps gaspillé ?

  • Maîtres de niveau égal : cette détermination est équivoque. On entendra par là principalement les enseignants intervenant à un même degré du cursus scolaire, sans différenciation de classe (par exemple, école primaire toutes classes confondues : il serait souhaitable d’ailleurs que les maîtres ne restent pas attachés à une même classe indéfiniment mais « tournent » entre le CP et le CM2, par exemple en suivant leurs élèves). Dès qu’il s’agit de l’enseignement secondaire, il va de soi que les maîtres considérés enseignent une même discipline (français, maths, etc.), bien que des échanges interdisciplinaires soient envisageables (même observation sur la rotation des maîtres que ci-dessus à l’intérieur de chacun des deux cycles du secondaire). Le partage existe déjà de fait sous forme d’initiatives particulières, mais il convient de l’amplifier et de l’encourager par des mesures structurelles et administratives. C’est le moyen décisif de faire circuler les méthodes et de permettre de s’inspirer librement des expériences les plus heureuses des uns et des autres.

NB. Un encadrement est-il nécessaire ? Il est notoire que les expériences pilotées par les inspecteurs sont très souvent une fumisterie. Quand bien même elles peuvent être utiles ou très réussies, cela ne doit pas empêcher de permettre une forme libre de partage. Craint-on que cette liberté ne soit une liberté du vide ? Faisons confiance à l’expérience : les enseignants déçus par l’usage de leur propre liberté devraient pouvoir apprendre à trouver eux-mêmes les moyens de réagir. Si on admet que l’évaluation de l’efficacité éducative doit porter plus sur l’école, considérée comme unité concrète de base de l’enseignement, et non pas sur les enseignants pris individuellement, il devrait être possible de stimuler par là indirectement la mobilisation des enseignants pour ce genre d’effort. Ce projet peut échouer, mais si on ne cherche pas à réunir tous les moyens de le défendre, on en restera aux pratiques générales actuelles, dont le fruit est bien médiocre si on en juge par les effets.

  • Maîtres de niveaux différents : on entend par là entre des maîtres du primaire et du secondaire, et même du supérieur. Il est difficile d’envisager la mutualisation des moyens et des expériences dans ce cas, du moins aussi longtemps que sévissent dans le corps enseignants les clivages que l’on sait et les défiances qui s’ensuivent. C’est donc à ces clivages qu’il faudrait pouvoir remédier. Or ces clivages bien connus de tous, sont également passés sous silence. On ne peut traiter cette question sérieusement ici et l’on peut seulement dire pour le moment que cet aspect de la situation a peu de chance d’évoluer et qu’on aura déjà beaucoup fait si on réussit à rompre l’isolement du maître dans l’école.

CONCLUSIONS

Plusieurs évidences doivent être rappelées : a) un enseignant est un ancien enseigné, d’où suit que tout enseigné actuel est un enseignant potentiel ; b) un enseignement est d’autant plus formateur que l’enseigné est plus souvent mis en situation d’enseignant, et qu’inversement l’enseignant a appris à se mettre à la place de l’enseigné ; c) c’est précisément cet apprentissage qui a lieu lors du cursus scolaire si l’on sait y créer ces situations où l’enseigné enseigne : des élèves accoutumés de longue date à ces pratiques formeront plus tard de possibles enseignants de valeur, aussi bien que des responsables efficaces (de tout niveau) dans les entreprises. La mise en pratique du « principe de mutualité » est donc la mise en œuvre méthodique et systématique de cet échange ; réciproquement l’école n’a de réalité effective et efficiente que si elle est cette mise en œuvre. Au fond elle est l’essence même de l’enseignement.

Dès lors qu’on adopte l’idée que c’est l’école (entendue comme groupe d’enseignants et d’enseignés, et même de familles) qui est l’unité de base fondamentale du système éducatif, et que c’est elle qui doit être évaluée et non les maîtres pris individuellement, l’idée d’une mutualisation des moyens de chacune, et même de toutes, s’impose. On peut même dire que c’est cette mutualisation qui, encadrant naturellement celle des maîtres, peut la favoriser, l’amplifier, l’organiser.

Plus généralement, la valorisation d’un vrai mutualisme, et la dénonciation de toutes ses contrefaçons, devrait devenir le pilier d’une société enfin réformée autour du refus du mythe de la concurrence, appelant à une réelle solidarité et toute entière consacrée à l’organiser. La concurrence peut être bonne et nécessaire sous certaines conditions, mais la mise en compétition des enseignants, des élèves, comme celle des salariés dans l’entreprise, est une méthode pernicieuse et irrationnelle tendant à isoler les individus et à asservir les peuples.


[1] Thomas Narcejac, auteur de romans policiers fameux… Il banalisait aussi la semaine d’avant les vacances de Noël, de Pâques et d’été, pour soit lui-même nous raconter des histoires, soit permettre aux élèves volontaires d’en raconter, histoires tirées de leurs lectures, ou histoires inventées. Ceci permet notamment aux élèves d’apprendre à raconter : être capable d’un récit intelligible suppose encore un effort pour se mettre à la place d’autrui que bien des adultes ne savent pas faire.

[2] La Convention avait imaginé une organisation nouvelle de l’enseignement secondaire, rompant avec le système des classes, lequel remonte au XVème siècle, et instaurant des cours parallèles dissociés : un même élève pouvait appartenir à une section (année) dans un cours et à une autre dans un cours différent. L’élève avait le choix et pouvait combiner ces cours spéciaux en fonction de ses capacités et de ses projets. Cette entreprise « révolutionnaire » ne fut jamais reprise depuis, et ne fut appliquée que durant 6 ans (an IV /an X). 

[3] L’incitation à accepter des heures supplémentaires et la nécessité économique de les demander n’arrangent rien, évidemment.

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