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Billet de blog 28 janvier 2012

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SUR LA FORMATION DES MAîTRES

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De la formation des maîtres

« Il faut que ce grand travail de réfection et de réorganisation, qui s’impose, soit l’œuvre même du corps qui est appelé à se faire et à se réorganiser. »

Emile DURKHEIM

L’évolution pédagogique en France (1938)

Les maîtres sont devenus médiocres, en majorité. Pas intrinsèquement, pas tous.

Pas intrinsèquement, parce que ceux-là même qui sont d’un niveau élevé ou suffisant, sont souvent rendus inefficaces par la situation qui leur est imposée par l’institution et par leur statut social et les rapports concrets, souvent difficiles à vivre, qu’ils ont avec les familles et leurs élèves.

Pas tous, et donc dans l’urgence il faudrait aller chercher comment font ceux qui réussissent, pour s’inspirer de ce qu’ils font ; ce qui permettrait de rompre, soit dit en passant, avec l’exécrable méthode qui a prévalu auparavant, celle où les normes d’enseignement furent imposées d’en haut par des « parvenus », des inspecteurs souvent prétentieux et bornés, souvent incapables d’enseigner quoique ce soit à qui que ce soit. Il faudrait en finir avec ce système qui favorise l’ascension administrative de quelques-uns aux dépens du perfectionnement pédagogique réel. Les structures de formation, notamment les IUFM, qui pouvaient rendre et ont souvent effectivement rendu de vrais services, ont aussi fourni des sinécures à des « intervenants » inefficaces, de la même manière que l’inspection, notamment l’inspection régionale, a ouvert à nombre de gens des carrières commodes trouvant leur justification théorique et leur moyen de pouvoir sur les enseignants, dans des doctrines obscures et des formules macaroniques qui les ont fait ressembler aux médecins de Molière. Ainsi l’enseignement linguistique de base et la grammaire ont été massacrés par ces méthodes. Certes, il est impossible de voir jamais disparaître ni l’influence pernicieuse de certaines idées prétendument novatrices, ou éventuellement mal comprises, ni l’instrumentalisation de ce qui est à la mode par les ambitions individuelles ; mais ce n’est pas une raison pour se résigner !

Chacun sait où est la difficulté : on peut expliquer comment les maîtres sont devenus globalement médiocres, mais comment trouver les moyens d’inverser cette spirale, sachant qu’il faut que ce soient les maîtres d’aujourd’hui qui forment à terme les maîtres de demain ? Alors d’abord rappelons que la chose n’est pas impossible puisqu’elle s’est déjà faite. Les instituteurs exemplaires des IIIe et IVe républiques ne sont pas tombés du ciel. On ne doit pas oublier non plus que l’école républicaine a prospéré sur un héritage pédagogique antérieur qui avait fait ses preuves et lui a servi de modèle, le modèle jésuite par exemple[1], ainsi que le montre le livre de Durkheim, L’évolution pédagogique en France ; mais aussi aussi l'expérience étonnante de l'enseignement mutuel, née à la fn du XVIIIème siècle et trop tôt abandonnée avant la fin du XIXème..  Dans ce domaine tout est toujours provisoire : ce qui était une adaptation réussie en un temps peut se scléroser rapidement ou être simplement insuffisant en un autre. Dans le cas présent le déclin très grave de l’école élémentaire ayant contaminé largement l’ensemble de l’éducation, la tâche est difficile mais des redressements rapides sont possibles même s’ils sont forcément destinés à rester d’abord partiels.

Encore une fois, il n’y a pas d’autre moyen que d’imiter intelligemment ce qui marche et est efficace, quelle qu’en soit l’origine : un enseignement confessionnel, des expériences progressistes, etc. N’oublions pas tout de même que l’idée même d’école trouve son origine en Europe dans l’Eglise qui la première créa ce milieu moral unifié où sont réunis des enfants, chose ignorée de l’antiquité, et que devant s’y servir des outils, notamment linguistiques et littéraires, de l’héritage culturel païen (le latin…), ce fut elle qui introduisit dans l’enseignement un élément de laïcité qui devait plus tard s’affirmer de façon indépendante. Dès lors que ce qui compte est d’obtenir de vrais résultats, le dogmatisme idéologique doit céder la place à l’empirisme et à l’éclectisme.

Toutefois, comme la reconnaissance des maîtres de qualité ne doit pas être livrée à l’arbitraire, il n’y a pas d’autre voie que celle qui consiste à se fier à la reconnaissance des maîtres entre eux ; cette voie n’est pas sans inconvénient, c’est évident, mais à moins de pouvoir donner aux enseignants les moyens concrets (temps, lieux) de se rencontrer sur ces sujets, la créativité pédagogique risque de laisser la place au dogmatisme et au formalisme, quand ce ne sera pas à l’opportunisme dans des oraux similaires à des entretiens d’embauche.

On peut aussi retenir du livre de Durkheim deux idées essentielles, solidaires l’une de l’autre. La première : il faut que les constructions institutionnelles mises en œuvre soient soutenues par l’engagement et l’adhésion des enseignants eux-mêmes d’abord et plus largement par l’opinion (« foi pédagogique » des uns, soutien social général ensuite, propre à valoriser l’école et les maîtres). Deuxièmement : pour faire en sorte que les maîtres nourrissent leur motivation d’une conscience claire des enjeux du projet pédagogique dont ils sont partie prenante, ils devraient être initiés à l’histoire de la pédagogie, notamment en France – et pas seulement aux méthodes et doctrines en la matière.

Il faut donc à la fois (i) améliorer les maîtres en place, quelle que soit leur qualité, et (ii) recruter de nouveaux maîtres d’emblée aussi bons que possible et les préparer, et y ajouter (iii) un système de perfectionnement interne propre à résister autant que possible aux scléroses et aidant tous les maîtres à s'améliorer et maintenir leur efficacité durablement. On pourrait d’ailleurs combiner ce système avec un autre plus vaste de (iv) formation permanente des adultes où la rencontre des maîtres et des familles permettrait l’instruction mutuelle des uns et des autres. Un tel ensemble devrait permettre de mettre fin à terme à une situation dominante qui soumet les enseignants dans leur majorité à un isolement pernicieux. On peut aller jusqu’à proposer que l’évaluation individuelle des maîtres par l’institution soit remplacée par celle des écoles par les citoyens, sous une forme institutionnelle à définir, (v) l’école devenant l’unité pédagogique de base en tant que totalité concrète et complexe, insérée dans un milieu social, dont les membres et acteurs  tirent leur efficacité de la place qu’ils y occupent et de la conscience qu’ils en ont[2]. Autrefois on appelait quelquefois l’école pour les plus jeunes un « asile » : le mot ne mérite sans doute pas d’être repris, mais l’idée que l’école ou le collège ou le lycée doivent être des structures inscrites dans la commune, rurale ou urbaine, le quartier, et y être en quelque manière ouverts en permanence, comme un hôpital par exemple, ne semble pas déraisonnable et pourrait se rendre mieux qu’acceptable, nécessaire, à condition que soient fournis les moyens concrets de cette fonction.

Nous proposerons dans l'exposé détaillé de chaque point des vues qui peuvent être rassemblées sous une idée directrice principale: l'éducation et l'instruction supposent la mise en œuvre sous des formes diverses et variées  d'un principe de mutualité: de même que les élèves peuvent à tous les âges être mis en situation de s'enseigner les uns les autres chaque fois que c'est possible, ce qui suppose un maître capable d'une organisation vivante et souple qui stimule cette pratique, de même les maîtres doivent pouvoir se former mutuellement au long de leur parcours, comme aussi l'école et les parents doivent pouvoir former des liens réciproques d'aide multiforme. On peut voir dans ce principe ce qui devrait pouvoir faire l'unité d'une société à venir, où ce ne serait plus la compétition et la concurrence qui seraient systématiquement valorisées, et qui sont à l'évidence des moyens sûrs d'isoler les individus et d'asservir les peuples, mais la sympathie coopérative: la mutualité peut et doit devenir le mot d'ordre du monde de demain.

On avance ici quelques idées sur chacun des aspects ci-dessus, en considérant les choses en général, mais aussi en faisant quelques propositions relatives au redressement de l’école élémentaire.

A.   AMÉLIORER LES MAÎTRES EN PLACE

Le niveau des maîtres est hétérogène, même s’il est globalement perfectible. On ne peut pas soumettre chaque maitre à une évaluation individuelle qui serait stérile, même si elle pouvait se faire. La médiocrité dominante étant due à une situation générale qui ne stimule pas le goût de bien faire, on obtiendra sans doute une part non négligeable des progrès souhaitables, de la bonne volonté des maîtres eux-mêmes dès lors que cette situation pourra évoluer.

Le rétablissement des structures d’aide et de soutien (RASED, etc.) devrait aussi contribuer à les soulager, et ces structures devraient être maintenues et renforcées durant toute la période de reconstruction qui s’impose. Elles devraient sinon disparaître, au moins devenir plus légères grâce aux progrès de cette reconstruction[3]. Ces structures devraient faire appel aux compétences des meilleurs maîtres possibles, moyennant des aides et gratifications appropriées.

Mais il ne suffit pas d’aider les maîtres dans leur tâche, il faut aussi enrichir leur panoplie culturelle et pédagogique. En ce domaine, il conviendrait que la publication des manuels, livres du maître, etc., fût soumise à un contrôle et une régulation, comme c’est le cas pour la mise en circulation des médicaments, mais sans aller jusqu’à la publication de manuels d’Etat. La situation présente donne lieu, on le sait, à une foule de publications vaines et même parfois plus nuisibles qu’utiles, surtout aux maîtres dont le niveau est encore fragile, et qui, comme bien d’autres choses, sont seulement des moyens de faire de l’argent.

Le point le plus important cependant reste celui des conditions de formation continue des maîtres en fonction, spécialement eu égard à l’enseignement le plus fondamental de tous, celui de la langue. Cet dernier a souffert d’être privé de l’encadrement dont il bénéficiait autrefois : un enseignement grammatical clair. Si grossier ou approximatif soit-il au point de vue du linguiste moderne, cet enseignement avait d’abord le mérite d’exister et d’être commun à tous. Il avait ensuite un plus grand mérite, celui d’être compréhensible, même si c’était au prix de quelque simplification, tandis que ce qui l’a remplacé était un véritable obscurantisme, destiné finalement surtout à entretenir les mystères linguistiques au profit d’une classe sacerdotale exerçant son ascendant sur les maîtres et leur transmettant à leur tour les moyens d’une autorité douteuse. Si l’on ajoute que l’obscurité des catégories linguistiques rendait difficile la communication entre enfants et parents (qui n’y comprenaient plus rien) à la maison et donc le soutien familial ordinaire, on comprend l’étendue des dégâts de ce faux modernisme. Un des profits majeurs de l’acquisition d’une grammaire, et par là de la première maîtrise réfléchie de l’instrument d’expression, est de contribuer au développement de l’esprit logique. Compromettre cette acquisition, c’est condamner les esprits à demeurer plus ou moins dans le syncrétisme, voire l’aggraver. On ne parle même pas ici de l’effet pervers de cette situation sur le plan moral : mettre un élève en situation de se soumettre à quelque chose qu’il ne peut que faire semblant de comprendre, ainsi que Rousseau l’a montré, c’est le vouer à la sottise, au psittacisme et à l’hypocrisie.

Il est clair qu’en ce domaine, on doit pouvoir ensuite raffiner la compréhension de la langue et même la subtiliser à l’extrême, de la même façon qu’on peut en toute discipline s’élever de premiers rudiments et connaissances élémentaires à un niveau supérieur de connaissance et d’analyse. En introduisant dès le départ des catégories sophistiquées, on mettait donc les choses à l’envers sous le fallacieux prétexte de la révérence due à une science nouvelle.

Comme il est toujours exclu qu’on puisse exiger de l’instituteur qu’il soit un spécialiste en linguistique, ce qui ne lui servirait à rien, il convient donc en première urgence de faire dresser une maquette détaillée d’enseignement grammatical par un cercle de gens compétents : les linguistes eux-mêmes qui sont souvent les mieux placés pour reconnaître ce qui n’est qu’une manière de dire de façon obscure des choses simples, des maîtres expérimentés, etc.

Comme aussi on sait qu’est capital le moment de l’acquisition de la lecture au CP/CM1, il convient de bâtir un protocole du processus d’apprentissage auquel les maîtres pourront se référer. Dans la même perspective, il convient de prévoir un mécanisme de sélection des meilleurs maîtres pour la prise en charge de ces classes décisives et des moyens de solidarité pédagogique permettant aux maîtres de se soutenir mutuellement. Ce point est au moins aussi important que le précédent, car de même que la première acquisition du langage (l’association du son au sens), l’étape de la lecture (l’association du signe graphique au langage articulé) représente une difficulté réelle, sous estimée par ceux qui l’ont surmontée : ceci se traduit notamment par la croyance absurde, malheureusement partagée par bien des enseignants, que si un enfant n’a pu apprendre à lire à l’âge prévu, il n’y réussira jamais ! Professeur ayant exercé dans les anciennes Ecoles Normales, j’ai entendu cette sottise (cas typique de prophétie autoréalisatrice) répétée par beaucoup d’instituteurs en stage dit « d’adaptation » (sic !). Il faudra aussi trouver les moyens de lutter contre ce type de préjugé paresseux.

B.    RECRUTER DE NOUVEAUX MAÎTRES

A quelque chose malheur est bon : le chômage des jeunes diplômés fournit un vivier assez vaste où l’on peut trouver des maîtres potentiels de qualité, notamment des jeunes hommes (voir remarque ci-dessous). Ce qui a été depuis des années une réorientation individuelle choisie doit devenir un programme d’incitation conduit par l’Etat lui-même, mais sous condition que soit revue la détermination du niveau de compétence requis par le métier d’instituteur : la « mastérisation » du recrutement est à cet égard un faux semblant : elle se borne à ouvrir au recrutement par l’éducation nationale d’une foule de bac + 5 aujourd’hui sans débouchés.

On doit d’une part attirer vers la profession enseignante en améliorant son statut matériel et moral. D’autre part il convient de donner aux nouveaux enseignants une formation adéquate et en particulier, au début de ce qui sera un processus de reconstruction et de régénération, des vues claires de la situation à affronter, des problèmes à résoudre et des méthodes d’urgence à mettre en œuvre. Les jeunes gens qui dans notre société ont acquis un niveau culturel élevé, ont généralement fréquenté des établissements plus ou moins privilégiés et n’ont pas forcément conscience de la réalité  d’ensemble de l’école et pourront être surpris de rencontrer des résistances aux démarches qui leur sont familières. C’est la raison pour laquelle il ne convient pas de les exposer sur les parties du front scolaire les plus difficiles.

Des passerelles seront conçues à l’université pour favoriser ces reconversions, mais en prenant soin de ne pas abaisser, l’exigence de qualification mais au contraire de l’élever. Dans l’enseignement secondaire par exemple, il convient que les maîtres aient une spécialisation disciplinaire effective. Dans l’enseignement primaire, les « instituteurs » devraient posséder, outre une bonne culture générale (régulièrement améliorée par des moyens institutionnels autant que personnels), un niveau linguistique et littéraire élevé, lequel se transmettrait normalement ensuite à toutes les autres instances de l’édifice scolaire. Il conviendrait aussi de fixer avec de hautes autorités en la matière le niveau de qualification minimum en mathématiques de ces maîtres. La grammaire d’abord, des bases mathématiques accessibles à tous ensuite, sont indispensables à la formation de l’esprit logique de chacun, y compris les individus destinés aux métiers manuels.

Remarque : on sait que la profession enseignante est de plus en plus féminisée, notamment à l’école élémentaire. On notera qu’il en est de même chez  les élèves des classes préparatoires littéraires et des sections littéraires des universités, et même dès les terminales A des lycées. C’est là un trait profond de nos sociétés depuis des décennies. Il convient d’y rechercher des correctifs. Les enseignants de sexe féminin sont certes aussi aptes à enseigner que leurs équivalents masculins, mais ce déséquilibre a des effets très pernicieux jusque dans la tête des enfants et adolescents. Le jeune enfant se soumet sans doute facilement à l’autorité quasi maternelle de la « maîtresse », mais l’adolescent a besoin d’un environnement plus équilibré, et ce d’autant plus qu’il n’ignore pas que les femmes en général continuent de subir une discrimination sociale globale. Il serait donc souhaitable que même à l’école élémentaire, et pourquoi pas maternelle, il y ait un nombre croissant d’hommes – et corrélativement que le métier ne soit plus considéré comme un métier réservé aux femmes, donc que sa revalorisation à la fois économique et morale devienne une préoccupation principale de l’Etat.

S’agissant des maîtres de l’école élémentaire, il est nécessaire d’inverser dans les faits le principe implicite selon lequel les enfants peuvent s’y contenter de maîtres moins qualifiés que les lycéens. L’idéal voudrait tout au contraire qu’on donne les meilleurs maîtres aux plus jeunes. On pourra cependant au moins rassembler tous les moyens d’approcher de cet idéal : inciter les étudiants les plus brillants à choisir le métier d’instituteur, donc « anoblir » cette tâche par tous les moyens ; créer des structures d’expérimentation systématiques fondée sur la rencontre entre les maîtres de l’école élémentaire et des personnes qualifiées de tout niveau. L’essentiel est ici de combler autant qu’il est possible le fossé entre les niveaux de compétence, comme on doit pouvoir faire cesser grâce à l’école ce qui sépare le moindre citoyen du plus haut savant ou convertir en avantage pour le premier l’inégalité entre eux, en même temps que de rompre également autant qu’il est possible l’isolement des maîtres entre eux.

C.    SYSTÈME DE PERFECTIONNEMENT INTERNE

On se borne ici à quelques éléments ; la question devra être reprise et détaillée.

Cette partie fournit le moyen de relier et unifier la formation des deux catégories de maîtres ci-dessus envisagées, en donnant à tous les moyens d’un accompagnement professionnel durant l’ensemble de leur carrière.

Un tel dispositif requiert un encadrement : la définition du rôle d’une inspection doit être repensée. Peut-être faudrait-il la soumettre à une règle d’alternance : les inspecteurs se recrutent parmi les meilleurs maîtres,  mais devraient retourner après leurs missions à des fonctions d’enseignement. Ici comme dans bien d’autres domaines de l’enseignement, il faut empêcher que se multiplient des niches de sinécures qui n’ont d’autre vertu que de permettre à certains de se soustraire à la tâche d’enseigner.

Cette prise de distance, dès lors qu’elle n’est pas une fuite organisée, devrait en revanche être un droit dont l’exercice effectif, dûment règlementé, serait lui-même un des outils du perfectionnement des maîtres.

Il peut globalement être conçu comme conjuguant des processus d’échange interne, soit un perfectionnement mutuel, et des rencontres avec des acteurs externes offrant des sources d’information sur la réalité en général. Il convient de donner à cette organisation une systématicité, une cohérence, qui la rende la plus efficace possible. Elle ne doit pas rester un jeu limité et vain de visites qui, à leur manière, sont aussi des moyens de suspendre le travail d’enseignement.

D.   FORMATION PERMANENTE DES ADULTES

Ici encore quelques brèves remarques.

Le droit de reprendre des études à tout moment de la vie ne doit pas rester formel. Il convient donc de rassembler des moyens propres à faciliter l’exercice de ce droit, dans l’intérêt de la personne, et pas simplement en fonction des besoins variables des entreprises et des institutions qui peuvent avoir à offrir des formations correspondant à tel ou tel de leurs besoins.

A terme, la formation permanente devrait devenir un très ambitieux projet de civilisation, sans commune mesure avec les processus actuels de réinsertion, adaptation, etc. Il n’existe pas de raison pour que celui-ci ne soit mis en œuvre que par le seul Etat. Toutes les initiatives peuvent ici être envisagées, même s’il convient qu’elles s’inscrivent dans un cadre institutionnel défini.

Plus un tel projet prendrait corps, plus son retentissement sur la formation et le recrutement des maîtres serait important : cette formation d’abord pourrait contribuer à l’accession de citoyens variés et motivés aux fonctions éducatives elles-mêmes ; elle mobiliserait les maîtres eux-mêmes, pas forcément selon le seul principe du volontariat, élargirait donc leur expérience pédagogique et contribuerait ainsi à leur perfectionnement. Les formateurs pourraient être recrutés aussi bien parmi eux que parmi des spécialistes variés : ce croisement pourrait fournir une réelle communication de l’école sur les métiers et réciproquement, et pas une simple fiction d’ouverture au demeurant sans réciprocité.

Notons que ces grandes lignes rentrent sous le principe général de « mutualisation » des moyens, qui nous semble pouvoir présider à l’ensemble des pratiques éducatives, tant comme pratiques sociales que comme expériences personnelles : les maîtres ont à se former et perfectionner mutuellement ; les élèves de même selon une organisation méthodique à l’initiative du maître ; etc. Le principe obéit lui-même à l’idée essentielle selon laquelle la formation est d’autant plus efficace qu’elle place chaque fois que possible, et le plus tôt possible, l’enseigné en position d’enseignant.

E. L’ECOLE, UNITE PEDAGOGIQUE DE BASE

Ce qui est esquissé ici vaut pour tous les types d’institution : école élémentaire, collège, lycée, université, et ne se sépare pas de la cohérence et continuité qui devrait s’établir entre formation initiale et formation continue. Ce n’est pas une manière d’exiger toujours plus des enseignants en plus de leur tâche face aux élèves, à condition d’y mettre les moyens. Une reconstruction ambitieuse de l’enseignement ne peut se faire sans une création d’emplois périphériques ou des fonctions exercées par les maîtres sous condition de décharge, permettant à l’école de rester, au propre et au figuré, « ouverte » sur la vie sociale et accueillante aux citoyens.

Une école républicaine en un sens doit pourtant être imperméable aux effets des inégalités sociales pour rester un lieu de justice essentiel au maintien de la santé sociale générale comme à la moralité individuelle. Sans cela, la confiance des jeunes et des familles en l’école se perd. Or cette clôture, réclamée jadis par le philosophe Alain, requiert des dispositifs institutionnels et donc une volonté politique. Mais elle n’est en rien incompatible avec le fait que les lieux de formation soient aussi des outils de vie sociale par rapport auxquels les maîtres aient des obligations soutenues toutefois par les moyens de s’y conformer : du temps, des collaborateurs ad hoc, etc.

Cette insertion sociale de l’école, à ne pas confondre avec la prétendue ouverture de celle-ci sur l’entreprise, ne doit pas être une abstraction : il s’agit de l’insertion de cette école-ci dans ce milieu-ci. Du coup l’évaluation des résultats du travail de formation doit moins se ramener à une évaluation des élèves et des maîtres envisagés comme engagés dans une sorte de compétition, que devenir une évaluation de la qualité de son insertion sociale. C’est la réussite de cette insertion qui conditionne l’efficacité du travail d’enseignement, ne serait-ce que, là aussi, en raison de la confiance qu’elle devrait susciter chez les élèves et les parents. La docilité, au sens propre, de l’élève réclame cette confiance ; elle a disparu partout où la défiance, voire le mépris, inspirent une résistance qui en outre est pour les maîtres un calvaire.

Selon Whitehead, ce sont les écoles, et non les maîtres ou les élèves pris individuellement, qui devraient être soumis à inspection. Il explique : « Chaque école devrait accorder ses propres certificats de fin d’études, basés sur son propre ‘curriculum’. Les normes de telles écoles devraient être testés et corrigés. Mais la première chose requise pour la réforme de l’éducation est que l’école soit une unité, possédant un curriculum validé[4], fondé sur ses propres besoins et que sa propre équipe fait évoluer. Si nous échouons à garantir cela, nous tomberons simplement dans un formalisme ou un autre, d’un amas[5] d’idées inertes dans un autre. En affirmant que l’école est la véritable unité éducative dans tout système national, pour la sauvegarde de l’efficacité, je m’oppose au système inverse  d’examen externe de l’écolier individuel […] Il serait également fatal à l’éducation de tomber aux mains d’un département d’inspection pensant pouvoir diviser toutes les écoles en deux ou trois catégories rigides devant chacune adopter un curriculum rigide. Quand je dis que l’école est l’unité éducative, je veux dire exactement ce que je dis, il n’y en a pas de plus grande ni de plus petite. Chaque école doit avoir le droit d’être considérée en relation avec ses circonstances particulières. A certains égards la classification des écoles est nécessaire. Mais aucun curriculum absolument rigide que son équipe ne pourrait modifier, n’est acceptable. Les mêmes principes valent, avec des modifications appropriées, aux universités et aux collèges techniques. »[6]

Cette vision semble rejoindre ce qu’on appelle ‘autonomie’ des établissements. Sous ce nom aujourd’hui sont désignés, non seulement un consentement à l’inégalité et à l’échec scolaires, mais une situation d’abandon et même sans doute une politique de liquidation[7] : en témoignent très significativement les palmarès publiés dans la presse sur la valeur respective des établissements. Une société qui ose se demander quelles sont les meilleures écoles va mal. Le point de vue défendu par Whitehead aurait d’autant plus de sens et d’efficacité que cette situation pourrait s’inverser et l’homogénéité de l’appareil éducatif rétablie. En attendant, elle peut donner des résultats sous condition que l’Etat et la nation concentrent tous leurs efforts dans la lutte contre la trop fameuse et trop réelle « fracture sociale ». Sans cet accompagnement, il y a peu de chances que l’effort pour ne plus livrer élèves et maîtres à une compétition ruineuse aboutisse.

CONCLUSION

L’éducation est un domaine dans lequel à la fois il faut voir grand et savoir par quel bout il faut prendre les choses pour obtenir des effets. Certains effets globaux ne seront obtenus que si des objectifs à court terme, limités mais exigeants, sont atteints. En outre le bon sens doit prévaloir pour tempérer l’ambition : il semble par exemple absolument indispensable de viser en premier lieu le redressement de l’école élémentaire, et de consolider les améliorations obtenues en s’abstenant de réformes multiples et incessantes (des méthodes, des programmes) ; tant que la base de l’édifice n’est pas solide, la construction ne peut pas avancer.

C’est par l’école élémentaire qu’il convient de commencer, ou plutôt de recommencer. Il faut rappeler que l’enseignement primaire n’est que depuis une époque récente une préoccupation sociale collective : alors qu’on peut faire remonter au Moyen-Âge l’organisation de notre enseignement secondaire (il coïncide à peu près avec ce qu’on appelait la Faculté des Arts dans l’ancienne Université), l’organisation de l’école primaire, base de l’instruction publique, est une affaire récente et son meilleur aboutissement un sommet atteint seulement au milieu du XXe siècle. Cette séquence, inaugurée par la Révolution, court jusqu’à la IVe République, s’interrompt ensuite, très nettement à partir des années 80 et ouvre une spirale de déclin ininterrompue. On peut considérer que la tâche qui nous incombe est de mettre fin au gâchis matériel et humain qui finit par justifier le recours à la privatisation et la démolition d’un système qui, en effet, coûte trop pour les résultats qu’il obtient, et de reprendre à nouveaux frais le projet d’une école primaire républicaine. Notons que cela n’est aucunement incompatible avec l’existence d’un enseignement privé, puisque tout citoyen doit avoir le droit d’ouvrir une école, comme le pensait Condorcet, premier théoricien de cette instruction publique sous la Révolution, persuadé que la concurrence du public et du privé est gage de progrès qualitatif, pourvu que cette concurrence ne soit pas d’abord faussée par l’amputation des moyens de l’école publique et que, d’autre part, soient clairement posés les termes de la vraie laïcité : l’école n’enseigne aucune croyance comme une vérité, mais n’en ignore aucune.

Sans donc perdre de vue les objectifs les plus ambitieux, il convient de rechercher modestement tous les outils qui peuvent être utiles, afin d’élaborer des mécanismes clairs et détaillés de recrutement et de formation, souples et ouverts, pendant que la communauté des maîtres s’occupera à échanger d’autres instruments, pédagogiques ceux-là, propres à rendre leur travail efficace et gratifiant.

Comme on le voit en différents points, la tâche à accomplir requiert l’engagement de l’Etat, tout à l’opposé du désengagement de ce dernier dans les dernières décennies. Il ne s’agit pas seulement de son engagement matériel, qui cependant est essentiel : reporter la question sur le seul plan qualitatif, comme on l’a fait dans bien des déclarations, est une escroquerie. Mais s’il faut augmenter et redistribuer les moyens (beaucoup plus pour l’école élémentaire par exemple), il faut aussi qu’un discours approprié émane du gouvernement pour que les français redeviennent fiers de leur école et confiants en elle, ce qui est actuellement perdu. Par ‘discours’, il faut naturellement entendre autre chose qu’une lénifiante langue de bois : la parole « exécutive » ici doit parfois se faire contraignante (imposer par exemple à certaines instances la contribution au fonctionnement de l’école: en clair taxer Acadomia en attendant de pouvoir s'en passer), mais aussi mobiliser des ressources multiples de revalorisation des images associées à l’école : un gouvernement qui continuera d’être complice des représentations populaires de l’école qui la ridiculisent, comme c’est presque toujours le cas, aura échoué. On est là en face d’une des difficultés majeures du problème, car en un sens l’enseignement ne doit dépendre ni directement ni indirectement du gouvernement (le contenu de l’enseignement doit lui échapper entièrement) ; il faut donc que ce dernier reste subordonné ici à des injonctions législatives stables, voire à un cadre constitutionnel circonstancié qui interdise certaines pratiques. Ce qui laisse à penser qu’une solution satisfaisante suppose une transformation profonde de l’ordre politique : rien moins que la fin de l’irresponsabilité de fait de l’exécutif[8].

[1] Notons au passage que l’enseignement dans les collèges jésuites était gratuit et socialement ouvert. Descartes reconnaît que cette mixité sociale était une de ses vertus principales ; l’école républicaine a conservé ce trait assez longtemps, mais tend à le perdre de nos jours.

[2] Suggestion du philosophe Whitehead dans Les buts de l’éducation. Une évolution semblable est sans doute souhaitable dans les entreprises. L’application de ce principe dans la sphère de l’éducation pourrait avoir à terme des effets sociaux profonds et s’étendre aux pratiques économiques.

[3] Ceci devrait permettre aussi la ">[4] Ce qui implique bien sûr un cadre commun et une autorité centrale, toutefois aussi peu dépendante que possible de l’exécutif.

[5] En anglais ‘Dung-hill’, tas de crottes !

[6] The Aims of education (1929)

[7] Il a été clairement indiqué par le pouvoir actuel que cette autonomie était plus une autonomie des chefs d’établissements, c’est-à-dire un élargissement de leurs responsabilité (notamment en matière de recrutement des maîtres), et non pas une autonomie des établissements eux-mêmes et donc de l’équipe des maîtres. Il ne faut pas confondre autonomie pédagogique et autonomie managériale. Voir : http://blogs.mediapart.fr/blog/claude-lelievre/060911/des-expressions-detournees

[8] Cette confiance ne sera gagnée que dans la mesure où l’on se préoccupera aussi dès maintenant de l’autre extrémité du système, l’enseignement supérieur : il s’installe chez nous une situation à la Chilienne où les études supérieures sont devenues progressivement ruineuses, inaccessibles aux jeunes des classes moyennes, intolérable. Or si l’on veut reconstituer un corps enseignant de qualité, il faudra pouvoir aller chercher de ce côté : création d’un système comparable aux IPES, plus ambitieux même. Il faudra également tout faire pour éviter que ne se développe une division sociale résultant du fait que seuls les milieux aisés peuvent pousser leurs enfants vers des formations onéreuses.

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