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Billet de blog 2 décembre 2011

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Les Roms invités dans la campagne de Sarkozy

 Il y a des journées comme ça où rien ne va. On se lève le lendemain et on se dit qu’elle n’a pas existé, que c’était un mauvais rêve, comme ce mercredi d'automne. En fait, tout a commencé mardi. Non, attendez, je crois que tout à commencé un certain 30 juillet 2010.

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Il y a des journées comme ça où rien ne va. On se lève le lendemain et on se dit qu’elle n’a pas existé, que c’était un mauvais rêve, comme ce mercredi d'automne. En fait, tout a commencé mardi. Non, attendez, je crois que tout à commencé un certain 30 juillet 2010.

Ce jour là, à Grenoble, Sarkozy, en prenant pour prétexte l’attaque d’un commissariat par des gens du voyage de nationalité française, fait un amalgame scandaleux qui jettera les Roms à la vindicte populaire. Il s’en suivra une circulaire illégale qui ordonne aux préfets d’évacuer les campements ou implantations illicites, « en priorité ceux des Roms ».

Voilà pour la toile de fond.

Aujourd’hui, plus d’un an après ce discours, Sarkozy est malmené dans les sondages. Les effets de la crise, s’ajoutant à ceux d’une politique assumée de protection des classes les plus riches au détriment des autres, conduisent lentement mais sûrement le pays vers une récession sans précédent. Du coup le pouvoir est arrivé à la conclusion qu’il n’existait qu’une seule solution pour envisager une réélection : se retrouver face au Front National au second tour de l’élection présidentielle.

J’ai mis du temps à comprendre la stratégie. Toutes ces élections où l’UMP développait des discours de stigmatisation des étrangers, ces débats sur l’Islam, la nationalité, les Roms… A chaque fois, le verdict des urnes était sans appel. Que ce soit pour les municipales, les européennes, les régionales, le régime a pris une énorme claque. Et, chaque fois, je me disais, « mais ils n’ont pas encore compris que ça leur retombe dessus ? »

C’est moi qui n’avais pas compris. Je n’avais pas réalisé qu’ils s’en fichent, que l’important est de poser le débat sur des thèmes bien précis, immigration et insécurité, afin de préparer la présidentielle de 2012 et de s’assurer de la présence du Front National au second tour.

Sarkozy – Le Pen, c’est du 80-20, comme pour Chirac en 2002. Que Sarkozy s’assure de la présence de Marine et, hop, le tour est joué.

Ce mardi d’automne, il donc est 6 heures 30 du matin lorsque la police encercle le terrain où vivent des Roms d’origine roumaine. Ce sont des gens tranquilles que la police connaît bien. En novembre 2010 déjà, ils les avaient gazés à coups de lacrymogènes sur leur terrain. Comme ça, juste pour s’amuser.

Oui, oui, gazés par la police… Hommes, femmes, enfants, tout le monde. Bilan : 5 personnes à l’hôpital dont un bébé âgé de 5 jours…On attend d'ailleurs les conclusions du Défenseur des Droits qui devraient enfin tomber.

A 6 heures 40, les policiers tambourinent aux portes des cabanes, faisant sortir de leur sommeil de manière brutale les habitants. Ensuite ils les regroupent, comme des animaux. Et puis la rafle commence. A chacun, on demande ses papiers. Il y a là une liste toute prête et des formulaires.

« Monsieur Covaci… Très bien. Vous êtes en France depuis quand ? Vous avez un travail ? Très bien, signez en bas. »

Cette fois-ci il n’y aura pas de photos comme cela avait été le cas lors des interventions précédentes où même les enfants de quelques mois avaient été photographiés. Il faut dire qu’à force, la préfecture doit avoir une galerie de portraits assez complète et un beau fichier ethnique.

En moins d’une heure, environ quarante personnes sont ainsi recensées et fichées. Soit une minute trente par personne. C’est ce que, à la préfecture, on appelle un examen approfondi.

Vient le tour de Madame Covaci. « Ah… Madame Covaci… Vous faites l’objet d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) , Madame Covaci… »

« De quoi ?… »

On lui ressort une vieille OQTF, comme ça, à 7 heures du matin. Une fois qu’elle comprend de quoi il en retourne, la vieille dame explique qu’elle est retournée en Roumanie au mois de juillet, qu’elle a changé de l’argent là-bas et qu’elle en a la preuve. Elle montre son justificatif.

« Mais on s’en fout de ça », lui répond la police.

Ne sachant que faire, elle finit par montrer son visage, toujours recouvert d’un foulard et cette partie de la joue boursouflée qui la fait souffrir. Elle explique qu’elle a un rendez-vous chez le médecin et qu’elle a besoin d’un traitement.

Vous vous imaginez, vous, à 7 heures du matin, en bas de votre immeuble, au milieu de vos voisins, obligé de montrer devant tout le monde une partie de votre corps, pour expliquer qu’on ne peut pas vous emmener comme ça à des milliers de kilomètres et vous priver de soins. Bien sur la police ne regarde pas sa blessure. Peu importe. Elle est là pour faire du chiffre et Madame Covaci, elle est sur leur liste.

Maintenant c'est le tour de Monsieur Covaciu… Accrochez-vous…

Monsieur Covaciu fait l’objet d’une OQTF datée d’avril 2011…

Lorsqu’on lui signifie qu’il aurait dû quitter le territoire français, il répond que c’est ce qu’il a fait. Lorsque les policiers lui demandent s’il a une preuve, il présente sa carte d’identité et précise qu’elle a été refaite en Roumanie au mois de mai. C’est écrit dessus. Il suffit de lire.

Et bien que pensez-vous qu’il se passe ?

La police l’embarque.

Non ?

Si…

Pour la police, une carte d’identité établie en Roumanie à telle date n’est pas une preuve suffisante que vous soyez retourné en Roumanie à telle date. Ou alors l’interprète a oublié de traduire ce passage-là. Ou bien, le policier, un gradé dont on suppose qu’il sait lire, a oublié ses lunettes.

Monsieur Covaciu, Monsieur Civaci ainsi que Madame Covaci et son fils, un mineur, sont embarqués. Quatre d’un coup, pas mal à une heure aussi matinale, non ?

Ah oui, il ne faut pas oublier, avant de partir les policiers délivrent quelques OQTF.

« Monsieur machin ? »

« Oui ? »

« Vous êtes en France depuis plus de 3 mois. Allez, hop, une OQTF. »

« Madame truc ? »

« Oui ? »

« Vous êtes là depuis moins de 3 mois, hop, une OQTF. »

Oui, oui, vous avez bien lu. Si vous êtes roumain, que vous soyez là depuis plus ou moins de 3 mois, vous avez droit à une OQTF…

C’est sûr que, comme ça, il est plus facile d’atteindre – ou de dépasser – les quotas et de faire plaisir au patron. A plus de 30 000 expulsions, Monsieur Guéant pourra, plus légitimement, réclamer la médaille en chocolat qu’il convoite.

A 7 heures 30 l’opération est terminée. 4 OQTF délivrées, 4 arrestations. Ca, c’est une journée qui commence bien…

Direction les locaux de la PAF et puis ensuite le Centre de Rétention de Satolas pour 4 citoyens européens qui croyaient que l’Europe, c’était la libre-circulation.

Immédiatement, un recours en annulation est déposé. Saisi en urgence, le tribunal administratif convoque les 3 personnes pour le lendemain (le mineur lui, n’est pas convoqué. On lui reproche simplement d’être le fils de sa mère).

Conformément à la loi, le recours a été déposé dans les 48 heures. Théoriquement, ce recours devrait être suspensif. Sinon à quoi bon ? Si le juge vous libère mais que vous êtes déjà expulsé, ça vous fait de belles jambes…

Et bien non… Alors que le juge convoque 3 personnes, le préfet, lui décide qu’il n’en présentera qu’une seule.

Cela a été du plus bel effet au tribunal. Lorsque le juge s’est étonné de ne voir qu’une seule personne, le policier a appelé sa hiérarchie au téléphone et la réponse est tombée :

« Le préfet vous emmer…, il fait ce qu’il veut… »

Ah non, pardon, ça, c’est mon interprétation.

En réalité le policier a répondu : « Le préfet a décidé de ne pas présenter les deux autres personnes au tribunal ».

Ah bon, très bien… Il est vrai qu’en France, la police Prévost (Desprez) sur la justice.

Il faut dire qu’un vol est prévu à 16h40 pour Bucarest et que deux places ont été réservées. Le préfet ne peut donc pas les présenter à 14 heures, autrement ils risquent de rater le départ.

L’audience a été un peu surréaliste…

L’avocat des citoyens roumains a expliqué qu’en plus de 10 ans de carrière, il n’avait jamais vu cela, que c’était la première fois qu’il plaidait en l’absence de ses clients. Il a expliqué que l’incarcération ne reposait sur aucune base légale. Il a également souligné le manque de proportionnalité dans l’incarcération de citoyens européens qui jouissent de la libre circulation sur le territoire européen. Il a enfin ajouté qu’on ne pouvait raisonnablement prétendre que les personnes arrêtées avaient fait l’objet d’un examen approfondi de leur situation.

Pour preuve, cette pièce d’identité que la préfecture n’a pourtant pas hésité à mettre en copie du dossier pour expliquer que Monsieur Covaci n’avait pas exécuté son OQTF …

Quelle bourde quand même…

Ils ne savent pas lire à la préfecture ?

Non, je pense plutôt qu’ils travaillent comme la police sur le terrain. C’est à dire en bâclant les dossiers, dans la précipitation, voire l’hystérie. Du chiffre, du chiffre, comme des VRP dont le salaire et l’avancement dépendent de leurs résultats et qui sont sous la pression permanente d’un petit chef des ventes.

En ce qui concerne le représentant de la préfecture, je ne vous citerai qu’une perle. Mais elle vaut son pesant d’or : « A l’heure où je vous parle, les deux roumains ne sont d’ailleurs plus en rétention, ils se trouvent dans la zone de transit internationale… »

Tout ça pour nous faire croire qu’ils prennent l’avion parce que ça leur fait plaisir de voyager gratuitement. Comme ces Roms de Saint-Denis que la police a obligé à monter dans un tramway pour les conduire vers une destination inconnue et dont on a ensuite raconté qu’ils y étaient montés de leur plein gré, qu’aucun policier ne les avait obligé.

Tu parles !

La conclusion du tribunal administratif est tombée une quinzaine de minutes avant le départ de l’avion.

Personne n’a rien compris, ni l’avocat de la défense ni même le représentant de la préfecture. La mise en rétention a été confirmée et le départ pour la Roumanie de Madame Covaci (avec son fils) et de Monsieur Civaci, approuvé.

Pour Monsieur Covaciu, la mise en rétention est annulée. C’est vrai que le coup de la carte d’identité, c’était un peu gros… Au moins, le juge aura montré qu’il savait lire…

Monsieur Covaciu a donc été libéré quelques minutes avant de monter dans l’avion. Monsieur Civaci, lui, a eu le droit à un aller simple gratuit pour la Roumanie.

Madame Covaci et son fils sont partis sans bien comprendre la décision. Dans quelques jours, tous seront revenus. On aura dépensé beaucoup de temps et surtout beaucoup d’argent pour rien.

On nous explique à longueur de temps qu’il faut se serrer la ceinture, que la crise va nous avaler tout cru, qu’on doit ponctionner plus d’impôts mais, dans le même temps, on dépense sans compter pour offrir des voyages gratuits à des citoyens de l’Union Européenne qui reviendront dans la semaine.

Il est vrai que quand on aime, on ne compte pas.

Qu’est-ce qu’il doit aimer les roumains, Monsieur Sarkozy… Est-ce parce qu’il est lui-même d’origine hongroise, presque un voisin ?

En France, en 2011, la police procède à des rafles en toute impunité dans le seul but de servir la stratégie électorale de monsieur Sarkozy.

J’appelle rafle:

- Le fait de pénétrer sur un terrain privé et les cabanes qui font office de domicile sans aucune justification juridique.

- Le fait de réveiller des gens chez eux sous le seul prétexte de leur origine ethnique ou géographique, de les aligner comme du bétail, de leur faire signer des papiers qu’ils ne comprennent pas.

- Le fait d’embarquer quatre personnes au saut du lit, à l’abri des regards, de les enfermer sans même les avoir écoutées et de refuser de les présenter au juge de peur que celui-ci ne les libère.

- Le fait de recenser, de photographier, de ficher et d’expulser une population du seul fait de ses origines et de se servir de ces expulsions à des fins purement politiques.

La campagne présidentielle de Sarkozy a bel et bien mal commencé.

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