Philippe B. Kabongo-Mbaya

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Billet de blog 21 mars 2017

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Le Pape François et Paul Kagame, regard régional d'une réconciliation

Le contentieux entre le Saint Siège et Kigali est-il résolu depuis hier, suite à la visite de Paul Kagame, président du Rwanda, au Vatican?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le contentieux entre le Saint Siège et Kigali est-il résolu depuis hier, suite à la visite de Paul Kagame, président du Rwanda, au Vatican? Les cadeaux échangés entre le pape et l'homme fort de Kigali ont paru à beaucoup bien parlants. Une médaille portant  inscription : "Un désert devenu jardin" de la part du souverain pontife, saluant l'œuvre politique accomplie par Paul Kagame au Rwanda. Un sceptre royal traditionnel, richement orné, rappelant au pape son ministère de rassembleur : tout un symbole venu d’un chef d’Etat parmi les plus méfiants envers le  Vatican.  

Plus que sur le contenu des paroles échangées, dont personne ne peut connaitre toute la teneur, ces images très chargées emblématiquement demandent à être décryptées.

1°- Qui est le pape François ? C’est l'autorité suprême de l'Eglise catholique romaine et le Chef de l'Etat du Vatican. Un pape n'est pas un "commandant en chef des évêques" dans le monde, mais l'évêque des évêques dans la communion et la gouvernance de l'Eglise catholique. Jamais le pape n’administre ni ne s’ingère directement dans les affaires des « Eglises locales », c’est-à-dire les diocèses. Si un évêque est reconnu coupable pour un crime, c'est cet évêque fautif qui doit en répondre, et non l'Eglise catholique tout dans son ensemble. Pensons aux affaires de pédophilie, par exemple. Des évêques et des prêtres "génocidaires", poursuivis ou inculpés pour ce crime contre l'humanité, le sont dans cette même logique judiciaire. Et individuellement. Une culpabilité collective ne peut être invoquée. On ne devrait pas confondre cela avec le préjudice moral qui lui, tout comme l’autorité symbolique de l’Eglise, peuvent être entamés. Or, pendant et après le génocide rwandais de 1994, la campagne menée par les lobbyistes rwandais ou pro-rwandais ont toujours amalgamé "Eglise", ses ouilles et son hiérarchie dans une méga-culpabilité idéologique, psychologique et surtout médiatique.

2°-Qui est Paul Kagame? C'est le chef d'une rébellion farouche, connue sous le nom de Front patriotique rwandais (FPR), rassemblant des combattants sur une base plutôt ethnique, en même temps soucieux de sa crédibilité nationale et ouvert aux dissidents et autres opposants issus de la principale  communauté du pays , les Hutu. Le cerveau et le stratège du montage politico-militaire pragmatique n'était personne d'autre que Paul Kagame. Un exilé tutsi, l'incarnation du Tutsi-Power, ayant servi le nouveau pouvoir ougandais, dans le domaine militaire et du renseignement. Paul Kagame, vice-président de l'Etat post-génocide, était en réalité le "Président" véritable du Rwanda, avant l’officialisation de ce statut et après que Pasteur Bizimungu (que j'ai connu à Strasbourg), leader politique hutu, ait été démis de ses fonctions à la tête du pays, puis embastillé.

Les anciens exilés rwandais (les tutsi, donc), revenus de l'Ouganda, étaient largement gagnés au protestantisme des Eglises et groupuscules de réveil. Par bien des côtés, ce protestantisme identitaire a des côtés intégristes, qui font penser à une forme de "salafisme chrétien". Or, la majorité des Hutu sont catholiques romains. Quand les appartenances communautaristes recoupent un  repli religieux de type identitaire, cela forme un cocktail assez redoutable! Mais ceci est une autre affaire.

C'est pourquoi, loin d'être rabat-joie, on a le droit de s'interroger à quel « Paul Kagame » le pape a-t-il remis le cadeau déjà évoqué. A l'intraitable guerrier, autocrate en devenir, ou au grand-homme d'Etat, ayant fait passer son pays de la désolation à une autre condition, celle de la prospérité? La même question pourrait se poser dans le sens inverse. Que signifie le geste de Kagame envers le pape François? "Reconnais que ton Eglise au Rwanda a été génocidaire et, de mon côté, j'accepte ton autorité de rassembleur des hommes sous le signe du catholicisme dans le monde"?

Clarifier ces zones d'ombre entre la diplomatie vaticane et l' « homme fort » de Kigali me parait salutaire afin que les cadeaux échangés ne soient, ni aujourd'hui ni demain des "cadeaux empoisonnés".

Natif du Congo-Kinshasa, je suis bien au courant de ce qui se passe dans toute cette sous-région du continent. Ce serait trop long que je m'attarde sur des événements monstrueux, le génocide informel  (5000.000 de morts) qui dure dans le Nord-Est et l'Est de la République démocratique du Congo. C'est long d'expliquer le système de prédation que les dirigeants du FRP ont mis place sur cette énorme territoire congolais: une véritable administration, officiellement "in abstentia". En Occident, pour celles et ceux qui n'ont ni des raisons familiales ni un motif professionnel, le régime de Kigali reste politiquement et diplomatiquement inattaquable concernant la crise de toute cette région des Grands lacs en Afrique centrale.

Il est évident que les failles des Etats dans cette grande région, la nature des leaders politiques et militaires que l'on rencontre dans ces pays, le cas est flagrant en RDC, n'arrangent rien. Constater cela ne conduit nullement à confonde les facteurs dans leur constellation des causes déterminantes. Il y a la crise interne à chaque pays; mais, il y a aussi toute la dimension régionale de cette même crise, en tant que dynamique négative transfrontalière; il y a enfin les interventions internationales, qui impactent les deux foyers de la crise déjà signalés.

Pour ce qui est des relations entre la RDC et le Rwanda (peut-être aussi entre le Rwanda et le Burundi, ces derniers temps), l'interaction, par des facteurs directs ou des sous-crises, est d'une intensité, d'une complexité dévastatrice.

Quiconque sait comment les multinationales investissent au Rwanda afin de pouvoir piller le coltan et d'autres minerais de sang en RDC ; comment Kigali entretient les milices locales qui ravagent les villages, répandant des maladies endémiques (le VIH/Sida en tête), sans parler des massacres récurrents, perpétrés par des rébellions à la solde de Kigali au Nord et au Sud Kivu ; comment cela en vue de d'amplifier, notamment, le mouvement migratoire interne et attise les conflits identitaires ( on se rappelle ici de l’action lobbyistes pro-rwandais, qui avaient réussi à faire en sorte que Nicolas Sarkozy soit l'avocat de Paul Kagame au sujet d'un "partage" de territoires et d'une "nationalité transfrontalière"), l'action du Rwanda dans cette atroce conflictualité est vraiment loin d'être relative.

Il ne s'agit ni plus ni moins que d’un "déplacement" des structures et des potentialités génocidaires. Chez le voisin.  Condition sine qua non du recouvrement de la sécurité et de la prospérité chez-soi. Paul Kagame a même pu déclarer publiquement un jour : " Si nous sommes un problème au Congo, nous pouvons être aussi une solution...". Faire du Rwanda un "bouc émissaire" dans la région n’avance à rien. Passer outre ses crimes, sous prétexte que cela exonère l'impotence des Etats voisins, c'est être objectivement complice du militarisme et des velléités expansionnistes de Kigali. Qui oubliera l’aide militaire et de formidables financements que les USA, la Grande-Bretagne, mais aussi Israël, ont apporté au Rwanda pendant des décennies. Dans l’UE, à part la France, Kigali a pu compter sur des solides soutiens.   

Bien souvent les média occidentales, voire africaines, se complaisent dans cette impasse ou déficit de lucidité. Les ONG occidentales, qui avaient été en pointe au moment du génocide rwandais de 1994, restent encore profondément handicapées dans la compréhension de ces évolutions meurtrières. Une forme d'impunité est attribuée au régime de Kigali par la grâce acide du génocide. Cette attribution est devenue une sorte d'indulgence "illimitée" offerte à l'autocratie militariste, affairiste, vis-à-vis de ses voisins ; cynique et intraitable pour sa propre société.

Si le pape croit sincèrement que le Rwanda est passé du désert de sécurité et de paix au "jardin d'Eden" de prospérité, il faudrait  que quelqu'un l'éclaire et lui précise où sont passées l'insécurité et la guerre, la misère et les crises humanitaires, dont ce "paradis" est aujourd'hui épargné! C'est une importante donnée dans ce dossier de normalisation diplomatique entre Kigali et le saint Siège. Car les enjeux dans cette sous –région africaine sont ont des ramifications résolument systémiques. 

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