L’atelier d’écriture a laissé la place depuis bientôt deux mois à l’atelier les mots. Qu’est-ce que cela change au fond ? Cela revendique en tout cas qu'il n'y a jamais d’injonction à écrire. L’écriture est avant toute chose une liberté de dire, par une parole, par une voix, un prolongement des gestes, des traditions orales, dans une autre langue pourquoi pas, avec les outils et les leviers dont on dispose, que l'on a sous la main : l’ami qui nous encourage, le traducteur numérique, la discussion à battons rompus, le travail collectif, le déplacement d’un lieu à l’autre (de la maison de quartier à la bibliothèque par exemple), l’envie d’écrire qui nous tenaille depuis longtemps, une revanche à prendre sur un apprentissage laissé vacant. Écrire ne se décrète pas.
Les défis à relever : trouver sa propre voix dans des cheminements personnels souvent semés d’embûches, trouver du temps pour soi, construire une pensée structurée ; embrasser les prétextes de l’atelier pour parvenir à une expression libre, sans y être directement confrontée, contrainte, mais plutôt par des détours, des jeux, des tentatives, des loupés,... Mais comment faire ? Cela ne s’écrit pas dans un manifeste mais s’expérimente en creux, au fil de l’atelier, en découvrant ce qui justement ouvre les portes du dit et du non dit.
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Donnons quelques exemples : je tire des mots au hasard, je pioche avec plaisir, découvre un mot, à la fois simple et vertigineux (« une armoire à souvenirs », « un miroir »), j’écris un bout de phrase d’apparence anodine sur une feuille blanche. Collectivement, un montage se fait presque naturellement et un phrasé apparait, sans que l’on s’y attende, les mots trouvent leurs places. Derrière les mots, des émotions, des histoires cachées qui disent l’indicible ou qui laissent des silences entre les lignes et taisent l'impossible à dire.
- « Je suis sûr que tu as plein d’idées pour écrire »
- « Ça me bloque, il faut débloquer, ce n’est pas le moment »
Manière de dire : « N’insiste pas ».
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Un autre exemple, vieux comme l’idée même d’un atelier d’écriture : l’acrostiche. Un mot simple comme « mer » ou « joie » ; avec chacune des lettres de ce mot, naissent des fragments de phrases. Des mots viennent naturellement trouver place dans ce fatras, une lettre après l’autre, presque intuitivement. Alors oui, sans aucune injonction, simplement à partir d’un cadre, peut-être d’un exemple qui inspire, on joue avec les mots, avec hésitation, parfois même avec anxiété devant un geste confisqué qui cristallise toutes les frustrations et tous les désirs ; car il s’agit d’oublier ses peurs, ses démons. Personne ne vous jugera et les mots finiront bien par advenir si on vous laisse la liberté d’au moins essayer écrire.
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On pourrait donner des dizaines d‘exemples : le mot « enfance », dit et écrit à la volée, parce qu’il nous semble important ; ce mot qui soudain déclenche l’envie d’écrire et rappelle un souvenir d’enfance justement. Puis, un conte advient; puis un autre conte, bouleversant, qui dira en creux l’assignation à être une bonne épouse, confinée au domicile. Par la lecture, par le fil de la pensée, ce conte donnera envie d’écrire une autre histoire avec en titre, « Le monde des hommes »...
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Ici, les femmes refont le monde ou plutôt le racontent autrement, avec retenue mais détermination, tissent des histoires avec le désir intime de le partager à d’autres, de transmettre leurs émotions, leurs souvenirs, leurs vérités. Il y a des centaines d’histoires inconnues à écrire, toutes singulières. Nous brulons de les faire découvrir.
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Malya Chidiac, dans son livre L’écriture qui guérit a une très belle formule qui dit aussi qu’il faut refuser l’injonction à écrire, justement sans s’occuper du contenu de ce qui est dit, mais simplement poser le cadre pour que les patients (ici les participantes) s’y sentent en sécurité.
« Comme pour les rêves, le contenu qui doit advenir apparaîtra ». Chaque mot est singulier, chaque mot est nécessaire dans la langue de celle qui écrit, je veux dire même dans ses lacunes, ses imperfections, son style parlé qui lui est propre (il faudra dire un mot du respect que l’on doit porter à cette langue écrite quand elle est transcrite, transmise).
Le rôle de l’accompagnant·e (celui ou celle qui donne envie ou qui pose la main sur l’épaule), outre d’être garant·e d’un cadre, est simplement d’accueillir et de valoriser ce qui, d’un coup d’un seul, survient. Un atelier d’écriture se doit d’être une surprise quotidienne, sans quoi il n’est qu’un labeur de plus pour celles qui y participent et pour ceux qui l’animent.
L'article contient des productions écrites par les participant·es qui en ont autorisé la publication. Les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité.