Post lucem tenebrae
A Genève, le Département de l’instruction publique a abandonné l’enseignement des Grands Textes, dont «certains sont compliqués à aborder ou sont en décalage avec les périodes à étudier selon le Plan d’études romand», selon Isabelle Vuillemin, directrice du Service de l’enseignement et de l’évaluation. Comme le journaliste Rachad Armanios l’expliquait dans un article du Courrier paru le jeudi 26 avril 2018, c’est « en 2011, sous la houlette du magistrat Charles Beer, (que) l’enseignement des grands textes fondateurs de nos civilisations, qu’ils soient religieux, historiques ou philosophiques, était introduit au Cycle d’orientation. Cette approche, visant à faire se côtoyer le Coran, la Bible, Homère, Montesquieu ou Gandhi dans les cours d’histoire et d’éducation citoyenne, avait été la solution trouvée pour enseigner le fait religieux dans le cadre d’un canton laïque.
Chose remarquable sinon curieuse, le Plan d’études romand existait déjà lorsqu’une commission ad hoc planchait à Genève sur les Grands textes, qui furent validés en due et bonne forme par le Service de l’enseignement du Département de l’instruction publique .
Sous la houlette d'une nouvelle présidente du Département de l'Instruction publique, on a donc recentré « sur les religions ». On précise alors que «Le fait religieux doit être abordé comme une réalité historique pour comprendre les religions sans jugement et sans prosélytisme» comme l’explique, non sans candeur, Mme Vuillemin.
Beau programme, et pieux relativisme ! Que faut-il comprendre, derrière cette « approche »? Le fait religieux (une invention pieuse) a toujours été une notion pour le moins obscure. Dans l’histoire il existe des constructions humaines qui sont effectivement (dans certains contextes) reconnues par nous (héritiers d'une histoire européo-chrétienne) comme "religieuses". Ce qu’on appelle les religions (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme, shintoïsme, taoïsme, etc..), ce ne sont toutefois pas des faits, mais des catégories mouvantes, plurielles, contradictoires, imposées par des pouvoirs dominants, et parfois soutenues par des institutions. C’est très compliqué. Il y a des historiens qui travaillent sérieusement sur ces questions, mais on ne semble pas les avoir consultés avant de remettre en question l’approche prudente des Grands textes. On s'appuie sur des publication de tendance "interreligieuse", et on demande aux éventuels experts d'intervenir après coup, pour légèrement corriger le tir...
Il y a de quoi être inquiet. Ne risque-t-on pas de remplacer l’enseignement des Grands textes (conçu dans une perpective historienne et anthropologique), par une sorte de catéchisme laïque et pluriel, au nom d’une laïcité définie comme « neutre » ?
Telle est la question.
Après La vie mode d'emploi (de Georges Pérec, de Georges Pérec, faut-il préciser?), et après l'abandon des Grands textes, voici que le Département de l'Instruction publique décide d'utiliser comme instrument pédagogique une expo ludique sur le thème Les dieu(x) modes d'emploi. En voici la présentation, dans le journal Le Temps du 12 octobre 2019:
"L’exposition ne veut pas jouer au savant. Plutôt, elle nous emmène en pèlerinage à la rencontre de ceux qui croient. Un voyage coloré et non exhaustif, avec quelques moments de grâce. Comme ...cette salle où résonnent des extraits sonores du monde entier, mariant musique de messe, clochettes et chants traditionnels dans une harmonie insoupçonnée".
Eh ben. Vive les sciences historiques! Bonne chance aux maîtres pédagogues qui devront y conduire leurs élèves! Et vive la laïcité débridée!