On vit une époque étrange. Les « gilets jaunes » rappellent à la France que la politique sociale dictée par les banques et les fonds monétaires est un échec. Cette révolte est tout à fait normale. Elle était même prévisible. Mais je n’y distingue pas d’appel sérieux à un vrai changement qui soit porté par une vraie pensée (au sens de 1789). Par exemple, rien ne semble dit du côté des gilets jaunes sur les émigrés et les migrants, ou sur la fin inéluctable du patriarcat, ni sur la nécessité de réagir enfin pour contrer la pauvreté créée par le colonialisme et le néocolonialisme, cet écrasement programmé des simples et des petits, au profit de quelques « élites » tyranniques, en Afrique, dans les pays arabes et ailleurs.
Honneur donc à Madame la capitaine d’un navire salvateur, Carola Rackete, qui a décidé ces jours de forcer le blocus encouragé par les crétins qui dirigent l’Europe. Cette personne mérite le respect. Absolument. Et non l’opprobre dont d’immondes personnages veulent la couvrir.
Il était temps de parler, de dire haut et fort ce que nous dictent à la fois la raison et le coeur.
L’opposition du coeur à la raison, n’en déplaise à Pascal, ne tient pas debout. Il faut ré-émotionnaliser la raison. Sans fausse pudeur. Réintroduire les larmes. Les héros homériques pleuraient. Madame Rackete a pleuré, dit-on, une fois recluse dans une chambre de Lampedusa.
Proclamant l’impuissance d’une révolte morale, la reléguant au statut d’émois de type vaticanesques (nobles mais sans aucun effet), ou d’ atermoiements féminins considérés avec condescendance, des « responsables » fascisants, fiers de leur mâle rationalité, accompagnés de quelques femmes heureuses d’un pouvoir de type masculin probablement conquis de haute lutte, répètent à qui mieux mieux, depuis leurs tribunes officielles, qu’il faut malheureusement, mais absolument, distinguer le réalisme de l’idéal, le sérieux du rêve, la réalité des bons sentiments. Ce faisant, en prétendant vouloir séparer un grain raisonnable de l’ivraie du désir, ils et elles nous conduisent droit à la catastrophe. Il faut non seulement refuser de se laisser berner par cette rhétorique, il faut casser cette opposition débilitante entre pragmatisme et bons sentiments, masculin et féminin, quitte à transgresser des injonctions policières. C’est ce qu’a fait Carola Rackete, capitaine d’un navire salvateur.