"Ce matin, le tribunal de commerce a annoncé la liquidation judiciaire de la SARL Le Patriote avec cessation immédiate de l’activité et donc la non-publication du Patriote à partir de la semaine prochaine". Sale coup pour la pensée plurielle, déjà moribonde dans notre république décatie, qui ressemble de plus en plus à un tubard sub-claquant auquel on ôte de l'un après l'autre les derniers tuyaux qui lui permettent encore de respirer l'air de la liberté.
On ne va pas faire le panégyrique du Patriote, les Niçois à la mémoire longue ou les plus jeunes d'entre eux concernés par la politique et la pensée sociale connaissent ce pilier du paysage médiatique niçois. En revanche, il y a à dire sur le côté "politiquement absurde" de cette non-assistance à média en danger de mort.
La France à un président de gauche, un gouvernement de gauche, un Sénat de gauche, une Assemblée Nationale de gauche, ses Régions sont à gauche, ses départements et ses municipalités sont en majorité de gauche, bref, la gauche tient la France. Et cette gauche toute puissante serait incapable de sauver un journal de gauche, issu de la Libération ?
Ou alors n'est-ce pas une question de capacité, mais de volonté ? En gros : on a gagné, plus besoin de vous, merci pour tout et bonne chance ? A croire qu'un journal de gauche, c'est bien à condition qu'il soit politiquement correct, consensuel, qu'il appartienne au microcosme parisien, aux milieux bobos, avec des journalistes qui vont prendre leurs directives au dîner mensuel du Siècle, à l'hôtel Crillon, le dernier mercredi du mois, où se retrouvent de vrais "rebêles" indépendants tels que Laurent Joffrin (Libération), Jean-Marie Colombani (ancien président du Monde), Michel Field (l'ancien "révolutionnaire" de Mai 68), Serge July (compagnon de barricades du précédent)... qui viennent laper la bonne soupe bien grasse dans la gamelle généreusement tendue par les magnats du CAC40 et leurs valets politiciens, pseudos-philosophes et autres "penseurs" responsables de la faillite de la France façon Alain Minc. Des "journalistes" dont il faut être vu en train de lire les éditos à une terrasse de café, affublé, selon, d'un chapeau à larges bord et d'une écharpe blanche (pour Libération) devant un crème à 3 euros ou d'un costume en velours avec écharpe rouge devant une demi (pour Le Monde), histoire de lever des étudiantes de Sciences Po pipeau candidates à l'introduction dans une rédaction d'un média "de gôche" ?
Mais un journal de gauche populaire, communiste, de province en outre, une fois la victoire des forces progressistes assurée, ça devient gênant. Si on n'y prend pas garde, ça pourrait même commencer à sentir le populisme ranci, la sueur des ouvriers mis au chômage par camions par la collaboration Hollande-Merkel, bref, le peuple. D'ailleurs, on l'a bien vu ces derniers temps : quelques industries liquidées, quelques milliers de chômeurs de plus ici et là, quelques hauts fourneaux qu'on éteint pour les rallumer en Inde, quelques pneus de bagnoles dégonflés pour être façonnés en Roumanie, et voilà les électeurs qui passent du PC au FN, comme ça, sur un coup de tête, un caprice. Le coco de base, c'est stupide : ça comprend même rien à l'économie et encore moins à l'Europe. Tu lui fous une chapka et t'obtiens un bolchevik. On se demande bien à quoi ça sert que Montebourg y se décarcasse à porter des sweats "made in France" (plus pour longtemps d'ailleurs).
Or, nos députés européens repartent en campagne, pour qu'on leur renouvelle leurs 10 000 euros par mois net d'impôts, tous frais de déplacement payés. C'est pas le moment de lui expliquer les choses, au peuple électeur. Alors un hebdo communiste, populaire, "patriote" (un terme nauséabond aux relents de souverainisme), c'est pas fiable. Au moment où la gauche institutionnelle accumule les erreurs dans tous les domaines de la société, ses dirigeants - les multi-millionnaires à la Fabius, les victimes du fisc à la Cahuzac, les persécutés de la Justice comme Tapie (l'ancien ministre socialiste patron de presse à Nice, dans la circonscription médiatique du Patriote) - préfèrent peut-être éviter le risque d'un dérapage incontrôlé, d'une dérive isolée, d'une note dissonante au sein de leur partition, serait-ce dans un coin perdu tout au bout de la république, encore plus loin que Marseille, un trou où même le TGV n'accède qu'à la vitesse d'un tortillard.
Rien de nouveau dans cette attitude de la gauche bien propre sur elle comme il faut. En février 1981 naissait Combat socialiste, un quotidien médiatico-militant destiné à appuyer la campagne présidentielle de François Mitterrand. 48 heures après la victoire de celui-ci, les collaborateurs trouvaient les locaux du journal vides et ils attendent toujours d'être payés. A cette différence près que Combat socialiste n'avait aucune histoire, aucune assise, aucune épaisseur. Mais le principe est le même : un média "Kleenex", à jeter après usage.
Cette suspension, brutale comme le couperet d'un massicot, est symbolique s'agissant d'une institution comme Le Patriote, dont l'existence est indissociable de l'aventure de la presse issue de la Libération, de l'imprimerie - bastion des ouvriers du Livre, le plus fort syndicat communiste historique avec celui les dockers - et de la vente militante dans la rue. Mais la rue, précisément, elle qui est la grande oubliée de ce gouvernement de gauche omniscient et omnipotent, ne pourrait-elle se mobiliser pour soutenir le dernier canard imprimé niçois qui se mêle de parler société et politique, et qui le fait bien ? Trop bien peut-être.