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Billet de blog 3 décembre 2016

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Place al-Bourak

Certains élus parisiens s’offusquent de l’appellation place al-Bourak, (esplanade du mur des lamentations.) utilisée par l’UNESCO le 26 octobre. Quid des 48 000 maisons palestiniennes détruites depuis depuis 1967, (dont 190 en 2016)? Quid de la construction d’un musée de la tolérance à la place du cimetière Mamilla?

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Place al-Bourak

À l’origine du vœu déposé par N. K. Morizet, D. Burkli, C. Goasguen, J.-D. Berthault et les élus du groupe LR et approuvé par Anne Hidalgo, l’adoption le 17 avril 2016, d’une résolution par l’UNESCO et par la voix de la France, selon laquelle le mur des Lamentations est dénommé « Place al- Bourak » appellation qui nierait les liens« historiques, culturels et religieux, pluri-millénaires du peuple juif avec Jérusalem ». Une résolution votée les 13, 18 et 26 octobre par 24 pays à l’UNESCO, la France s’étant abstenue.

Retour historique sur la place « al-Bourak »

Commençons par les faits bruts: On sait que quand les troupes israéliennes atteignent le Mur le 7 juin 1967,l’accès au Mur occidental qui avait été interdit aux juifs par les autorités jordaniennes pendant une vingtaine d’années à la suite de l’armistice de 1949, leur redevient possible. Très vite,  ils entament la destruction du quartier Mughrabi , et en expulsent 650 habitants, afin de dégager ce qu’on nomme l’esplanade du Mur occidental.( Mur des lamentations pour les Européens) et ne plus se contenter, comme par le passé,  des quatre mètres existants entre les maisons et le mur.

Voyons maintenant comment l’accès à ce mur occidental est décrit par l’historienne israélienne Anita Shapira, dans un des manuels Nathan de lycée : « J’ai vu mes camarades […] se sentir transportés par la majesté du lieu. […] J’ai su ce que je ressentais depuis quelque temps déjà : le judaïsme est profondément ancré en nous, que nous soyons laïques ou religieux, et l’éducation ne peut rien y changer… »

On a là une emphase que ne démentiraient pas les zélés conquérants Moshe Dayan et Yigal Allon, emphase doublée de mysticisme… Pour les héritiers des Lumières que nous sommes, quepeut bien signifier en effet un ancrage qui ne saurait être le fait de l’éducation, puisqu’elle « n’y peut rien changer », et qui ne relève ni de la culture laïque, ni de la religion, puisque les deux sont indistinctement affectées ? En dehors d’une référence à une continuité généalogique, à un ethnos racial trans-historique tel que revendiqué par les historiographes juifs comme Graetz, Hess, Doubnov, Baron, Baer, Dinur, Ruppin, on ne voit pas quel sens peut contenir ce commentaire d’Anita Shapira.

L’effet de groupe combiné à l’ivresse de la victoire, on le sait, constituent les conditions de production de déclarations lyriques, voire mystiques, notamment en présence d’ouvrages millénaires, tel le mur de pierres taillées de Jérusalem. Un tel ouvrage ne laisse personne indifférent, et cela, indépendamment de ce qu’il véhicule pour les religieux.

Eu égard à la « jouissance » décrite par Anita Shapira, on rappelleracequ’en dit Chantal Mouffe (déjà citée dans mon article « Frédéric Martel et l’éloge de la conquête ») : « Slavoj Zizek utilise le principe lacanien de jouissance pour expliquer l’attrait du nationalisme. Dans Tarrying with the Negative, il montre que […] le lien qui unit les membres d’une communauté entre eux, implique toujours un rapport commun à une Chose, à une Jouissance incarnée. C’est cette relation à la Chose structurée par le biais de fantasmes qui est en jeu lorsque l’on parle de la menace que représente l’Autre pour notre « mode de vie . […] La Cause Nationale n’est finalement rien d’autre que le moyen par lequel les sujets d’une communauté ethnique donnée organisent leur jouissance à travers des mythes nationaux. » (Chantal Mouffe : L’illusion du consensus, éditions Albin Michel, p. 45)

 Traitant de cette « jouissance », le philosophe juif  Yeshayahu Leibowitz, va plus loin que Slavoj Zizek,  nommant le Mur des lamentations, « disco Kotel », soit « discothèque de la présence divine ». 

 En phase avec « les choses » et non plus « La Chose », le soldat Shlomo Sand, donne sa version, terre à terre, de son arrivée au Mur occidental après la victoire de 1967 :« Nous apercevions, par instants, des regards épouvantés derrière une fenêtre. Au bout d’une petite heure, nous parvînmes dans une étroite ruelle, bordée sur un côté par une haute muraille en pierres de taille ; à l’époque, le vieux quartier Mughrabi n’avait pas encore été détruit. Nous étions épuisés et à bout de nerfs ; le sang des morts et des blessés maculait encore nos tenues de combat puant la sueur et la saleté. Mais nous étions surtout obsédés par la recherche d’un endroit où soulager nos besoins naturels. Nous finîmes, par respect de ceux qui étaient religieux, par uriner sur les maisons, sur le côté opposé au Mur. […] J’étais impressionné par les dimensions imposantes de ces pierres taillées ».

On a ici un récit des évènements à caractère anthropologique aux antipodes de celle, idéologique, d’Anita Shapira figurant dans le manuel Nathan.

On opposera, dans le même esprit de confrontation de l’idéel au matériel, la contestation d’ordre linguistique produite par les élus sionistes précités dans leur vœu contre le vote de l’UNESCO, et les faits établis sur le terrain, à savoir, l’éradication progressive de l’implantation arabe à Jérusalem, au profit d’une judaïsation toujours plus intense, sous la forme notamment de constructions israéliennes en lieu et place de lieux d’habitations arabes détruits.

Extrait partiel de la résolution de l’UNESCO:

unesdoc.unesco.org/images/0024/002443/244378f.pdf : Le Conseil exécutif « déplore » :

  • Les agressions israéliennes et les mesures illégales limitant la liberté de culte et l’accès des musulmans au site sacré de la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif.
  • Le refus d’Israël d’accorder des visas aux experts de l’UNESCO chargés du projet de l’Organisation au Centre pour la restauration des manuscrits islamiques de la mosquée al-Aqsa/al-Haram al-Sharif.
  • les récentes confiscations de parties du cimetière al-Youssefeyah et de la zone d’al-Sawanah ; l’interdiction faite aux musulmans d’inhumer leurs défunts à certains endroits et l’installation de fausses tombes juives en d’autres lieux des cimetières musulmans ; la violation que représente la conversion persistante de nombreux vestiges islamiques et byzantins en soi-disant bains rituels juifs ou lieux de prière juifs,
  • L’approbation d’un plan de construction d’une ligne de funiculaire à deux voies à Jérusalem-Est, ainsi que le projet de construction de la dénommée « Maison Liba » dans la Vieille Ville de Jérusalem, la construction d’un centre destiné à accueillir les visiteurs – le dénommé « Centre Kedem » – à proximité du mur sud de la mosquée, la construction du Bâtiment Strauss et le projet d’ascenseur Place al Buraq (« place du Mur occidental »).

 Élias Sanbar, écrivain, poète et délégué permanent de la Palestine auprès de l’Unesco, répond le 9 novembre à la maire de Paris, lui reprochant la forme adoptée dans le vœu, « avec sa liste de considérants qui ressemblent fort aux attendus d’un jugement émis par un tribunal de l’Inquisition qui ne se serait pas encombré d’entendre la version de la partie injustement incriminée », et l’accusant d’effectuer une méprise sur le fond, qui, dit-il,  « souligne en toutes lettres et à deux reprises, la centralité de Jérusalem, d’Hébron et de Béthléem, pour les trois religions monothéistes ». (www.france-palestine.org/Elias-Sanbar-s-adresse-a-Anne-Hidalgo.

État des lieux des destructions : Maath Musleh rappelle sur le site www.alterinfo.net › La Capitale de la Palestine : Sans Arabes en 2015, que le 10 juin 1967 Israël démolit le quartier marocain en face du Mur occidental, détruisant 135 immeubles résidentiels historiques. Qu’en 1980, Israël déclare l’annexion de Jérusalem-Est contre le Conseil de sécurité des Nations Unies qui condamne cette déclaration dans sa résolution 478. Que le gouvernement israélien a confisqué 86 % des terres palestiniennes à Jérusalem-Est depuis l’occupation. Que dans certains cas, les zones habitées sont annexées, comme c’est le cas du village de Al-Wallajeh, ou des secteurs d’Antan et de Best Jala. Que la population palestinienne de Jérusalem-Est a décru de 18 % pendant les premières semaines de l’occupation, pour tomber les années suivantes de 100 % à 67, 2 %, puis en 2011, à 58 %. Qu’entre 1967 et 2011, le gouvernement a révoqué le droit à résidence de quelque 15 000 Palestiniens de Jérusalem-Est. Que 10 000 enfants palestiniens de la ville, n’ont pas été enregistrés parce que seul un de leurs parents avait le statut de résident permanent. Qu’en décembre 2011 le maire annonçait que la municipalité allait enregistrer comme non-résidents les Palestiniens vivant derrière le mur. Que le mur a permis à Israël de se débarrasser de quartiers densément peuplés comme Abu Deis, Shuafat, Qalandia, et que la municipalité projetait de se débarrasser des quartiers palestiniens peuplés qui sont à l’intérieur du mur, comme Essawiyeh, Sur Baher, Im Tuba et Anata. 

L’auteur rappelle aussi la publication par Le Guardian en mars 2009, du rapport de l’Union Européenne, que cette dernière avait renoncé à publier, lequel dressait un bilan des faits accomplis israéliens sur le terrain.

 On n’a pas souvenance, de la part des signataires du vœu contre le vote de l’UNESCO, du déploiement d’une ardeur semblable pour dénoncer la colonisation de Jérusalem-Est et l’expulsion progressive de ses habitants palestiniens, et, notamment, le renoncement de l’Union Européenne en 2009, à publier ce rapport rédigé par ses observateurs…

Arguant des liens « historiques, culturels et religieux, pluri-millénaires du peuple juif avec Jérusalem », les auteurs du vœu ne dénoncent pas la collusion du religieux et du politique à l’œuvre dans le nettoyage ethnique de Jérusalem-Est. Une collusion qui en rappelle une autre, dénoncée à une autre époque, par Flaubert, fustigeant les faux prophètes : « Mais comme tout cela est faux ! Comme ils mentent ! Comme c’est badigeonné, plaqué, verni, fait pour l’exploitation, la propagande, l’achalandage ! » (G. Flaubert, Par les champs et les grèves.)

Le troisième des six « considérants » que comprend le vœu, énonce que « le rôle de l’UNESCO est de promouvoir l’éducation, la science et la culture, non de prendre des décisions politiques. » Nommer place al Bourak l’esplanade du Mur occidental, serait donc une prise de décision politique, mais le « laisser faire » eu égard au nettoyage ethnique ne le serait pas… Élias Sambar est pourtant clair sur le choix d’un énoncé qui s’oppose à, dit-il,  « la demande persistante du délégué israélien, aux antipodes d’un quelconque respect des religions, ne visant qu’à une légitimation de l’annexion de la Ville occupée en 1967 sous couvert du respect de la foi des citoyens juifs d’Israël. Pratique "toponymique" commune à tous les occupants de quelque religion qu’ils se prévalent. »

Autre exemple emblématique de l’éradication de la présence arabe : la construction, d’un musée de la Tolérance sur le cimetière de Mamila à Jerusalem.

On lit dans l’article de Vijay Prashad (Frontline - magazine indien) que le « cimetière Mamilla, à Jérusalem, date des premiers temps de l’islam et contient des tombes anciennes soufies, mamelouks et même de Croisés et, qu’en 1927, le Haut Conseil Musulman avait mis un terme aux enterrements et l’avait classé site historique. Qu’en 1964, une section du cimetière a été rasée et transformée en parking avec toilettes. Que depuis 2004, il est devenu la proie du Centre Wiesenthal.

Que le Département des Antiquités israéliennes (IAA) a conduit des fouilles secrètes dans le périmètre sud-ouest du cimetière, le 26 juin 2011, profanant une centaine de tombes, violant le droit israélien – comme la loi sur les Antiquités de 1976 et les règlements de 1994 du ministère des Affaires religieuses sur le transfert de restes humains.

 L’auteur de l’article rappelle à cet effet le deux poids deux mesures de la politique européenne et française, Irina Bokova et François Hollande s’étant rendus au Mali après la destruction d’anciennes tombes à Tombouctou par Ansar al-Din, mais ne s’étant mobilisés contre la profanation des tombes du cimetière Mamila.

www.france-irak-actualite.com/2014/.../jerusalem-la-destruction-du-cimetiere-mamilla)

 Les auteurs du vœu contre le vote de l’UNESCO, défenseurs des « liens sacrés » des habitants d’un lieu, se sont-ils révoltés contre la profanation du cimetière de Mamila ? Il s’agit pourtant là de faits accomplis, matériels et non pas d’un écart linguistique, et non « performatif ».

 Pour conclure:

 Sans remettre en cause la symbolique du Mur occidental, on doit se distancier de toute « chose en soi », qui ne serait pas l’effet d’une construction, au sens littéral, et figuré… La reconstruction du Temple participe chez Hérode d’une frénésie de constructions tels, entre autres, un Palais royal et une forteresse qui domine le Temple. Une folie des grandeurs conjuguée à une paranoïa qui conduit le « roi des juifs » marié plusieurs fois avec des femmes d’origines différentes (juives, hasmonéennes, iduméennes), à faire assassiner les enfants issus de ces mariages et son épouse hasmonéenne Myriammé.

 Sur le plan de la pureté ethnique, à laquelle renvoie, en filigrane, le vœu contre le vote de l’UNESCO, rappelons qu’Hérode est lui-même un iduméen, par ailleurs ami des Romains et des Grecs.

Comme le dit Ami Bouganim dans Vers la disparition d’Israël », p. 26  :

« La civilisation juive - s’il en est une - ne s’est pas vraiment implantée dans les lieux par le passé. Les vestiges archéologiques les plus impressionnants sont hérodiens ou croisés. Or Hérode, grand bâtisseur, était un collaborateur des Romains, passablement hellénisé, et les croisés étaient porteurs d’une haine sourde du judaïsme. Sur le site archéologique de la ville du roi David à Jérusalem, on ne distingue pas entre les couches cananéennes et davidique. »

Rajoutons, au propos de Ami Bouganim, que David lui-même, référence ethnique transcendantale s’il en est, a lui même comme  grand-mère, Ruth, une moabite…

Une hybridité qui ne semble pas figurer dans les cartons des  signataires du vœu précité.

Aux  auteurs de ce  voeu, offensés par le terme al-Bourak, on rappellera avec Elias Sambar (Figures du Palestinien. ed. Gallimard.p. 223)  le recours sioniste à la toponymie à l’oeuvre depuis 1948,  comme outil de recouvrement d’un pays par un autre.

« Après 1948, le pays devint une ardoise vierge , sur laquelle le comité des noms va agir sans la moindre restriction. mais là encore l’entêtement de la terre, associé à la hâte des nouveaux maîtres des lieux jouera de drôles de tours… Ainsi la première carte israélienne à usage civil publiée (1956, puis 1958) reprend-elle une carte britannique au 1/100 000° de 1946 avec, surimprimées en violet, les remises à jour des routes et des localités. A ce détail près que les centaines de nouveaux juifs  y sont signalés sans pour autant que les villes, villages, ruines, Lieux saints et zones cultivées arabes d’avant 1948 n’en aient été effacées. On accole alors à chaque nom arabe, sur la carte, la mention en hébreu et entre parenthèses Harus, détruit… La première carte israélienne se retrouve être très exactement  celle de la Nakba. L’aveu involontaire fera loi jusqu’en 1958, lorsque sera publiée la première carte militaire en hébreu qui avala les noms précédents et présenta les nouveaux comme s’ils avaient été là depuis toujours. Ainsi les quatre cent dix localités palestiniennes rasées, n’auraient jamais existé… » 

Philippe Cross

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