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Billet de blog 9 juin 2016

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Le Grand Mufti de Jerusalem dans "Penser l'Islam" de Michel Onfray

Dans "Penser l'Islam", Michel Onfray reprend l'antienne israélienne, selon laquelle tout antisionisme se réduit à un antisémitisme.Il convoque, à cet effet, la figure du Grand Mufti de Jerusalem.

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L’antisionisme, selon Michel Onfray, dans « Penser l’Islam »

Extrait de « Penser l’Islam » page 102 :

On trouve chez Proudhon, Fourier, Toussenel, Leroux les mêmes assimilations entre les juifs, les capitalistes, les bourgeois et l’argent.

L’antisémitisme change de forme après Auschwitz, puis avec la création de l’État d’Israël. L’antisionisme en devient la principale composante. L’assimilation des juifs cosmopolites à l’argent du Capitalisme mondial s’augmente de nouvelles insultes : agent international du sionisme, puis suppôt de l’impérialisme américain. La gauche marxiste rejoint le camp des antisionistes constitué par les Palestiniens, les Arabes et les musulmans qui ne coïncident pas toujours, mais qui se trouvent associés dans la même entité idéologique et militante.

Certes la création d’Israël n’est pas allée sans d’incontestables expropriations infligées au peuple palestinien, mais ce peuple payait, hélas, la politique de collaboration avec Hitler menée par le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin al-Husseini. En effet, cet homme qui prétendait descendre du prophète approuve le régime d’Hitler dès 1933 ; il rencontre le dictateur à Berlin qui l’élève au rang d’Aryen d’honneur » ; il prêche en faveur du national-socialisme dans l’unique mosquée de Berlin ; il déclare : » Les principes de l’Islam et ceux du nazisme présentent de remarquables ressemblances, en particulier dans l’affirmation de la valeur du combat et de la fraternité des armes, dans la prééminence du chef, dans l’idéal de « l’ordre » ; il contribue à mobiliser des musulmans pour lutter dans des divisions SS, l’imam de la division Handschar affirme ainsi : « Pour tenter de rassurer mes camarades, je leur expliquais que tout musulman qui perdrait la vie au combat serait un shahid, un martyr » ; il visite un camp de concentration, mis au courant de la solution finale il souhaite qu’on extermine également les enfants juifs ; il a travaillé à un plan d’extermination des juifs d’Afrique du Nord et de Palestine. Hébergé par la France après guerre, il rejoint l’Égypte sans encombre sous un faux nom en 1946. Leïla Shahid, sa petite-nièce, a représenté jusqu’en mars 2015 l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne, une Autorité actuellement gouvernée par Mahmoud Abbas, auteur d’une thèse révisionniste soutenue en URSS en 1982.

Michel Onfray se référant à l’antisémitisme historique, fondé sur l’assimilation des juifs à l’argent du capitalisme mondial, fait de l’antisionisme une simple variante dudit antisémitisme. Seuls les termes auraient changé, l’impérialisme américain ayant remplacé l’argent. Cela suppose que pour le philosophe il n’y a pas de qualité intrinsèque du projet sioniste propre à provoquer son rejet. La critique du sionisme ne serait donc que le masque du bon vieil antisémitisme. Conscient de la gravité de son propos, le philosophe croit devoir rappeler que « certes, la création d’Israël n’est pas allée sans d’incontestables expropriations. ». Ce faisant, il n’a pas un mot pour l’expulsion des 750 000 Palestiniens, et de leur interdiction de retour et de la confiscation de leurs terres, de la destruction de 450 villages en Galilée, des massacres perpétrés avant et pendant la guerre de 1948, de la mise sous couvre-feu des Palestiniens de 1949 à 1966. Le nettoyage ethnique de la Palestine, tel que décrit par Ilan Pappé, se réduit donc à des expropriations, qui seules, rendent illégitime l’opposition au sionisme et le réduisent à une entreprise « idéologique et militante » disproportionnée.

Michel Onfray, souscrivant en cela à l’antienne israélienne, convoque la figure du mufti de Jérusalem, qui se serait entendu avec Hitler, et fait « payer au peuple palestinien cette collaboration. » Le peuple palestinien aurait donc été victime, non de l’immigration de 600 000 juifs de 1917 à 1947, mais du mufti de Jérusalem. Se référant aux années trente en Palestine, Michel Onfray passe sous silence la grande révolte arabe de 1936 à 1939 suscitée par l’immigration et le boycott du travail palestinien et préfère focaliser l’attention du lecteur sur la rencontre de al-Husseini avec Hitler en 1933 à Berlin. Selon le philosophe, « al-Husseini « approuve le régime d’Hitler dès 1933 ; il rencontre le dictateur à Berlin » ». Or, comme le rappelle, entre autres, Uri Avnery dans Gush Shalom le 31 octobre 2015, la rencontre avec Hitler a lieu fin 1941, un point capital puisque l’extermination des juifs avait déjà commencé après la conquête de la Pologne en 1939. Selon Uri Avnery, « à l’époque, en novembre 1941, l’extermination battait déjà son plein, et le Mufti n’en savait rien, Hitler ne lui en ayant pas parlé, au motif que c’était le secret d’État n° 1. »

Michel Onfray rappelle, par ailleurs à juste titre, que le Mufti contribue à mobiliser des musulmans pour lutter dans des divisions SS. Gilbert Achcar, auteur de « Les Arabes et la Shoah » confirme, disant qu’en mai 1942 il collabore au recrutement de musulmans des Balkans pour former la 13e division de montagne de la Waffen SS Handschar 22, mais l’auteur fait remarquer, a contrario, que « les Arabes et les Berbères qui combattirent dans les rangs des Alliés durant la Seconde Guerre mondiale sont considérablement plus nombreux que ceux qui combattirent dans les rangs des pays de l’Axe ».

Selon Alain Gresh, il y aurait eu « 9 000 Palestiniens dans les rangs de l’Armée britannique, des centaines de milliers de Maghrébins dans les troupes de la France libre, sans parler de centaines de déportés arabes dans les camps nazis. ».

Selon Uri Avnery, le Mufti resta en Allemagne quatre ans sans être jamais reçu par Hitler, ce qui démontrerait le peu de considération que ce dernier avait pour lui. Uri Avnery rappelle aussi que si al-Husseini a considéré que les ennemis de ses ennemis étaient ses amis, les Britanniques ont appliqué la recette coloniale bien établie, de nommer des ennemis à une haute fonction, pour les calmer, ce que fit Herbert Samuel, juif, au demeurant, premier Haut-Commissaire du Territoire de Palestine sous mandat britannique nommant al-Husseini, Grand Mufti de Jérusalem.

Question impartialité, il eût été honnête de rappeler comme le fait Dominique Vidal dans le Monde Diplomatique de décembre 2009, la démarche, fin 1940, du Lehi d’Itzhak Shamir, « issu d’une scission des Révisionnistes de Zeev Jakobinsky, qui avait proposé au Reich une alliance stratégique, et de finalement redire au lecteur que la démarche du Mufti et celle du Lehi n’étaient représentatives ni des mouvements nationaux palestinien et arabe dans leur ensemble, ni du mouvement sioniste. »

Michel Onfray, convoque, dans le même but de discrédit, une autre figure du mal : celle de Mahmoud Abbas, auteur d’une thèse révisionniste en 1982. Le révisionnisme de cette thèse est incontestable, mais faut-il réduire le président de l’Autorité Palestinienne à l’auteur de cet écrit ? Frédéric Encel, dont on connaît pourtant l’attachement à Israël fait, contrairement au philosophe, la part des choses, disant dans une interview au Monde de septembre 2011 : « je pense que depuis deux ans et demi le gouvernement israélien perd du temps, qu’il devrait négocier plus profondément avec Mahmoud Abbas, parce que l’Autorité palestinienne d’aujourd’hui est le partenaire que les Israéliens auraient rêvé d’avoir pendant des décennies. Longtemps, les Israéliens ont affirmé qu’ils n’avaient pas d’interlocuteur valable parmi les Palestiniens. Mais lorsque Mahmoud Abbas a été élu en 2005 à la tête de l’Autorité palestinienne, il a décidé de cesser toute politique de recours à la violence. C’est ce qu’exigeaient les Israéliens à Oslo. Ensuite il s’est adjoint un Premier ministre, Salam Fayyad, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il gère correctement l’Autorité palestinienne, avec peu de corruption. Que demander de plus ? »

Last but not least, Leila Shahid, qui a représenté l’Autorité palestinienne auprès de l’Union Européenne jusqu’en 2015, est réduite sous la plume du philosophe au statut de « petite nièce du Mufti de Jérusalem ». Ainsi, après avoir convoqué le passé pour oblitérer le présent dans le cas de Mahmoud Abbas, Michel Onfray n’hésite pas à évoquer les liens du sang concernant Leila Shahid, un déterminisme biologique qu’il condamne, par ailleurs, dans ses écrits ou ses conférences.

A propos de la contestation de la politique de colonisation israélienne, et le boycott comme moyen de l’effectuer,Uri Avnery, sioniste de la première heure, combattant israélien de la guerre de 1948, écrivait dans le Courrier international du 24 au 30 mars: « Le moyen le plus simple de faire passer les sympathisants de BDS pour des criminels et de s’en débarrasser est de les accuser d’antisémitisme. Il n’existe absolument aucune preuve qui étaie l’accusation selon laquelle la plupart des sympathisants de BDS sont antisémites. Je suis convaincu que ce sont des idéalistes fervents qui veulent venir en aide aux Palestiniens opprimés .»

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