Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 octobre 2025

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Condamnation de Nicolas Sarkozy : la dérive trumpiste de la droite

En dénonçant la partialité des juges et leur politisation après la condamnation de l’ancien président à 5 ans de prison avec exécution provisoire, les politiques de droite et d’extrême droite ont révélé leur aspiration à une trumpisation de la politique qui passe par une remise en cause de l’état de droit.

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Décidément, les anciens premiers ministres et plus encore les anciens présidents de la République bénéficient d’avantages et de privilèges hors du commun. Ainsi, après ses bureaux rue de Miromesnil dans le 8e arrondissement de Paris, son secrétariat, ses chauffeurs et ses officiers de sécurité, Nicolas Sarkozy va être attributaire d’un petit logement de fonction pour une dure maximale de 5 ans de 12 à 14 m2 dans le 14e arrondissement de la Capitale où il sera logé, nourri et blanchi aux frais de l’Etat. Mais que fait Lecornu ???

Plus sérieusement, la condamnation pour association de malfaiteurs à 5 ans de prison dans l’affaire du financement libyen de sa campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy a été un électrochoc, surtout en raison de la détention provisoire qui va conduire l’ancien chef de l’Etat derrière les barreaux à partir du 13 octobre prochain.

Aussitôt, tous les arguments populistes et complotistes sur le thème de la politisation des juges, de la vengeance que cette sanction constitue sont remontés à la surface. L’intéressé lui-même a parlé de la haine des juges à son encontre, certains demandant même qu’Emmanuel Macron prononce une grâce en faveur de son prédécesseur.

Les mêmes qui dénoncent à longueur de journée le laxisme de la justice qui n’envoie pas en prison des délinquants récidivistes en attente de leur procès demandent la suppression de la détention provisoire, ce qui aurait pour effet de remettre en liberté des milliers de condamnés considérés comme dangereux ou susceptibles de s’enfuir. Benoitement, certains suggèrent que cette suppression ne concerne que les politiques, au mépris du principe de l’égalité des citoyens devant la loi.

On peut débattre du caractère sévère de la condamnation mais remettre en cause l’institution de la justice, dénoncer à la vindicte populaire, la présidente du tribunal qui a reçu des menaces de mort est une grave attaque contre la démocratie, qui mériterait d’envoyer leurs auteurs en prison…

Enfin, ceux qui ne doutent de rien, n’ont pas hésité à dénoncer le fait qu’envoyer en prison un ancien Président de la République porterait atteinte à l’image et à la crédibilité de la France. Il fallait y penser. Ils ne leur est pas venu à l’idée que l’image de la France pouvait être plus atteinte par le fait que cet ancien Président est un délinquant financier multirécidiviste.  Faut-il rappeler l’affaire des écoutes téléphoniques où Nicolas Sarkozy a été condamné, pour fait de tentative de corruption en appel à 3 ans de prison ferme, aménagé sous forme de bracelet électronique (avec lequel il a comparu lors du procès libyen), l’affaire Bygmalion où il a aussi écopé de 12 mois de prison en appel, jugement qui doit encore être examiné par la Cour de Cassation ? Au total, Nicolas Sarkozy cumule presque 10 ans de prison, soit l’équivalent de deux mandats présidentiels…

Pour apprécier la sévérité de cette sanction dans l’affaire libyenne, il faut en revenir aux fondamentaux de ce dossier, explicités en détail dans les 320 pages du compte-rendu du tribunal.

Le point central est la condamnation pour « association de malfaiteurs ». L’expression peut paraitre décalée parce que sa connotation renvoie à du banditisme organisé dans le braquage de banque, de transport de fonds ou de trafic de drogue.

Mais, c’est ainsi. Juridiquement, l’association de malfaiteurs englobe toute forme de délinquance et de criminalité organisées.

Et dans ce cas, c’est du lourd. Ceux qui se lamentent du sort frappant leur héraut oublient que celui-ci, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur a envoyé deux de ses proches – Claude Guéant, son conseiller et Brice Hortefeux, également alors ministre – négocier un pacte de corruption avec un chef d’Etat, pour le moins sulfureux. Kadhafi - cela a été largement documenté - a financé le terrorisme pendant les années 80. D’ailleurs, le représentant que Guéant et Hortefeux sont allés secrètement rencontrer n’est autre que Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi, chef des services secrets libyens, auteur notamment de l’attentat de Lokerbie, l’avion de la Pan Am et celui contre le DC10 de la compagnie française UTA en 1989 explosés en vol en plein désert libyen. Ces deux attentats ont fait 440 morts dont 170 Français.

Voilà donc le « sympathique » personnage qui va être sollicité pour obtenir du financement pour la campagne du futur président. En échange de ce « petit coup de pouce », Kadhafi aura droit, après l’élection de Sarkozy, à tous les honneurs : visite officielle en France, avec tapis rouge et tente dans les jardins de Marigny, annexe de l’Elysée, sans parler de la mascarade autour de la libération des infirmières bulgares « grâce à Cécilia Sarkozy ».

La corruption a été prouvée – les deux négociateurs en ont écopé de plusieurs années de prison – mais – c’est le point faible de ce procès – l’argent qui est sorti de Libye n’a pas été retrouvé dans les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy à l’exception de la somme dérisoire de 35 000 €. La justice n’a pas été en mesure de répondre à la question : « Où sont passés les millions de Kadhafi ? ».

Mais, en droit, l’intention de la corruption suffit à valoir condamnation. Et dans ce cas, la gravité de l’intentionnalité – corruption du Chef d’un Etat terroriste pour financer une campagne présidentielle – justifie 5 ans de prison, même si, en attente de l’appel, la présomption d’innocence s’applique.

Reste la détention provisoire qui a été au centre de toute la polémique avec l’idée dominante que les juges ont voulu symboliquement se payer Nicolas Sarkozy, prendre leur revanche sur les « petits pois » auxquels, il avait comparé les magistrats, savourer le plaisir de voir celui qui n’avait de cesse de dénoncer leur laxisme derrière les barreaux.

Mais il y a peut-être une autre hypothèse. Et si Nicolas Sarkozy était la victime collatérale d’une jurisprudence Le Pen ? Condamnée à une peine d’inégibilité avec exécution provisoire dans l’affaire des assistants parlementaires qui l’empêche d’être candidate à l’élection présidentielle – sous réserve du jugement en appel -, la Marine a aussitôt dénoncé la partialité des juges qui visent spécifiquement le Rassemblement national et veulent priver ses 11 millions d’électeurs d’exprimer leur préférence. On est complotiste ou on ne l’est pas.

Et si, les juges – par un effet de reflexe de défense corporatiste – avaient voulu dédouaner tous les magistrats de ce soupçon de politisation en privant Marine Le Pen de son statut de victime du système ? En envoyant Nicolas Sarkozy en prison immédiatement, l’argument de la cible unique tombe. L’intéressée semble ne s’y être pas trompée. Elle a rapidement dénoncé « la généralisation de l’exécution provisoire des condamnations », que par ailleurs, elle réclame pour les petits délinquants. De fait, elle ne peut plus dire être la seule à être dans le viseur de la justice.

Mais le plus grave dans tout cela est la remise en cause de l’indépendance de la justice. Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à affirmer que « cette condamnation violait toutes les limites de l’état de droit ». L’idée que l’état de droit est une entrave aux aspirations populaires et aux actions des politiques est une petite musique que l’on entend de plus en plus à l’extrême-droite et pas seulement. Bruno Retailleau n’a-t-il pas dit que « l’état de droit n’est pas intangible » ?

Les politiques populistes rêvent au fond d’une dérive américaine trumpienne, celle d’un Président élu malgré 96 chefs d’inculpation dont la liste allant d’affaires financières, de corruption, de prostitutions jusqu’à une tentative de putsch avec l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021 est une sorte d’inventaire à la Prévert de toutes les turpitudes – pour ne pas dire trumpitudes - possibles et imaginables. Dans l’Amérique de Trump, le Président poursuit les juges qui mènent des enquêtes sur lui mais aussi l’ancien directeur du FBI qui a révélé les ingérences russes en sa faveur lors de la campagne de 2016. Dans l’Amérique de Trump, le Président gracie les condamnés dans l’attaque du Capitole. Dans l’Amérique de Trump, le Président porte plainte contre le New York Times, réclamant 15 milliards de dollars pour diffamation au journal qui a eu juste la mauvaise idée d’être critique à son égard. Dans l’Amérique de Trump, le Président obtient le renvoi de la responsable des pages Opinions du Washington Post parce que les chroniques et les opinions publiées lui déplaisent.

Cette affaire du Washington Post est un résumé sidérant de la descente aux enfers de la démocratie américaine et entre en résonnance avec une actualité récente. Il y a quelques jours, Robert Redford décédait. Parmi les nombreux films de l’acteur, le plus emblématique est « Les hommes du Président » qui raconte l’enquête des journalistes Bernstein et Woodward du Washington Post sur l’affaire du Watergate qui aboutira à la démission, en 1974,  de Richard Nixon parce que les journalistes prouveront que le Président est l’instigateur de la pose de micros au siège – le bâtiment du Watergate – du parti démocrate. Cette affaire du Washington Post-Watergate est mythique dans le monde journalistique et politique parce qu’elle est un marqueur de l’indépendance à la fois de la presse et de la justice et par voie de conséquence de la démocratie. En effet, sur la base des révélations des journalistes, la justice américaine s’était mise en branle et Richard Nixon était menacé de destitution. Sa démission était une anticipation.

L’affaire du financement libyen de Nicolas Sarkozy est aussi partie de révélations de journalistes – de Médiapart d’ailleurs – à partir desquels, la justice et donc l’état de droit s’est mise en marche.

Remettre en cause l’indépendance de la presse et celle de la justice, c’est remettre en cause l’état de droit et donc la démocratie. La France doit-elle connaitre une dérive trumpiste ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.