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Billet de blog 2 mai 2025

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Budget 2026 : « Accusé retraité, levez-vous ! »

Les retraités auraient un revenu et un niveau de vie supérieurs à ceux des actifs, ce qui justifierait, selon le gouvernement, la suppression de l’abattement fiscal de 10% pour frais professionnels dont ils bénéficient. La mesure est logique mais les motivations sont économiquement fausses, socialement injustes et moralement inacceptables. Explications.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

On ne voit pas beaucoup François Bayrou en ce moment. Il est vrai qu’il est très occupé à l’écriture du scénario d’un film qui sera tourné à l’automne dans les décors naturels du Palais Bourbon. Intitulé « Recherche 40 milliards désespérément », il narrera les aventures d’un premier ministre qui doit boucler le budget d’un pays endetté jusqu’au cou et qui n’a pas de majorité pour le voter, ce qui l’oblige à faire des contorsions, d’un côté en grattant les fonds de tiroirs pour trouver des économies acceptables par une partie des élus du peuple et de l’autre, en augmentant les impôts dans des proportions tolérables par une autre partie des élus, les deux étant obsédés par les prochaines élections et surveillent comme le lait sur le feu leur clientèle électorale.

On accordera à ceux qui ont conçu ce « pitch », la palme de l’imagination parce qu’on se demande où ils ont pu trouver l’idée d’un pays dans une situation aussi abracadabrantesque...

En attendant, le premier ministre n’a pas trop de pistes pour atteindre son objectif.

Mais, récemment, il a eu une idée : supprimer l’abattement fiscal de 10% dont bénéficient les retraités pour frais professionnels. Il s’est avisé que cette niche fiscale - qui existe depuis des décennies - n’était pas justifiée - par nature les retraités n’ont pas de frais professionnels - et elle représente 5 à 6 milliards d’€ par an, ce qui n’est pas rien.

Mais selon l’expression populaire, « devant chaque niche fiscale, il y a un chien de garde ». Et là, le malheureux premier ministre n’affronte pas un chien mais une meute. Les partis de tous les bords – y compris ceux qui le soutiennent - se sont mis à aboyer et même à mordre. La raison est simple : les retraités, ça vote, ça vote même beaucoup (plus que les autres tranches d’âge) et c’est même à cela qu’on les reconnait.

Alors, sans reculer – enfin pour le moment - le chef du gouvernement – qui n’est pas naïf au point de ne pas avoir anticipé cette levée de bouclier – s’est mis en tête de justifier cette mesure. Il a expliqué – c’est une ritournelle classique – que les retraités ont des revenus supérieurs à ceux des actifs, qu’ils ont moins de charge parce qu’ils sont propriétaires de leur logement et qu’ils ont bénéficié des meilleures périodes que les générations actuelles. En gros, les retraités sont des privilégiés.

Avant de poursuivre, il me faut préciser pour éviter toute ambigüité que si cet avantage fiscal était supprimé, je serais – comme 14 millions de retraités – impacté. Et pourtant, je n’y suis pas hostile pour la raison première et évidente que cet abattement fiscal n’a en effet aucune justification.

Cette position me donne d’autant plus de liberté pour affirmer que les arguments du gouvernement sont économiquement faux, socialement injustes et moralement inacceptables.

Economiquement faux : Selon la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), la pension moyenne de retraite est de 1420 € net mais en y ajoutant des revenus complémentaires (placements, immobiliers, etc..), le revenu médian des retraités est de 2310 € par mois à comparer aux 2110 € pour l’ensemble de la population. Il s’agit d’une moyenne, d’une médiane et comme telle, elle recouvre des situations différentes. Il y a des retraites importantes comme il existe des revenus élevés et des petites retraites, comme il y a des revenus modestes. Mais le différentiel n’a rien de mirobolant.

Les retraités n’ont pas plus de moyens que les autres d’aller faire la fête à Dubaï…

L’argument des moindres charges, liées au fait d’être propriétaire de leur logement n’est pas plus acceptable. D’abord, parce que tous les retraités ne sont pas propriétaires de leur logement. 70% seulement le sont. C’est une proportion supérieure à celle des actifs, certes mais les retraités n’ont pas volé leur toit. Ils ont constitué ce patrimoine au long de leur vie d’actif, en s’endettant pour 5, 10, 15, 20 ans ou plus si affinités, comme le font d’ailleurs les actuelles générations en activité.

Socialement injustes. Les retraités sont plus ou moins présentés comme un poids à la charge des actifs parce que ce sont les cotisations payées par ceux-ci qui assurent le paiement des pensions. C’est en effet le principe du système par répartition tel qu’il a été créé après la guerre. Mais faut-il reprocher aux retraités de bénéficier d’un système qu’ils ont eux-mêmes financés quand ils étaient en activité et que personne ne veut réformer alors qu’il est condamné à la faillite en raison du déséquilibre démographique ? Tous ceux qui sont vent debout contre l’allongement de la durée du travail, qui promettent par démagogie le retour à la retraite à 62, voire 60 ans pour les plus irresponsables, qui ont fait exploser le projet de retraite par points et qui refusent d’envisager la retraite par capitalisation sont mal placés pour pointer du doigt les retraités.

Le système de retraite par répartition a ceci d’extraordinairement fragile qu’il parie sur la capacité des générations de demain à financer la retraite des actifs d’aujourd’hui. En effet, les cotisations sur le travail ont deux vocations. D’une part, financer les pensions des retraités actuels et d’autre part, permettre aux actifs d’acheter leur droit à leur future retraite. Ainsi, depuis la mise en place de ce système, les générations d’actifs qui se sont succédé ont acheté leur droit – correspondant à des trimestres cotisés - à la retraite en pariant sur la solvabilité de leurs successeurs. Ce pari est perdu à cause du déséquilibre démographique. Il y avait, au départ 4 actifs pour 1 retraité, il n’y en a plus que 1,6 et ce ratio ne va pas s’améliorer, au contraire avec la baisse constante de la natalité et l’allongement de la durée de vie.  

Ceux qui refusent toute réforme paramétrique et plus encore systémique mettent en danger les actifs d’aujourd’hui parce qu’ils les confortent dans l’idée qu’ils achètent leur droit à leur future retraite sans leur dire que le moment venu, le système ne disposera pas de la solvabilité nécessaire à l’exercice de ce droit.

Dans le contexte démographique et économique actuel, il serait plus pertinent de se pencher sur cette équation infernale qui amène le système droit dans le mur que de pointer du doigt les retraités d’aujourd’hui.

Moralement inacceptables. Dans l’inconscient collectif, les retraités d’aujourd’hui appartiennent à la génération à la fois moquée et jalousée des « boomers », la génération du baby-boom de l’après-guerre qui a profité à plein de la période mythique des trente glorieuses et a ainsi connu les années fastes de la croissance, du plein emploi, du progrès social et économique.

Mais cette vision est assez largement fausse. D’abord, si on compte bien, les plus jeunes des retraités ont commencé leur vie active dans les années 80, une décennie qui a vu les derniers effets magiques des trente glorieuses s’évaporer, la fin de cette période faste ayant été datée à 1975 – année du choc pétrolier - par l’économiste Jean Fourastié. Les années 80 sont celles de l’explosion du chômage de masse et de longue durée, générant l’apparition des « nouveaux pauvres ». C’est aussi dans ces années-là que Coluche créé les Resto du cœur qui connaissent un succès fulgurant, ce qui en dit long sur le changement d’époque.

Néanmoins, il vrai que jusqu’à ses dernières années, le siècle précédent a été l’âge d’or des classes moyennes dont le périmètre s’est élargi et qui ont le plus bénéficié de l’augmentation des revenus, du patrimoine et d’un certain style de vie.

On peut regretter que le ressenti des générations actuelles soit celui du déclassement, la peur de perdre en pouvoir d’achat et de ne plus avoir de perspectives d’évolution vers le haut. Et ce ressenti a une part de réalité, eu égard aux évolutions du marché du travail, aux mutations technologiques et sociétales.

Mais, est-ce une raison pour pointer du doigt les générations précédentes qui ont connu une période certes plus favorable mais qui n’était pas pour autant un long fleuve tranquille ? D’abord, ces générations ont – faut-il le rappeler ? – travaillé et même plutôt plus que les actuelles : semaine de 40 h (et non 35), 3 puis 4 semaines de congés (et non 5), pas de RTT, retraite à… 65 ans (et pas à 60 ou 62)….

Au fond, que reproche-t-on aux « boomers », à la génération du baby-boom ? D’avoir profité de l’ascenseur social qui a fonctionné à plein régime pour elle avant de tomber en panne et de ne pas avoir été réparé et ainsi, d’avoir été, par le hasard de leur date de naissance, au bon endroit et au bon moment.

Tout cela démontre que les arguments culpabilisants du gouvernement, non seulement ne tiennent pas la route mais en plus sont dangereux car ils alimentent un dangereux conflit des générations, comme si le pays n’avait pas assez de divisions à supporter.

Si le gouvernement, pour récupérer 5 à 6 milliards d’€, veut mettre un terme à l’abattement fiscal de 10% sur les retraités, qu’il assume cette mesure pour ce qu’elle est : la suppression d’un avantage fiscal et une augmentation d’impôts.

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