Les débats à l’Assemblée nationale sur les budgets de l’Etat et de la Sécurité sociale font irrésistiblement penser au « Tontons flingueurs », le film culte (1963) de Georges Lautner avec les dialogues d’anthologie de Michel Audiard. Les situations et surtout les personnages sont là, plus vrais que ceux sur pellicule.
Il y a d’abord Raoul Volfoni – Bernard Blier dans le film – qui ne supporte pas que le Mexicain, (un vrai Français ainsi surnommé parce qu’il s’est longtemps réfugié au Mexique) le grand chef du clan sur le point de mourir, ait confié à un de ses fidèles, Fernand Naudin (Lino Ventura), la direction des opérations. Il est prêt à tout pour l’écarter.
A l’Assemblée nationale, Raoul Volfoni, c’est Olivier Faure. Il ne supporte pas que Sébastien Lecornu – alias Fernand Naudin – soit à la manœuvre. Gonflé à bloc après avoir obtenu le non-recours au 49.3 et la suspension de la réforme des retraites, il a cru son heure de gloire venue et a fait monter les enchères. Mais, à la fin de la séquence, il a pris – comme dans le film – un gros « bourre-pif » asséné par Lecornu-Naudin.
En ouverture des débats, Olivier Faure avait repris et paraphrasé la célèbre diatribe de Raoul Volfoni : « Seb, il est complétement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. On va lui faire une ordonnance et une sévère. Je vais lui montrer qui c’est Olivier. On va le retrouver aux quatre coins de Paris, éparpillé façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus, je dynamite, je disperse »..
Le Premier secrétaire du PS avait, pour cette raison, dégainé la taxe Zucman et claironné que si elle n’était pas votée, ce serait la censure, la chute du gouvernement et la dissolution et c’est ainsi qu’on retrouverait le Premier ministre « éparpillé façon puzzle ».
Oui, mais voilà, la taxe Zucman – même dans la version light que le PS avait présentée - n’a pas été votée et… rien. Pas de censure, pas de renversement du gouvernement et encore moins de dissolution. Sébastien Lecornu a sobrement commenté après ce rejet. « Le débat a été difficile mais cette affaire est derrière nous ».
Sonné par ce gros « bourre-pif », Olivier Faure continue, pour faire bonne figure, à affirmer que « en l’état, ce budget n’est pas votable » mais plus personne ne l’écoute.
Et puis, il y a le reste du clan Volfoni, composé de faux caïds et de vrais bras cassés qui se croient maitres du jeu. Mais, tout ce qu’ils savent faire, c’est « se flinguer » entre eux. On aura reconnu dans ce raccourci les LR, avec à leur tête Paul (Jean Lefevre) dont le rôle dans notre histoire, est tenu par Bruno Retailleau. Il s’est fait nommer chef du gang mais il s’est explosé en vol avec cette palinodie – à laquelle personne n’a rien compris – sur le retour de Bruno Le Maire dans le premier et très éphémère gouvernement Lecornu. Depuis, il ne sait plus trop où il habite. Il a suspendu sans les condamner vraiment les LR participant au gouvernement, ce qui fait qu’on ne sait plus si le parti est dans l’opposition ou dans une logique de soutien sans participation.
Ce flou fait les affaires de Pascal – dans lequel on reconnaitra Laurent Wauquiez – avec lequel il est en guerre de leadership pour tenter de remplacer le moment venu le Mexicain qui n’est autre qu’Emmanuel Macron, comme chacun l’aura compris.
Mais, Wauquiez-Pascal a un atout dans sa manche : il est le chef des porte-flingues à l’Assemblée et cela lui donne une base pour distribuer « des bastos » à tous ceux qui se mettent en travers de son chemin. Au gré des circonstances et des humeurs du jour, il peut voter avec les socialistes, les LFI et surtout le RN avec lequel il est prêt à conclure une trêve et pourquoi pas une alliance pour faire tomber toutes les autres composantes du clan Volfoni.
D’ailleurs, les Volfoni aussi ne savent plus tellement où ils habitent. Obsédés par la succession du « Mexicain » de l’Elysée, ils cherchent la bonne voie entre le soutien et la distance. Certains dérapent comme Maître Folace (Francis Blanche dans le film), l’avocat hors sol, chargé officiellement des intérêts du Mexicain et aussi de veiller sur sa fille, en accord avec Naudin-Lecornu. Mais il pense de plus en plus à ses intérêts personnels. Du coup, il dérape. Le rôle est dévolu à Edouard Philippe qui a commis le crime de lèse-majesté en demandant au Mexicain-Macron de bien vouloir quitter par anticipation la scène.
L’erreur de l’ancien premier ministre a été de confondre impopularité et illégitimité. Si une large partie des Français exprime un rejet d’Emmanuel Macron, une majorité d’entre eux, en particulier dans l’électorat du bloc central républicain, a une approche légitimiste de la fonction présidentielle. Le « Mexicain » les a déçus mais il a été élu pour 5 ans et – même s’ils sont impatients de mettre un terme à ce cycle politique - ils ne veulent pas précipiter les échéances car ce serait déstabiliser les institutions. Maitre Folace-Philippe paye ce faux pas. Alors qu’il était – dans les sondages – une des personnalités préférées des Français, il a brutalement décroché dans cette côte d’image autant d’ailleurs que dans les sondages sur la future élection présidentielle. Voilà, les autres Volfoni du bloc central prévenus de ce qui les attend s’ils s’aventuraient sur ce terrain. Il est préférable, dans ce domaine, de laisser la main aux mélenchonistes qui ont aussi leur place dans le casting et le dialogue des Tontons. Avec leur insistance à demander la destitution du « Mexicain », on peut dire que « les LFI, ça ose, ça ose tout et c’est même à cela qu’on les reconnait ».
Le résultat est qu’à ce jour, Seb-Fernand tient toujours la barre. Du coup, Henri – le tenancier du bowling dans le film – un des ralliés de la première heure au Mexicain mais qui est pris de doute et animé d’un peu d’ambition, cherche à évaluer les forces de Seb-Naudin. « En somme, c’est toi qui drive ? » lui dit Henri prenant les traits de Gabriel Attal.
Eh oui, Séb-Naudin est encore debout, un peu en raison de son habileté et beaucoup par la peur que, s’il était renversé, le Mexicain de l’Elysée prononce une dissolution dont les Volfoni seraient les perdants au profit d’un clan adverse.
En effet, les Volfoni, au sens large – des Républicains aux écologistes en passant par les communistes, les centristes et évidemment les macronistes – ont un point ou plutôt une crainte commune : que la fille du Mexicain, Patricia (Sabine Sinjen dans le film) se jette dans les bras du jeune Antoine Delafoy (Claude Rich dans le film) un beau gosse totalement insipide mais redoutable dans l’art de la séduction.
Dans notre histoire, la fille du Mexicain est Marianne (la République) et elle est « draguée grave » par un Antoine qui a les traits de Jordan Bardella. " Le Jordan, il commence à me les briser menu" s'énerve Sébastien-Fernand
C’est la raison pour laquelle, réunis dans la cuisine de la maison France - alors que Patricia-Marianne fait la fête au salon avec ses amis dont évidemment Antoine-Bardella - Seb-Naudin et les Vofoni s’accordent pour lancer à ce jeune prétentieux « Touche pas au grisbi salaud ». Le mystérieux breuvage qu’ils consomment pour oublier leur malheur est rude. « On dira ce qu’on voudra mais c’est une boisson d’homme » fait d’ailleurs remarquer un des Volfoni.
Et même si Seb-Fernand affirme, pour rassurer le clan : « Je connais une Polonaise qui en prenait au petit-déjeuner », on peut se demander s’il n’est pas déjà trop tard pour éviter la crise éthylique. Toutes les enquêtes d’opinion et les sondages montrent que Marianne, vieille fille fragilisée, est de plus en plus tentée – devant la faillite de tous ses anciens amants - de convoler avec le sémillant Antoine- Bardella ou avec la Marine, son inspiratrice, le mariage pour tous étant autorisé aussi en politique.
Si les Volfoni de la politique n’arrêtent pas leur pathétique comédie, ce mariage aura lieu en 2027 et les tontons flingueurs seront des tontons flingués. Mais ce seront la France, la démocratie et les Français qui se prendront le bourre-pif du siècle dans la figure…