« Je pense qu'on est à un moment où les autorités israéliennes vont devoir définir plus précisément leur objectif et l'état final recherché. La destruction totale du Hamas, qu'est-ce que c'est ? Et, est-ce que quelqu'un pense que c'est possible ? Si c'est ça, la guerre durera dix ans ».
Une fois de plus, le Président de la République fait preuve, en matière de géopolitique, de sa clairvoyance et de sa capacité d’anticipation. En pointant du doigt ce qui apparait de plus en plus comme une impasse, Emmanuel Macron – dans une posture gaullienne – fait exploser le politiquement correct diplomatique et lève un tabou : celui de la critique de l’Etat juif. Dans le monde diplomatique occidental, il est interdit de critiquer ouvertement Israël pour ne pas être taxé d’antisionisme et d’antisémitisme. Or, il est parfaitement possible de critiquer l’Etat hébreu et la communauté juive pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils sont ce qui serait de l’antisionisme et de l’antisémitisme.
La question soulevée par le Chef de l’Etat est en effet centrale. La guerre et après ? Quel scénario ?
Les guerres n’ont de sens et d’utilité – si on peut dire – que si elles sont le moyen d’une stratégie politique. Pour Poutine, la guerre en Ukraine n’est pas un objectif mais le moyen de reprendre ce pays qu’il considère faire partie historiquement de la grande Russie. .
Les Américains et les Alliés, y compris la France Libre de De Gaulle, se sont engagé dans la guerre contre l’Allemagne en 1940-42 avec comme objectif militaire d’écraser le nazisme mais avec le projet politique de construire après, une nouvelle Europe fondée sur la paix et des intérêts politiques et économiques partagés.
Aujourd’hui, on peut se demander si Israël, en particulier ses dirigeants, ont un objectif politique et la réponse est, à ce jour, négative.
Après les attentats terroristes du Hamas le 7 octobre, Israël a déclenché une riposte militaire que tout le monde – y compris la France – a jugé comme relevant du droit légitime à se défendre.
Mais, après cette première phase, avec les bombardements massifs et l’offensive terrestre dans Gaza provoquant d’abord des centaines et ensuite des milliers de mort civils, les interrogations sur la légitimité de cette offensive ont commencé. Le gouvernement et l’armée israéliens ont expliqué que l’objectif était de supprimer les dirigeants du Hamas qui se terrent dans des abris, un réseau de tunnels en sous-sol des immeubles et des bâtiments, les victimes civiles étant, en quelque sorte, « des dégâts collatéraux ».
Mais, presque deux mois après, Benjamin Netanyahou a du mal à présenter un bilan solide du nombre de militaires et de cadres du mouvement terroriste neutralisés, d’autant que les plus hauts dirigeants du Hamas sont à l’abri au Qatar. Le rapport « coût/efficacité », le ratio « dégâts collatéraux/neutralisation des terroristes » est de moins en moins défendable. Samedi 2 décembre, l’armée israélienne a bombardé un bloc d’habitation dans Gaza ville. Objectif : tuer plusieurs combattants du Hamas. Bilan : plusieurs centaines de morts civils - 300 selon les premières estimations – et deux terroristes tués selon Tsahal, et encore cela reste à confirmer….
Tout indique que d’un légitime droit à se défendre, Israël est passé à une logique de vengeance. Mais la vengeance est-elle une option politique et jusqu’où faut-il la pousser ?
16 000 morts, hommes, femmes, enfants, des hôpitaux bombardés, une population dépourvue de tout, contrainte à un exode intérieur. Stop ou encore ?
Le Premier ministre israélien dit « encore » en réaffirmant sa volonté d’aller jusqu’au bout. Les otages étaient même, dans son esprit des victimes collatérales dont le sort ne devait pas entraver l’offensive militaire. Ce n’est que sous la pression internationale – Etats-Unis, France, Europe, pays arabes – et des familles qu’il a consenti à négocier et à accepter une trêve qui a permis de libérer des femmes et des enfants. Mais, dans la minute qui a suivi la fin de la trêve, la guerre a repris.
C’est à ce moment qu’intervient la sortie du Président Macron. On notera que Joe Biden – coincé par le lobby juif américain et tétanisé par la perspective de l’élection de 2024 avec Trump en embuscade – qui observait jusque-là un prudent silence, a commencé à demander des explications à Netanyahou et lui a suggéré d’envisager un processus de paix.
Celui-ci a répondu par un silence radio. Le chef du gouvernement et ses alliés suprémacistes – dont il est l’otage – sont plus que jamais hostiles à tout processus de paix et à la solution à deux Etats. Ils s’opposent au retour à Gaza de l’Autorité palestinienne parce qu’elle pourrait justement être un interlocuteur présentable pour une négociation de paix.
Mais il y a pire. Plusieurs organisations extrémistes, proches de ces partis ultra et parfois intégrées préparent un plan d’épuration ethnique. L’idée serait que les 2 millions de gazaouis soient envoyés dans les pays proches – Egypte, Jordanie – mais aussi en Europe, permettant à Israël d’occuper en toute tranquillité et sécurité la bande de Gaza, si imprudemment abandonnée au Hamas à partir de 2007. Le premier ministre lui-même a demandé à son conseiller à la sécurité « un plan pour réduire la population de Gaza au niveau le plus bas possible et organiser l’ouverture des frontières maritimes de l’enclave pour permettre une fuite massive vers les pays européens et africains ». En clair, trouver les moyens de jeter les Gazaouis à la mer.
Ce projet fou de nettoyage ethnique fait l’objet de débats sérieux au sein des instances dirigeantes et de la société israélienne.
Que des leaders juifs, la population de l’Etat hébreu et la diaspora juive dans le monde discutent d’un projet d’épuration et de nettoyage ethniques sans que cela ne soulève la moindre protestation internationale, ni d’instance comme l’ONU, ni des grands pays occidentaux (Etats-Unis, Europe) ni d’ONG ordinairement si promptes à dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme en dit long sur le tabou qui entoure Israël. Où sont les grandes voix, les consciences mondiales qui ont été, en France en particulier, si virulentes à dénoncer - à juste titre d’ailleurs - les « pogroms » - du 7 octobre ? Où sont ces personnalités médiatiques, artistiques, politiques françaises qui se précipitent dans les médias pour fustiger l’antisémitisme et rappeler les horreurs de la Shoah qui ont, de manière si éhontée, critiqué l’absence d’Emmanuel Macron à la marche contre l’antisémitisme, pour dénoncer ce projet d’épuration ethnique qui s’apparente à un pogrom palestinien ?
D’autant que la situation en Cisjordanie n’est pas plus rassurante. Focalisé sur Gaza, le monde s’intéresse peu à ce territoire occupé où Palestiniens et colons juifs sont en affrontement permanent, les seconds étant soutenus par le gouvernement de Tel-Aviv qui couvre leurs exactions.
La conclusion de tout cela est qu’entre la guerre sans fin, les morts qui se multiplient et cette hypothèse de nettoyage ethnique de la bande de Gaza, Israël ne fait qu’exacerber l’antisémitisme et se transforme, de manière suicidaire, en grande fabrique de l’antisémitisme. L’effet boomerang pourrait être tragique pour l’Etat hébreu et les juifs dans le monde.
En face, le Hamas est dans une idéologie tout aussi extrémiste. Ses dirigeants rappellent tous les jours sur les médias arabes et les réseaux sociaux que leur objectif est la disparition de l’Etat d’Israël et des juifs, conformément à leur Charte.
Comment imaginer une sortie de guerre en laissant face à face deux belligérants qui se promettent mutuellement un holocauste ?
Pour en sortir, il faut écouter Eli Barnavi, l’ancien ambassadeur d’Israël à Paris : « je plaide depuis des années pour une solution imposée. Peu importe qui négociera pour les deux parties, il faudra qu'ils le fassent parce que ça aura été imposé par la coalition internationale y compris si Donald Trump reprend la tête des États-Unis ».
C’est aussi ce que dit Ofer Bronstein, Président du Forum international pour la paix. Ce franco-israélien, proche d’Emmanuel Macron, a participé aux accords d’Oslo et plaide sans relâche pour la solution à deux Etats.
Si on écoute ces deux voix, on ne peut que conclure que la balle est dans le camp de Joe Biden, Emmanuel Macron, Tamin Ben Hamad Al Thani, l'émir du Qatar et Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, auxquels il revient de rester dans l’Histoire en imposant ce partage de la Palestine… Ce ne serait au fond qu’un retour aux sources. En 1948, la création de l’Etat d’Israël a résulté d’une résolution de la toute jeune organisation internationale partageant la terre sainte…que les pays arabes ont alors refusé.
Le risque d’un nouvel échec ne doit pas retenir l’initiative car la situation d’aujourd’hui est différente et offre une fenêtre de tir en raison, précisément, de la tension extrême dans la région.