Selon le baromètre annuel du CEVIPOF°, 83% des Français sont favorables à un régime démocratique mais 34% - une tendance en hausse de 5% par rapport à 2023 – aimeraient avoir un « homme fort à la tête de l’Etat qui ne se préoccupe pas du Parlement, ni des élections » et 23% souhaiteraient carrément que l’armée dirige le pays. Et ce gros tiers de Français qui rêvent d’un pouvoir personnel ne se recrutent pas – comme on pourrait l’imaginer – seulement parmi les électeurs de droite et d’extrême droite mais, à des degrés divers, dans à peu-près toutes les familles politiques.
Au fond, cette étude ne fait que confirmer l’ambivalence des Français par rapport au pouvoir. Ils ont guillotiné Louis XVI mais ils ont toujours la nostalgie pour ne pas dire le fantasme de la monarchie. Dans un pays où c’est l’Etat qui a fait la Nation, celui-ci a besoin d’une incarnation forte.
L’Histoire des derniers siècles a montré que les Français balancent en permanence entre recherche d’un pouvoir éclaté et aspiration à un pouvoir concentré. Après la Révolution, les Français se prennent de passion pour Bonaparte, plus encore lorsqu’il devient l’Empereur Napoléon 1er, celui qui restaure un Etat fort – nos structures administratives en sont l’héritage direct – et leur promet un pays puissance mondiale, une aventure qui se terminera mal.
La Restauration qui n’est ni un pouvoir parlementaire, ni un pouvoir fort, est mal vécue et ensuite, les deux monarchies de Charles X et Louis-Philippe seront abolies par deux révolutions express. Mais la IIe République, qui suit le renversement du Roi des Français, est une forme de transition vers le retour d’un pouvoir fort et incarné. D’ailleurs, lorsque Louis Napoléon Bonaparte, élu président de cette république – un nom qui en dit long sur la nostalgie française – met fin à ce régime et restaure l’Empire et s’auto-proclame Napoléon III, il rencontre peu d’opposition et les Français sont satisfaits que le pouvoir et la France aient une nouvelle incarnation. Mais, les ambitions de conquête de l’Empereur, se termineront également mal, très mal pour lui et pour la France qui sera amputée d’une partie de son territoire.
Les Français semblent alors vacciner des pouvoirs forts qui les ont conduits dans le mur. Ils se tournent vers un pouvoir éclaté, avec la IIIe République dont l’orientation est clairement parlementaire. Il en sera de même avec la IVe République après la seconde guerre mondiale.
Et quel est le point commun entre ces deux républiques ? Elles se sont achevées dans le drame en raison de leur incapacité à anticiper et à prendre la mesure d’un contexte international ou national constituant une menace existentielle.
Pour avoir été dans le déni de la montée en puissance d’Hitler, dans l’incapacité de réarmer la France – malgré les exhortations du Général de Gaulle – et s’être rassurée avec les accords de Munich de 1938, la IIIe République s’effondre et les politiques acculés se jettent dans les bras du Maréchal Pétain – auréolé de son prestige acquis à Verdun en 1916 – auquel les Parlementaires votent à la quasi-unanimité les pleins pouvoirs. Les Français sont satisfaits : le pouvoir est de nouveau incarné par un homme fort et providentiel pour le meilleur et surtout – comme l’Histoire le montrera – le pire.
En 1946, les politiques et les Français avec eux veulent exorciser le spectre d’un nouveau Pétain et refusent le projet constitutionnel du Général de Gaulle qui aspirait à créer un Etat fort au profit d’un système parlementaire, censé être démocratique parce qu’éclaté, tellement éclaté qu’il est impuissant et explosera à son tour face à un autre drame : la guerre d’Algérie.
Et que feront les Parlementaires et les Français avec eux ? Ils iront chercher une nouvelle fois, un homme fort pour les sortir de cette situation inextricable : le Général de Gaulle.
On remarquera la significative analogie entre le Maréchal et le Général. Comme Pétain le 10 juillet 1940, De Gaulle reçoit les pleins pouvoirs des parlementaires le 1er juin 1958 mais pour un mandat borné dans le temps – 6 mois – et dans l’objet : réformer les institutions et tenter de régler la question algérienne.
Ainsi, en 1958, les Français renouent avec leur passion pour un pouvoir fort et incarné. La Constitution adoptée par référendum donnera un cadre institutionnel à cette passion qui atteindra son stade ultime avec l’élection au suffrage universel du Président de la République qui donnera naissance à ce surréaliste régime unique au monde de monarchie républicaine.
Cette expression de monarchie républicaine dit tout de la schizophrénie et du fantasme des Français autour de ce pouvoir incarné par le Président de la République. Pour résumer, les Français adorent détester le Président de la République dans lequel ils commencent par placer leur espoir avant de le vouer aux gémonies, le rendant responsable de tous les maux de la terre et de leurs maux à eux.
La passion s’exprime à travers l’élection au suffrage universel du Président de la République qui est celle qui suscite le plus haut niveau de participation, même s’il y a eu une tendance à la baisse lors des derniers scrutins.
Le fantasme se voit pendant les campagnes. Les Français imaginent que celui qui sera élu pourra, avec sa baguette magique, régler tous les problèmes. Les candidats alimentent ce fantasme en promettant des lendemains qui chantent. « Vous allez voir ce que vous allez voir » disent-ils de manière subliminale. On est loin de Churchill qui promettait aux Anglais, « du sang, de la sueur et des larmes ».
Après leur élection, les Présidents bénéficient de ce que l’on appelle « l’état de grâce », une sorte de contrat à durée déterminée que les Français leur accordent pour faire ce qu’ils veulent.
Valery Giscard d’Estaing et François Mitterrand ont été les grands bénéficiaires de cette période bénie. Le premier a pu faire passer ses grandes réformes sociétales – majorité à 18 ans, simplification du divorce, avortement, etc. – qui sont le marqueur de son mandat dans les 9 mois qui ont suivi son élection, malgré une majorité parlementaire plutôt conservatrice. La preuve est que la légalisation de l’avortement a été votée avec les voix de la gauche. Son état de grâce s’achèvera en 1975 lorsque les premiers effets de la crise économique commenceront à toucher les Français avec la montée du chômage.
François Mitterrand aura son état de grâce après son élection historique de mai 1981. Avec la dissolution qui lui donnera une vague rose socialiste sans précédent, il pourra mettre en œuvre son programme économique et surtout social – augmentation du smic, des salaires, 5e semaine de congés, retraite à 60 ans, etc. - sans difficulté mais le rêve se brisera sur les réalités financières et le tournant de la rigueur de mars 1983.
Après sa réélection en 1988, il ne connaitra pas le même état de grâce, la dissolution de l’assemblée ne lui donnera qu’une majorité relative.
Au fil du temps et des élections, la durée de l’état de grâce se réduit comme peau de chagrin au point de disparaitre. Si Emmanuel Macron a eu un petit effet de grâce en 2017, il n’en n’a rien été en 2022, les Français lui ayant renvoyé une majorité relative aux élections législatives du mois de juin.
Comme cela a été expliqué https://blogs.mediapart.fr/philippe-dupuis-rollandin/blog/081024/institutions-la-ve-republique-bout-de-souffle , l’esprit des institutions a basculé avec le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui font du président une sorte de super premier ministre.
D’ailleurs, et c’est un fait marquant, depuis 2002, les présidents ne sont plus élus sur leur projet mais par défaut ou par l’effet du front républicain. Cela a commencé par Jacques Chirac qui était tellement embarrassé de ses 82 % face à Le Pen qu’il ne savait pas que faire de son second mandat et du coup… n’en n’a rien fait.
Nicolas Sarkozy a été élu parce qu’il avait largement emprunté les thématiques de l’extrême droite. Le résultat est qu’il a été pris en étau entre les électeurs venus de l’extrême droite qui lui reprochaient l’absence de résultat sur les sujets de la sécurité et de l’immigration et ceux venus du centre et de la droite qui ne supportaient pas son discours droitier sur ces mêmes thèmes.
François Hollande a été élu sur une ambiguïté – la finance ennemie – mais a gouverné plutôt au centre avant d’afficher la couleur avec l’affirmation d’une politique sociale libérale. Et là, cela a été l’hallali. « On ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment » disaient le cardinal de Retz et… François Mitterrand. Hollande l’a appris justement à ses dépens.
Enfin, Emmanuel Macron a été élu en 2017 et réélu en 2022 grâce au front républicain face à la Marine. Si, son premier mandat où il était soutenu par une majorité absolue et où il bénéficiait de l’attrait de la nouveauté lui a permis de mettre en œuvre son projet avec des réussites réelles, le second est plus chaotique au point qu’il est virtuellement terminé depuis la dissolution et l’élection de cette assemblée sans majorité.
C’est à ce moment de l’Histoire que la question des institutions se pose.
Avec le Chef de l’Etat actuel, la schizophrénie française, cette passion-répulsion par rapport au Président de la République et au pouvoir qu’il incarne atteint les limites du gérable. Il est temps de l’envoyer aux urgences pour recevoir un traitement institutionnel adapté.
Ceux qui pensent que la crise actuelle de régime est uniquement liée à la personnalité d’Emmanuel Macron et qu’elle se terminera avec son départ en 2027 – ou avant s’il lui venait l’idée de démissionner – se trompent.
Dans le balancement permanent entre aspiration d’un pouvoir éclaté et d’un pouvoir concentré, on est clairement entré dans une phase d’attente d’un pouvoir éclaté, voire pas de pouvoir du tout.
Les Français – et pas seulement eux – ne croient plus en ce moment au magicien, au démiurge, au Jupiter qui va éloigner les dangers, régler les questions de dérèglement climatique, de pouvoir d’achat, de menace guerrière venues de l’Est de l’Europe et d’ailleurs.
L’individualisme, la croyance aux vérités alternatives, le populisme exacerbé par les réseaux sociaux, le complotisme qui diffuse l’idée que l’Etat et les politiques mentent, cachent les vérités et l’échec – réel ou ressenti – des politiques à dessiner un avenir positif sont les ferments d’un rejet du « jupitarisme ».
Le basculement date de la crise des Gilets Jaunes. Celle-ci a eu – on le sait – comme élément déclencheur l’augmentation de la taxe sur les carburants. Mais cette goutte d’essence a fait déborder le réservoir du profond ressenti social d’un pouvoir éloigné, sourd aux souffrances d’une population qui a la malchance d’être du mauvais côté de la fracture sociale et territoriale et ce ressenti s’est transformé en haine pour celui qui incarnait ce pouvoir : Emmanuel Macron que les médias et les oppositions avaient habillé en président des riches, ce qui achevait de clouer son cercueil.
Sur les ronds-points et dans les manifestations, outre la suppression de l’augmentation de la taxe, on voyait des panneaux « Macron démission » ornés de la tête du Président en effigie et surtout une revendication fantasmatique « RIC » pour « Référendum d’initiative citoyenne ». L’idée, populiste par nature, est que les élus étant incapables de répondre aux aspirations du peuple, celui-ci doit décider directement ce qu’il veut par des votes populaires. Pourquoi la qualifier de populiste ? Pour la simple raison que lorsqu’on demandait aux manifestants, quelles questions précises et concrètes il faudrait soumettre au vote populaire, ils étaient bien incapables de répondre autrement que par des questions bateaux dont la réponse est connue d’avance : « êtes-vous pour ou contre la baisse des taxes et des impôts ou pour ou contre l’augmentation du pouvoir d’achat ».
De même, avant chaque manifestation à Paris, les organisateurs claironnaient que leur objectif était de prendre l’Elysée. Et après, qu’auraient-ils fait ? Ils n’en avaient aucune idée. C’était juste pour le symbole d’occuper le centre névralgique du pouvoir.
Mais cette idée que le pouvoir doit être exercé par le peuple lui-même est un des moteurs du populisme de droite comme de gauche. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon prétendent tous les deux s’exprimer au nom du peuple et l’idée de multiplier les consultations populaires s’ils arrivaient au pouvoir est au cœur de leur stratégie. Le leader des Insoumis promet des référendums d’initiative populaire - une procédure existe dans la Constitution mais les conditions de sa mise en œuvre sont tellement complexes qu’il n’y en a jamais – qui seraient à portée de clic pour n’importe quel citoyen.
De son coté, un des axes fort du RN est l’organisation d’un référendum sur le sujet sensible et central de son projet : l’immigration. L’idée est de modifier la Constitution qui interdit la préférence nationale et ne permet ni de fermer les frontières aux migrants ni d’expulser les étrangers pas tout blanc…. Puisque, selon le RN, les Français le veulent, ils pourront le dire par référendum.
Personne n’est dupe du caractère utopique de cette démocratie directe. Mais les politiques – même les non-écologistes – ont le sens du recyclage.
Surfant sur le rejet d’Emmanuel Macron et de l’incarnation du pouvoir vertical qu’il est, ils préconisent le retour au parlementarisme.
Eh bien, les Français – avec l’aide paradoxale du Président – l’ont fait avec les élections du mois de juillet en envoyant au Palais Bourbon, une représentation nationale sans majorité, composée de trois blocs de puissance sensiblement égale.
Dès le lendemain des élections, les politiques de tous bords étaient en extase. « C’est fait, le pouvoir est à l’Assemblée, fini Jupiter, fini Emmanuel Macron ». Une atmosphère digne du 14 juillet 1789.
Une analyse confirmée par Michel Barnier. Nommé dans les conditions abracadabrantesques que l’on sait, le Premier ministre a conscience que son pouvoir ne tient qu’à un fil.
Mais que font les parlementaires de leur pouvoir retrouvé ? Une farce, une honte. Le spectacle qu’ils donnent à l’occasion des débats sur les budgets de l’Etat et de la sécurité sociale est confondant. Rien de sérieux, de constructif. Chacun est dans sa posture, dans sa communication politique et clientéliste entre ceux qui multiplient les impôts et ceux qui coupent dans toutes les dépenses, sans parler de la course à l’échalote de la mesure la plus waouh et polémique possible qui assure quelques minutes de gloire wharolienne sur BFM.
Ils savent bien que leurs jeux du cirque n’ont aucun sens, que leurs milliers d’amendements plus mirobolants les uns que les autres ne seront pas retenus et d’ailleurs, ils ne le veulent pas. En réalité, ils n’attendent qu’un chose : que Michel Barnier déclenche le moment venu le 49.3 - et maintenant le plus tôt possible car ils sont fatigués - sur la base de son projet de budget initial, agrémenté de quelques aménagements pour qu’il soit adopté sans vote. Bien sûr, ils ne manqueront pas de dénoncer ce coup de force alors qu’ils n’auront pas voté la motion de censure déposée par LFI.
Les parlementaires voulaient le pouvoir mais le pouvoir, c’est la responsabilité. Ils refusent celle-ci grâce à ce fameux 49.3. Ce dispositif fait la démonstration jusqu’à la caricature de ce qui a déjà été exposé sur ce blog à savoir que, dans le cadre d’une majorité relative et plus encore en l’absence de majorité, il n’est pas une arme de contrainte entre les mains du gouvernement mais un instrument au service de l’irresponsabilité des politiques.
Les politiques se croient malin à jouer ce jeu alors qu’en réalité, ils organisent leur suicide collectif, façon Ordre du Temple solaire. Croient-ils que les Français sont dupes ? Croient-ils qu’ils vont retrouver leur confiance et leur crédibilité ?
Avec cette configuration, la Ve République du Général de Gaulle est arrivée au bout de son chemin. Il faut la réformer profondément dans un sens qui n’est ni parlementariste, ni un retour au jupitarisme et à l’omniprésidence.
Le principe est simple : la Nation et l’Etat – qui dans notre histoire sont imbriqués - doivent avoir une incarnation forte mais la représentation nationale doit avoir une existence pleine et entière et exercer son pouvoir en responsabilité.
Pour trouver cet équilibre entre un pouvoir fort et une représentation nationale solide et responsable, il faut s’inspirer – sans le copier – du système américain.
C’est contre-intuitif de considérer qu’un régime présidentiel donne une large place au pouvoir législatif. Et, pourtant, si on regarde les fondamentaux de la Constitution américaine, on constate que les pouvoirs exécutif et législatif sont clairement séparés et exercent pleinement leurs prérogatives. Aucun des deux n’a de moyens de pression ni d’arme de destruction massive contre l’autre.
Depuis la Maison Blanche, le Président ne peut pas dissoudre la chambre des Représentants – l’équivalent de l’Assemblée nationale -, il ne peut pas brandir un 49.3, ni aucun autre article de la Constitution pour que les Représentants se plient à ses volontés comme le vote bloqué, la limitation du temps des débats, l’article 40 sur l’équilibre financier, le vote par défaut, etc…, l’ordre du jour des débats est partagé entre le gouvernement et le Congrès. Pour proposer une loi, les élus n’ont pas à se réfugier dans « leur niche parlementaire », l’expression en dit long sur la considération que les institutions françaises portent aux représentants du peuple, réduits à être aux…abois pour se faire entendre. Une seule disposition lui permet d’interférer : le droit de véto mais c’est une balle à blanc. Si une loi ne lui parait pas satisfaisante, il peut bloquer sa publication et le texte repart au Congrès mais s’il est de nouveau voté dans les mêmes termes, le Président a l’obligation de le promulguer.
Au Capitole, les Représentants ne peuvent pas renverser le gouvernement avec une motion de censure, ni voter un rejet préalable sur un texte présenté par le gouvernement.
Le gouvernement, nouvellement nommé, ne prononce pas un discours de politique générale, sur lequel, selon son bon vouloir, les Représentants sont appelés à voter la confiance. Le Président s’adresse chaque année au Congrès lors du traditionnel discours sur l’état de l’Union où il communique ses orientations pour l’année à venir sans être sanctionné par un vote.
Ainsi, les deux pouvoirs face à face, marchent ensemble si la majorité à la Chambre et au Sénat – celui-ci a les mêmes pouvoirs – sont de la même couleur. Sinon, c’est la cohabitation à l’américaine et celle-ci est totalement dans les mœurs politiques. Depuis les années 60, tous les présidents ont connu, au cours de leur mandat unique ou double, une période où la majorité dans l’une ou l’autre instance ou les deux à la fois était du parti adverse.
Est-ce que cela bloque le fonctionnement institutionnel ? Non, cela complique la vie du Président évidemment mais ne remet pas en cause son pouvoir, son statut et l’incarnation qui est la sienne. La cohabitation américaine a été le ferment d’une culture de compromis. La Maison Blanche et le Capitole passent leur temps à négocier, à chercher un point d’équilibre et un compromis. Ce n’est pas toujours simple et sur des textes stratégiques, cela peut prendre du temps. Il n’a pas fallu moins de ses deux mandats à Barack Obama pour faire passer son projet de couverture maladie parce qu’il avait en face de lui un Congrès majoritairement républicain. Plus récemment, Joe Biden a dû batailler pendant des mois pour faire adopter une aide de 60 milliards de dollars à l’Ukraine à une majorité républicaine « trumpérisée ».
Cette séparation des pouvoirs oblige les Représentants et les Sénateurs à faire preuve du sens des responsabilités et à dépasser leur clivage et leur posture politico-médiatique.
Prenons l’exemple du budget. Il arrive parfois qu’au Congrès, républicains et démocrates ne parviennent pas à s’entendre. Le budget de l’Etat n’est pas voté et c’est le shut down. Le 1er janvier, les administrations sont à l’arrêt, les fonctionnaires sont renvoyés chez eux sans être payés, tous les établissements et structures fédérales sont fermés.
Mais c’est un coup politique. Rapidement, les élus se mettent autour d’une table et trouvent un compromis. En outre, pour spectaculaire qu’il soit, le shut down a des conséquences limitées puisque seul le niveau fédéral est concerné. Or, l’essentiel de la dépense publique américaine relève des Etats.
En France, pays centralisé s’il en est, un shut down aurait des conséquences ravageuses. 6 à 7 millions de fonctionnaires non payés, écoles, collèges, lycées, universités fermés, hôpitaux sans budget, collectivités locales à l’arrêt – une part importante du budget des communes, départements et régions est constituée de dotations de l’Etat – prestations sociales non payées, remboursement des soins bloqué, administrations et services publics aux abonnés absents, etc…
Quel parti prendrait la responsabilité de provoquer un tel chaos ? Evidemment aucun. Au lieu des jeux du cirque auxquels ils s’adonnent actuellement, les députés, particulièrement ceux du bloc central, seraient à la recherche d’un compromis, d’un point d’équilibre entre les économies et les hausses d’impôt pour réduire le déficit public.
L’intérêt d’un système inspiré du modèle américain serait double.
D’une part, le pouvoir aurait une incarnation avec le Président de la République, élu au suffrage universel pour un mandat de 7 ans, unique ou renouvelable une fois, et doté de pouvoirs spécifiques en matière de politique étrangère et de défense, ce qui impliquerait de nettoyer la Constitution de tous ses articles ambigus à commencer par le fameux article 20.
En effet, celui-ci stipule que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». C’est sans doute l’article le plus piétiné de la Constitution depuis 1958. En période normale lorsque le Président a une majorité, ce n’est pas le gouvernement qui est aux commandes mais bien le Président. En période de cohabitation, c’est du copilotage plus ou moins conflictuel et en période sans majorité comme actuellement, il n’y a pas de pilote dans l’avion, celui-ci étant incontrôlable, au bord du crash. Il faudrait donc réécrire ce texte :
Article 20 : Le Président de la République détermine la politique de la Nation
Article 20 bis : Le gouvernement conduit la politique de la Nation déterminée par le Président de la République
Article 21 : Le Parlement vote les lois et contrôle l’action du gouvernement.
D’autre part, les députés, assurés de ne jamais être dissous et n’ayant pas la possibilité de renverser le gouvernement seraient contraints à avoir le sens des responsabilités, à acquérir la culture du compromis dont le défaut amène les institutions au bord du gouffre. Sans le parachute du 49.3, ils seraient bien obligés de trouver une porte de sortie.
Une réforme des institutions n’est pas une condition suffisante pour résoudre une crise sociale, politique et sociétale mais c’est une condition nécessaire.
Si, d’une façon ou d’une autre, les politiques ne retrouvent pas le sens de l’intérêt général et celui de la responsabilité, le balancier repartira dans l’autre sens et les Français renoueront avec leur passion pour un pouvoir fort et se jetteront dans les bras d’un homme providentiel. Et cette fois-ci, ce ne sera pas le Général de Gaulle, mais Marine Le Pen, Jean Luc Mélenchon, un Orban français ou un avatar de Trump dont l’ampleur de la victoire est significative de l’enracinement des idées populistes et nationalistes dans le monde occidental.
° Centre de recherches politiques de Science Po https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/centre/presentation/
Un prochain billet traitera de la recomposition en marche du paysage politique