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Billet de blog 13 avril 2023

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Politique étrangère : Emmanuel Macron a tort d'avoir raison trop tôt

Pour avoir déclaré que l’Europe ne devrait pas être suiviste des Etats-Unis sur le sujet de Taïwan, le Président s’est attiré de violentes critiques. Et pourtant, ce non alignement est à la fois une constante de la politique française et une condition pour l’affirmation de l’Europe.

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"La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes sur la question de Taïwan et nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise.   L'Europe doit se réveiller. Notre priorité n'est pas de nous adapter à l'agenda des autres dans toutes les régions du monde. Pourquoi devrions-nous aller au rythme choisi par les autres ? A un moment donné, nous devons nous poser la question de notre intérêt".

Pour cette déclaration dans l’avion le ramenant à Paris après son voyage en Chine, Emmanuel Macron a été voué aux gémonies, envoyé dans l’enfer diplomatique. Comment a-t-il pu, en pleine guerre en Ukraine, alors que la Russie et son allié chinois menacent la paix dans le monde et veulent « tuer » l’Occident et les valeurs qu’il porte, se « coucher » devant le leader chinois qu’il venait de quitter ?

Le chœur des experts en diplomatie, des commentateurs et éditorialistes n’a pas eu de mots assez durs pour condamner le Président, certains allant même jusqu’à mettre en doute sa santé mentale. Le Macron bashing n’a pas de limite, certains de ses adeptes osent tout… c’est même à cela qu’on les reconnait pour paraphraser Audiard.

Ces plumitifs n’ont-ils aucune connaissance de la diplomatie française, ni aucune culture politique ?

Si on se calme et que l’on analyse les propos du Président de manière rationnelle, il apparait qu’il n’a rien fait d’autre que de réaffirmer la position historique de la France qui est d’être un allié mais pas un vassal à la mode anglaise comme les aiment les Etats-Unis.

Cette politique d’indépendance n’est rien moins que celle du Général de Gaulle, poursuivie par tous ses successeurs.

Les contempteurs du Président devraient se souvenir qu’au plus fort de la guerre froide, dans les années 60, le Général de Gaulle a toujours affirmé que la France resterait maîtresse de ses choix, qu’en cas de conflit avec l’URSS, il n’y aurait pas d’automaticité de son engagement. C’est pour cette raison qu’il a quitté le commandement intégré de l’OTAN (mais pas l’organisation elle-même) pour ne pas être entrainé à l’insu de son plein gré dans une guerre.

Ces contempteurs devraient aussi relire le discours du Général à Phnom-Penh en 1966 dans lequel il condamnait l’intervention américaine au Vietnam dont il prédisait l’échec ou encore celui de Mexico en 1964 dans lequel la stratégie américaine visant à faire de l’Amérique Latine, une sorte de barrière de protection anti-soviétique en installant des régimes militaires, - ce qui aboutira en 1973 au coup d’Etat organisé par la CIA de Pinochet au Chili – est dénoncée avec véhémence.

Enfin, ils devraient se rappeler le discours de Dominique de Villepin en 2003 à l’ONU, condamnant la volonté des Etats-Unis de lancer la 2e guerre du Golfe et se remémorer l’opposition de Chirac à cette guerre, ce qui lui avait valu d’être mis au ban par la Maison Blanche.  

Ainsi, les mêmes qui se lamentent – à juste titre - à longueur d’année de l’inexistence stratégique de l’Europe, réduite à regarder les balles que s’échangent Washington et Pékin, dénoncent celui qui veut affirmer une identité et une existence de l’Europe qui s’affirmerait et se donnerait les moyens de sa politique. Ils mettent en avant qu’en ce moment, avec la guerre en Ukraine, les Etats-Unis sont aux cotés des Européens et que ce n’est donc pas le moment de se distancier. Rien n’est plus faux. Si les Etats-Unis soutiennent – militairement et financièrement – les Ukrainiens, ce n’est pas pour suivre les Européens mais parce que c’est leur intérêt stratégique de contenir la Russie. Il est à observer que ce soutien est unilatéral et qu’il y a peu de concertation avec les pays européens.

Depuis les déclarations d’Emmanuel Macron, les Américains sont vent debout contre la France, comme ils l’étaient lorsque Chirac s’était opposé à la 2e guerre du Golfe.

Il faudrait donc qu’en cas de conflit avec la Chine sur Taiwan, les Européens, France en tête, soient le petit doigt sur la couture du pantalon et envoient des troupes dans le détroit de Formose.

Les Américains sont ainsi : leur super-puissance les amène à confondre alliés et inféodés. Mais, si on peut dire, il ne manque pas d’air. D’un côté, ils veulent une fidélité sans borne de leurs partenaires européens mais de l’autre, ils tentent de porter un coup fatal à leur industrie et à leur économie avec l’Inflation Reduction Act (IRA), cette loi qui prévoit des aides et des subventions à toute production industrielle – voitures électriques, panneaux solaires, éoliennes – respectant des normes environnementales à condition d’avoir été fabriquée aux Etats-Unis.

Et que dire de l’Aukus, cet accord de coopération militaire imposé par les Etats-Unis au Royaume-Uni et à l’Australie qui a amené ce pays à rompre le méga contrat de livraison de sous-marins conclu avec la France.

En réponse à cette politique hégémonique, il faudrait donc que l’Europe soit docile.

Tous ceux qui pourfendent Emmanuel Macron devraient au contraire saluer une stratégie politique qui consiste à retrouver une souveraineté française et européenne, tant sur le plan militaire que diplomatique et économique.

C’est une constante chez le Président, depuis son fameux discours à la Sorbonne en 2017. Et s’il a  évolué sur plusieurs sujets – retraite, nucléaire, etc..-, sur l’Europe, la constance est une réalité et les résultats commencent à émerger.

Il a été aidé en cela par plusieurs crises, en particulier le Covid et la guerre en Ukraine. La première a révélé la dépendance de l’Europe à la Chine dans le domaine de la santé avec le fait que 80% des principes actifs des médicaments y sont fabriqués sans parler des masques. Cela lui a permis de pousser l’Europe à adopter une stratégie de reconquête industrielle dans plusieurs domaines dont celui stratégique des micro-processeurs et des batteries qui, à l’heure du basculement vers le tout électrique automobile, sont stratégiques.

La guerre en Ukraine a révélé la dépendance énergétique de l’Europe à la Russie dans laquelle l’avait placée l’Allemagne avec la construction des gazoducs Nord Stream 1 et 2. Le Président a amené l’Europe à diversifier ses approvisionnements et donc à sortir de cette dépendance.

On a aussi beaucoup reproché au Président Macron d’avoir, au début de la guerre en Ukraine, voulu maintenir le dialogue avec Poutine et surtout d’avoir déclaré « qu’il ne fallait pas humilier la Russie ».

Là encore, les critiques avaient la vue basse et ignoraient l’Histoire.

En essayant d’amener Poutine à dialoguer, Emmanuel Macron était dans la ligne de la politique étrangère de la France. Pendant la guerre froide, la France a contribué à calmer le jeu entre l’Est et l’Ouest. En 1990, Mitterrand a discuté jusqu’au bout avec Saddam Hussein.

Quant à l’humiliation de la Russie, c’est une évidence qu’il faut l’éviter. Quelle que soit l’issue de cette guerre, la Russie sera toujours là, et il nous faudra bien cohabiter avec elle et on cohabite mal avec un grand voisin humilié, comme l’a montré ce qui s’est passé après la première guerre mondiale. Avec le traité de Versailles, les alliés ont humilié l’Allemagne et on a vu le résultat.

Il est à observer qu’après avoir beaucoup critiqué Emmanuel Macron pour ce dialogue maintenu avec Poutine, tout le monde cherche le moyen de discuter avec le leader russe.

Au final, il apparait qu’en matière de politique internationale, le Président Macron a toujours une longueur d’avance et prépare le coup d’après. Mais selon l’adage bien connu, « avoir raison trop tôt est un grand tort ».

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