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Billet de blog 16 avril 2024

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Iran-Israël : l'étrange paradoxe et les défis à tiroirs

Les drones et les missiles lancés par Téhéran contre Israël ont eu comme effet pervers d’apporter une bouffée d’oxygène à l’Etat hébreu en éloignant l’opprobre qui le frappe depuis son offensive contre Gaza. Mais, cet épisode a ouvert l’année de tous les dangers entre une région devenue incontrôlable et une Amérique réduite à l’impuissance dans la perspective de l’élection présidentielle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Et, si paradoxalement, l’Iran avait rendu service à Israël et plus particulièrement à Benjamin Netanyahou en lançant, dans la nuit du 13 au 14 avril, cette offensive de drones et de missiles balistiques sur l’État hébreu qui ont été à 99% détruits par la défense anti-aérienne israélienne, appuyée par des pays alliés dont la France ?

Depuis le mois de novembre, Israël est sur la sellette, montré du doigt, accusé de crimes de guerre, voire de génocide, - une terrible accusation dans son cas - en raison de sa réaction aux attaques terroristes du Hamas perpétrées le 7 octobre 2023.

Avec les plus de 30 000 civils Palestiniens tués, les infrastructures de Gaza anéanties, les hôpitaux bombardés, l’aide humanitaire boquée, etc.., on est loin, très loin du droit légitime à se défendre qui avait été unanimement souligné après les attentats.

Israël fabrique de l’antisémitisme et de l’antisionisme. Non seulement, les opinions se retournent mais les alliés prennent leur distance, y compris le grand protecteur américain. Joe Biden ne cesse - mais en vain - d’exhorter le premier ministre israélien à prononcer un cessez-le-feu.

Sur le plan intérieur, la situation est explosive. Une partie importante de la population conteste sa stratégie, considérant qu’elle met en danger la vie des otages aux mains du Hamas.

En outre, - précipitant la chute de popularité du gouvernement -, les services de renseignement et l’armée – fiertés du pays – sont tombés de leur piédestal pour n’avoir pas anticipé, ni rien vu venir des préparatifs des attentats.

Tous les jours, la question de la chute de Netanyahou se pose.

Mais voilà que par un extraordinaire retournement de situation, l’étau se desserre.

Cette attaque par le pays le plus dur et le plus dangereux de la région, près de détenir l’arme nucléaire, a ravivé le spectre de la destruction d’Israël et immédiatement provoqué le soutien militaire et politique de la communauté internationale.

Plusieurs pays dont la Jordanie mais surtout les Etats-Unis avec le Royaume-Uni, la Jordanie et la France ont participé à la contre-offensive.

Le porte-parole de l’armée israélienne a souligné que « la France a apporté une contribution importante » à la contre-attaque. Mais Le Président de la République a tenu à minimiser l’action de nos forces anti-aériennes en expliquant qu’elles avaient été engagées parce que les missiles iraniens pénétraient dans l’espace aérien de la Jordanie où nous avons une base. Il ne s’agissait donc pas d’une aide directe à Israël.

Cette contradiction traduit l’extraordinaire embarras dans lequel, cet affrontement direct entre Israël et l’Iran place les Occidentaux parce qu’il donne une extraordinaire bouffée d’air à Netanyahou.

Ces missiles et drones pointés sur Tel-Aviv et Jérusalem ont fait exploser toutes les mises en causes internationales et les critiques internes. Finies, les accusations de crimes de guerre, d’exaction, de but de guerre injustifiés et d’atteintes aux droits humains. Et, parce qu’ils ont anticipé les attaques et ont permis de neutraliser les missiles, les services de renseignement et les militaires ont retrouvé leur aura. Plus question non plus de se débarrasser du premier ministre.

Alors, M Netanyahou, merci à qui ?

L’ironie n’est pas trop de mise car la situation devient inextricable. Elle ressemble à un billard à deux bandes. Avec ses drones et ses missiles, l’Iran apporte une ouverture à Israël et du coup place les occidentaux face à un double défi.

Le premier est celui du choix entre un soutien indéfectible à Israël en passant par pertes et profits la situation à Gaza ou à l’inverse un soutien conditionnel. Où mettre le curseur ?

Le second est l’attitude face à l’Iran. Faudrait-il pour arrêter l’embrasement attaquer directement l’Etat islamique ?

On mesure l’embarras des pays occidentaux en entendant Joe Biden répéter son soutien indéfectible à Israël, tout en l’exhortant à ne pas riposter à l’attaque iranienne. Réunis en visio-conférence, les pays en G7 ne savent plus où ils habitent. Déclarant être « prêts à prendre des mesures à de futures initiatives de déstabilisation de l’État hébreu », ils réaffirment leur proposition de coopération « pour mettre fin à la crise de Gaza et demandent à Israël d’œuvrer à un cessez le feu immédiat et durable en vue de la libération des otages »

Échappant à tout contrôle, Israël devient ingérable et tend, par un étonnant retour de situation à devenir le fauteur de guerre en faisant savoir qu’il préparait une riposte à l’attaque iranienne.

Si Tel-Aviv frappe directement l’Iran, en ciblant par exemple les installations nucléaires du pays des mollahs, que devront faire les Occidentaux ? Envoyer une force d’interposition pour séparer les belligérants ?

Ce contexte est une illustration de la perte d’influence des Etats-Unis sur Israël. Il est loin le temps où il suffisait que Washington fronce des sourcils pour que l’Etat hébreu rentre dans le rang.

Et cette incertitude ne va faire que croitre et embellir avec le temps. Le problème de Joe Biden est qu’il est pris dans un infernal compte à rebours jusqu’à l’élection du 5 novembre. Chaque jour qui passe, réduit son autorité.

Il est clair que Benjamin Netanyahou joue la carte Trump. Du coup, les avertissements du président démocrate sont de moins en moins entendus.

En fonction du résultat de l’élection américaine, l’incertitude atteindra son paroxysme entre le 5 novembre et le 21 janvier, jour de l’investiture de l’élu.

Si Joe Biden est réélu – et s’il obtient une majorité au Congrès -, son autorité sera restaurée, ce qui devrait permettre de calmer le jeu.

En revanche, si Donald Trump est élu et renforcé par une majorité républicaine, ce sera le chaos car on aura en place un président qui n’aura plus aucune capacité à peser sur le cours des évènements et qui sera pilonné par un élu, dans les starting block pour investir le bureau oval.

Et cette situation n’épargnera pas l’Ukraine et la Russie. L’élection de Biden remettrait les Etats-Unis dans le jeu et apporterait à Kiev un espoir et une bouffée d’oxygène. La victoire de Trump serait à l’inverse l’ouverture d’un boulevard pour Poutine et placerait l’Europe face à un terrible défi. Celui d’un soutien militaire massif à l’Ukraine, y compris par l’engagement de forces armées comme Emmanuel Macron a lancé le débat ? Y aurait-il, dans ce scénario, place pour des lignes rouges ?

Ces 4 mois de transition américaine seront les mois de tous les dangers.

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