« La cagnotte de la honte » a tonné Olivier Faure à propos de l’appel à la solidarité à la famille du policier auteur du coup de feu mortel sur le jeune Nahel à Nanterre lancé par Jean Messiha, proche d’Éric Zemmour dont il a été le porte-parole pendant la campagne présidentielle.
Le Premier secrétaire du PS n’a pas tort. Cette récupération par l’extrême droite de ce drame est détestable, pour ne pas dire plus.
En quelques jours, cette cagnotte en ligne a recueilli 1,6 million d’€uro, apporté par plus de 100 000 donateurs.
En se focalisant sur le profil politique de l’initiateur de cet appel, les politiques et les médias sont passés à côté de l’essentiel.
Toutefois, certains médias comme Le Monde ou l’Express se sont intéressés au profil des donateurs. Il y a évidemment des policiers qui ont donné pour montrer leur solidarité envers leur collègue dont ils estiment – non sans raison - que la présomption d’innocence a été bafouée et que, à travers lui toute la police a été mise en cause, notamment par une certaine gauche. Il y a aussi des militants d’extrême droite qui ont donné des sommes importantes, 1000, 2000, 3000 €.
Mais, ce n’est pas le cœur du sujet. 80% des donateurs ont contribué par des sommes modestes, 5, 10, 15, 20 € pour les plus audacieux… Et le profil de ces « petits » donateurs en dit long sur la fracturation de la société.
Ce sont des petits commerçants, employés du secteur privé ou public, caissier(e)s de supermarchés, agents de service et d’entretien, auto-entrepreneurs, chauffeurs-livreurs, VRP, etc…
En d’autres termes, c’est la France des Gilets jaunes, celle qui se sent déclassée, dévalorisée, oubliée et celle – c’est parfois la même – du Covid que l’on a tant glorifié pendant les confinements parce qu’elle a permis au pays de tourner et de ne pas sombrer, comme les personnels soignants applaudis tous les soirs à 20 h 00.
Cette France là n’a pas supporté de voir des « émeutiers » casser, piller, brûler des écoles, des mairies, des centres sociaux, des petits commerces de proximité, des superettes et s’attaquer physiquement à des élus locaux. Ils se seraient contentés de saccager les commerces de luxe des Champs-Elysées et de l’avenue Montaigne – les Gilets Jaunes l’ont fait en 2018 -, la France d’en bas aurait presque applaudi. Mais les services publics – le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas comme on dit -, a été ressentie comme une agression contre elle-même.
Ainsi, une donatrice interrogée par l’Express affirme son « ras-le-bol de la violence et des attaques contre les symboles de la République » tout en déplorant la récupération politique.
En plus, il s’est produit un effet politique pervers. Pour se défendre de l’idée que l’Etat ne fait rien pour « ces quartiers », ces banlieues chaudes, le gouvernement a sorti des chiffres. Et c’est de l’artillerie lourde. Ainsi, on a appris ou plutôt découvert qu’à travers son bras armé, l’ANRU - Agence nationale de la rénovation urbaine - l’Etat met beaucoup de moyens dans ces zones sensibles : 12,4 milliards d’€ depuis 2014 dont 8,4 milliards d’€ pour rénover les logements, démolir les tours hideuses des années 60 et construire à la place des ensembles propres et fleuris, etc.. Cette politique vise aussi à réimplanter des services publics dans ces quartiers et des avantages fiscaux favorisent l’implantation d’entreprises.
Ainsi, la France des Gilets jaunes, celle qui est du mauvais coté de la fracture territoriale, a pris conscience que les milliards pleuvent sur ces quartiers dont les habitants – une minorité d’entre eux en réalité – se sont transformés en casseurs et pilleurs, armés jusqu’aux dents, de mortiers et autres équipements destructeurs.
Dans la France des Gilets jaunes, on ferme les écoles, les petits hôpitaux, les gares et les trains locaux qui s’y arrêtent, le dédoublement des classes de CP n’y est pas arrivé.
« Deux poids, deux mesures » a été le sentiment de ce côté de la fracture sociale et territoriale. Cette France-là – qui se lève tôt comme disait Nicolas Sarkozy – n’est pas aidée pour réparer ses maisons qui se fissurent ou ses logements vieillissants. En outre, elle est pointée du doigt par une certaine gauche bien-pensante pour ne pas se convertir assez vite à la voiture électrique sous le fallacieux prétexte du coût élevé des véhicules propres, ne pas succomber aux charmes du bio parce que la nourriture des supermarchés est moins chère et quand il faut arbitrer entre la fin du monde et la fin du mois, avoir la mauvaise idée de choisir la fin du mois, la fin de son mois.
D’ailleurs, symboliquement, la France des bobos qui font du vélo - la France gentrifiée - et la France d’en bas ne vont bientôt même plus se croiser. La seconde va se voir interdire l’accès aux centres-villes de la première avec les ZFE, zones à faible émission.
Pour cette France-là, la police est le dernier rempart qui la protège contre tous les violences, sociales et physiques même si l’immense majorité n’a pas vu d’émeutiers autrement qu’à la télévision et sur les réseaux sociaux mais le ressenti est bien celui d’un oubli, d’un abandon et d'une agression. Selon un sondage réalisé par BVA pendant les émeutes, 77% des Français ont une bonne image de la police.
Les politiques – gouvernement et Président en tête – devraient écouter le message que cette France de la fracture territoriale leur envoie et comprendre que, pour paraphraser Clausewitz, « la cagnotte est la poursuite de la giletjaunite par d’autres moyens ».