Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

66 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 octobre 2023

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Fin de la NUPES : Une chance historique pour le Parti socialiste

L’implosion de l’alliance de gauche après les déclarations de Mélenchon sur le Hamas est une opportunité unique pour le Parti socialiste de se reconstruire, de retrouver une identité et d’incarner un projet à la hauteur d’une histoire qui lui a échappé. Retour sur 40 ans de dérives et réflexion sur une résurrection attendue autant qu’indispensable pour la démocratie.

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est le débat politique du moment : la NUPES a-t-elle implosé à cause des réactions de Jean-Luc Mélenchon et de ses fidèles sur les événements au Proche-Orient renvoyant dos à dos Israël et le Hamas et refusant de qualifier cette organisation de terroriste alors, qu’en autres exactions, elle a massacré des civils dans un kibboutz et bombardé une rave-partie provoquant la mort de 260 jeunes venus écouter de la musique, ce qui fait de cette « opération » un super Bataclan ?

Les éditorialistes et les commentateurs débattent doctement de la survie de cette alliance après une telle sortie. Mais, c’est une blague. La Nupes n’a jamais existé. Comment un OPNI (Objet politique non identifié) qui n’a jamais eu d’existence peut-il disparaitre ? Vous avez 3 heures.

En effet, cette structure n’a jamais dépassé le stade d’une alliance électorale conjoncturelle conçue par le leader de LFI pour conforter son hégémonie sur les autres partis de gauche sortis exsangue de l’élection présidentielle de 2022. Aucun n’a franchi la barre des 5% : 4,6% pour Jadot, 2,28% pour Roussel et..1,7% pour Hidalgo, à comparer aux 22% de Mélenchon.

Pour les écologistes, les communistes et les socialistes, c’est sauve qui peut. L’accord électoral leur permettra d’avoir des élus et donc d’exister encore, sinon c’est le naufrage façon Titanic.

L’accord a beau être habillé d’un texte programmatique – dont l’essentiel consiste d’ailleurs à acter les divergences sur des sujets aussi essentiels que l’Europe, l’environnement, l’économie, le social,…- ce n’est qu’une opération de survie électorale.

Ils sont 150 à être élus sous la bannière NUPES. Pour autant, celle-ci n’a pas d’existence politique et organisationnelle à l’Assemblée. Chaque parti a constitué son propre groupe. Il y a bien un intergroupe mais il ne se réunit quasiment jamais et quand les députés s’y retrouvent, c’est pour échanger invectives, insultes et autres excommunications. De l’affaire Quatennens au projet sur les retraites, aucune voix collective ne se fait entendre. LFI mène le bal et les autres sont réduits à faire de la figuration plus ou moins intelligente.

Les positions de LFI ou plus exactement de Mélenchon et de Panot (au sein de LFI, cela tangue aussi), sur le Hamas ne sont que la goutte de fiel qui fait déborder le vase. LFI avait l’ambition de faire une liste NUPES aux élections européennes. Mais, dès son élection à la tête d’EELV, Marine Tonnelier a dit niet, suivie par Roussel. Il n’y avait qu’Olivier Faure qui tergiversait. Mais après la sortie de Mélenchon sur le Proche-Orient, le 1er secrétaire du PS qui s’accrochait à la NUPES comme une huître à son rocher a craqué. Le Conseil national du PS a décidé le 17 octobre de suspendre sa participation aux travaux de l’intergroupe, jugeant que Mélenchon est un obstacle à gauche.

C’est le PCF qui avait tiré le premier mortier en qualifiant le 14 octobre la Nupes « d’impasse » et « appelant à une nouvelle alliance avec les socialistes et les écologistes ».

Enfin, Yannick Jadot a joué le requiem « La Nupes est morte » a-t-il tranché.

Et si cette chronique d’une mort annoncée était une chance pour le Parti socialiste et pour la démocratie ?

La situation actuelle du Parti socialiste est l’aboutissement, la fin logique d’un long processus de désagrégation qui a commencé il y a exactement 40 ans.

Les archéologues de la politique datent, au carbone 14, à 1983, l’apparition de la fracture qui a fini par emporter le PS. Cette année-là, François Mitterrand décide un grand chambardement politique qui reste connu sous le nom « de tournant de la rigueur ». Elu en 1981 sur un projet socialiste de rupture avec le capitalisme sur la base d’un programme massif de nationalisations du secteur bancaire et des grands groupes industriels, de redistribution sociale, d’augmentation des salaires et de remise en cause de l’ordre hiérarchique dans les entreprises, il est obligé de constater, deux ans plus tard, à la fois la faillite financière du pays et son isolement en Europe. Halte au feu. La France rentre dans le rang et prend les mesures pour revenir dans le giron de l’Europe et du « serpent monétaire européen », préfiguration de l’€uro.

Mais il n’assume pas ce tournant. Il le présente aux Français comme une parenthèse qui sera refermée lorsque que la situation sera rétablie et qu’on pourra reprendra la marche vers le socialisme. Evidemment, la parenthèse ne se refermera jamais mais le Président entretiendra l’illusion.

Des lors, le PS, déjà traversé de nombreux courants, se trouve fracturé entre la gauche traditionnelle se référant à Jaurès et à Blum et celle qui est appelée alors la 2e gauche et dont les yeux sont tournés vers le SPD allemand qui a fait sa mutation vers la social-démocratie lors de son fameux congrès de Bad Godesberg en… 1959. Cette gauche-là est incarnée par Michel Rocard.

Parce qu’il est Mitterrand et qu’il a l’habileté de faire une sorte de « en même temps » avant l’heure qui l’amène à poursuivre cette politique de recentrage tout en tenant un discours de gauche, le message passe. Michel Rocard sera même nommé Premier ministre en 1988 et mènera une politique ambidextre entre d’un côté, une libéralisation de l’économie et de la finance et de l’autre des mesures sociales très à gauche comme le RMI.

L’attelage tient bon mais il se fissure. Le PS perd sa boussole et commence à avoir des problèmes de repères identitaires. En 1993, il est laminé aux élections législatives. François Mitterrand terminera son second mandat affaibli par la maladie et enserré par Edouard Balladur dont la politique libérale assumée se traduit, notamment, par la dénationalisation de nombreuses entreprises nationalisées en 1981.

Ce premier choc aurait pu, aurait dû être l’occasion d’une réflexion et d’une redéfinition du projet socialiste. Mais non, rien. Les socialistes continuent à se fracturer et à se livrer à des guerres d’égo, d’autant que la succession de Mitterrand approchant, les ambitions et les appétits s’aiguisent. Ils sont nombreux à être sur les rangs. Finalement, après quelques rebondissements - dont l’épisode Delors - et coups fourrés, c’est Lionel Jospin qui représentera le PS à l’élection présidentielle de 1995. Il mènera une bonne campagne sur une thématique de gauche pragmatique et fera un score honorable face à Jacques Chirac, ce qui l’installera comme leader du Parti et de la gauche. Bonne pioche. Ce statut l’enverra à Matignon après la dissolution ratée de 1997. Cette cohabitation n°3 lui sera profitable. Il mènera aussi une politique du en même temps entre une politique économique libérale – il poursuivra d’ailleurs les dénationalisations entamées par Balladur - et une politique sociale affirmée avec des mesures comme la CMU, les emplois jeunes et évidemment les totémiques 35 h. Le résultat est plutôt positif : Le chômage diminue sensiblement et les finances publiques s’améliorent.

Le choc du 21 avril 2002 où il est éliminé du second tour de la présidentielle n’en sera que plus terrible. Un nouveau et violent électrochoc pour le Parti socialiste. Celui-ci saisit-il l’occasion pour se refonder, construire un nouveau projet, se façonner une nouvelle identité ? Pas du tout. Au contraire. François Hollande, qui a pris la tête du Parti, est tout le contraire d’un refondateur. Il est connu pour être un transcourant. Depuis 1981, il s’évertue à apaiser les tensions entre les courants du PS, calmer les emportements des uns, les fougues des autres et trouver des points de convergences. Il va appliquer cette stratégie de l’édredon pendant 10 ans au lieu de trancher le nœud gordien. Le PS continue de s’enfoncer et de perdre son identité. Il connait cependant un moment de répit avec l’élection présidentielle de 2007 qui voit Ségolène Royal – désignée après une primaire interne – réaliser une bonne performance face à Nicolas Sarkozy sur une ligne bougi-boulga faite d’orientations sociales de gauche, sur le droit des femmes, l’ordre juste et une orientation économique suffisamment floue pour ne heurter aucune tendance de la gauche.

Cette parenthèse enchantée dispense le PS de réfléchir et se de repositionner. Assez rapidement, la perspective de l’élection présidentielle de 2012 se dessine. Le candidat du PS devra être désigné par une primaire, ouverte cette fois-ci. Du coup, le débat interne reprend de plus belle entre la ligne de gauche traditionnelle et la ligne ouvertement social-démocrate désormais. Très rapidement, depuis Washington où il dirige le FMI, Dominique Strauss-Kahn – héraut de cette ligne - apparait comme le favori. La primaire pourrait et devrait être enfin le moment de vérité puisqu’elle trancherait le dilemme des deux gauches. Là, l’intempérance de DSK à l’hôtel Sofitel de New York ferme cette perspective.

Cette circonstance fait les affaires de François Hollande. Il se lance, gagne la primaire et est élu face à Nicolas Sarkozy. Mais son élection marque le paroxysme des ambigüités du PS et ouvre la phase ultime de son déclin.

Il est élu sur une thématique très à gauche : « mon ennemi, c’est la finance ». Mais, au pouvoir, il s’en accommode et fait des compromis, jusqu’au jour où, sans prévenir personne et sans préparation, il annonce un grand revirement, celui du social libéralisme, une politique de l’offre qui vise à permettre de restaurer la compétitivité du pays et de donner aux entreprises les moyens et la souplesse de leur développement.

Cette clarification au niveau de l’Etat provoque un séisme au sein du PS dont un courant important, non structuré mais installé à l’Assemblée nationale apparait : les frondeurs. Ils vont tellement loin dans la contestation que Manuel Valls – premier ministre – est obligé de sortir le 49.3 pour faire passer la réforme du travail. Une loi qui aurait dû être portée par un certain Emmanuel Macron mais le sera par Myriam El Kohmri.

Ce moment marque la fracture définitive au sein du PS et le caractère irréconciliable des deux gauches comme le notera Manuel Valls. Cela marque aussi la fin de l’ère Hollande qui ne pourra pas se représenter. Emmanuel Macron n’aura qu’à se baisser pour ramasser les décombres du PS et ceux de LR – qui pour des raisons curieusement similaires (on y reviendra) – est dans la même situation pour emporter la mise.

Les socialistes n’ont toujours pas compris qu’ils payent ainsi le prix de leur non-choix. Ils organisent une primaire pour désigner leur candidat à la présidentielle de 2017 qui voit à nouveau s’opposer la ligne social-démocrate et la ligne tout à gauche représentée respectivement par Manuel Valls et Benoit Hamon. Ce dernier l’emportera mais réalisera un piteux 6% au premier tour de la présidentielle.

Le PS touche « le fond de la piscine » comme le chante Isabelle Adjani. Va-t-il réfléchir au moyen de sortir la tête de l’eau ? Eh bien non, toujours pas.

Elu à la tête du parti, Olivier Faure n’entreprend aucun travail de fond. Il louvoie et tente toujours de concilier les deux tendances qui s’affrontent éternellement sans comprendre qu’il est dans une impasse, qu’il va dans le mur en klaxonnant. Il n’intègre pas que les électeurs de gauche modérés, les classes moyennes et moyennes/ supérieures - qui avaient été la grande conquête des années Mitterrand - plutôt à l’aise dans l’environnement économique nouveau, ceux qui habitent les centres-villes sont partis chez Emmanuel Macron tandis que les électeurs des classes populaires sont allés – pour les plus idéologisés – chez Mélenchon tandis que les plus pragmatiques sont séduits par Marine Le Pen. La chef de file du RN sait en effet parler à ces électeurs du pouvoir d’achat, de l’emploi, de la désindustrialisation et même de ses thèmes favoris :  la sécurité et l’immigration. Au fond, qui est confrontés à l’insécurité, à la délinquance et sont en première ligne face à des populations d’origine étrangère peu ou mal intégrées ? Les classes populaires des banlieues et des quartiers défavorisés. Pas les « bourges » des centres-villes, ces bobos à laquelle la gauche intellectuelle est assimilée.

Et c’est ainsi qu’à force de poursuivre dans cette voie sans issue, le PS connaitra le naufrage absolu à l’élection présidentielle de 2022.

La politique, c’est une double incarnation. Celle d’un projet, d’une idée et d’une personnalité qui les porte. Ce n’est pas un hasard si aux deux dernières élections présidentielles, ce sont Emmanuel Macron et Marine Le Pen qui sont arrivés en tête au 1er tour. L’un et l’autre incarnent un projet. François Fillon, arrivés 3e en 2017 aussi incarnait un projet et Jean-Luc Mélenchon, 3e de l’élection de 2022, est aussi l’incarnation d’un projet.

Qui est capable de décrire le projet incarné par Anne Hidalgo ? Personne. Et pour cause, elle n’incarnait rien, c’était le vide sidéral.

Et si la fin de l’illusion de la NUPES était le coup de poing salutaire ? SI le PS décidait de rebondir et de travailler à un projet original de gauche ? Il a moins de 4 ans pour y arriver. C’est peu et c’est beaucoup.

Le contexte politique, économique, social, sociétal et international n’est pas le même. En 1971, lorsque François Mitterrand met la main sur le PS, celui-ci est à peu près dans le même état de déliquescence qu’aujourd’hui. Déstabilisé par la guerre d’Algérie, laminé par la machine gaulliste dans les années 60, explosé par mai 68, la SFIO – rebaptisée PS en 1969 – ne sait plus où elle habite. Gaston Deferre, son candidat à la présidentielle de 1969 ne dépasse pas les 5% et il n’y a que 57 députés socialistes à l’Assemblée après le raz de marée gaulliste de 1968.

Mais parce qu’il a une stratégie politique, un projet répondant aux aspirations de la classe moyenne alors en pleine ascension, François Mitterrand mettra moins de 3 ans à sortir le PS de l’ornière. En 1974, il rate de peu l’élection présidentielle, battu sur le fil (49,2%) pour avoir voulu s’arroger « le monopole du cœur » selon la terrible mais efficace formule de son adversaire Valery Giscard d’Estaing, finalement élu.

On a envie de dire aux responsables socialistes dont certains – Nicolas Meyer-Rossignol, Caroline Delga, Bertrand Cazeneuve, François Hollande, etc..- semblent être dans les starting-blocks : « votre mission, si vous l’acceptez, consiste à reconstruire le parti socialiste autour d’un projet de gauche, réaliste mais ambitieux, adapté au contexte actuel et à identifier une incarnation pour porter cette nouvelle ambition, à créer une offre politique alternative à la fois au macronisme et au populisme de droite comme de gauche car l’enjeu est de faire revenir dans l’arc républicain une partie de la population que la gauche de gouvernement a abandonné et qui s’est tournée vers les extrêmes croyant y trouver une réponse à ses attentes. Si vous étiez pris ou capturés par les forces populistes, la République nierait avoir eu connaissance de vos agissements. Bonne chance ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.