Pour panser les plaies ouvertes par la réforme des retraites, le Président a entamé son mouvement des 100 jours avec au programme trois chantiers : la santé, les conditions de travail et la sécurité au sens large.
Evidemment – réflexe pavlovien oblige – les commentaires sur son impuissance, sa solitude et la légèreté de cette stratégie de sortie de crise ont fleuri et occupé tout l’espace politique et médiatique.
Mais, à y regarder de plus près, à travers ces axes de travail, Emmanuel Macron a dessiné l’objectif de son second quinquennat qui parait – même si cela lui est en partie imposé par le contexte politique – cohérent et logique avec la matrice du premier.
Pour résumer, dans son premier mandat, le Président s’est occupé de la France. Pour le second, il entend s’occuper des Français.
De fait, entre 2017 et 2022, il a remis la France en marche, adapté les règles du jeu économique et social et relancé le projet européen. A travers ce qu’il est convenu d’appeler « la politique de l’offre », faite de desserrement de l’étau fiscal (suppression de l’épouvantail de l’ISF, baisse des charges sociales et des impôts sur les entreprises), de réforme du droit du travail – sans remise en cause des acquis sociaux -, d’allégement de la contrainte bureaucratique, le pays a retrouvé de la souplesse et de la compétitivité.
Souvenons-nous : avant, « les freins à l’embauche » était le lamento préféré du patronat. Ce thème a disparu du débat public, et pour cause : le chômage atteint son plus bas niveau depuis longtemps avec en ligne de mire le plein emploi. Pendant trois ou quatre décennies, la dominante était « chômeur recherche emploi désespérément », désormais, c’est « entreprise recherche salarié désespérément ». Pendant longtemps, on se pâmait devant le modèle d’apprentissage allemand. Aujourd’hui, l’apprentissage fait le plein.
La France a retrouvé le chemin de l’attractivité. C’est le pays qui accueille le plus d’investissement étranger, le mouvement de désindustrialisation qui semblait inéluctable a été inversé. Ce n’est pas encore perceptible mais depuis 2019, le pays crée plus d’emplois industriels qu’il n’en détruit.
Bref, la France a été remise sur les rails. A ce bilan, s’ajoute la gestion économique du Covid avec « le quoi qu’il en coûte » qui, s’il a plombé les finances publiques, a maintenu l’appareil économique du pays en état et a pu redémarrer le moment venu. Sans cette politique, combien de faillites, de chômeurs, de compétences envolées ?
Mais, au milieu de ces évolutions structurelles, les Français ont été oubliés ou plutôt ont eu le sentiment d’être oubliés. La crise des gilets jaunes – dont le ressort était un sentiment de déclassement - a été insuffisamment prise en compte. Le grand débat qui a suivi a eu peu d’effet et les milliards dégagés en revenus et prime n’étaient pas la réponse à ce ressentiment. Au fond, la crise sociale provoquée par la réforme des retraites, c’est du Clausewitz adapté au champ social : la poursuite du mouvement des Gilets jaunes par d’autres moyens.
C’est sans doute moins la perspective de travailler quelques mois de plus qui a provoqué ce rejet que l’idée que cette rallonge n’a pas d’autre sens que de prolonger ce statut de déclassement et d’inutilité. Bref, le sujet c’est le rapport au travail qui a explosé avec la crise du Covid et les confinements.
Le Président a commis plusieurs erreurs.
Dans son esprit, cette réforme des retraites était une manière de boucler son premier quinquennat, puisque le premier projet avait été enterré par la crise du Covid.
Mais il a sous-estimé à la fois le ressenti social avec la thématique de la relation au travail et l’impact de n’avoir qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale, avec comme opposition que des partis populistes (RN d’un côté, LFI de l’autre). Le débat à l’Assemblée a montré qu’avec des opposants de cette nature, il est impossible de faire entendre la voix de la raison.
Le 49.3 – qui a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase du ressentiment – a révélé que son interprétation n’est pas celle que l’on croit. Avec une majorité relative et des partis démocratiques, comme les LR aux abois, ce n’est pas une arme au service du gouvernement, mais un instrument au service de l’irresponsabilité de ces partis. Logiquement, les Républicains qui chaque année votent l’âge légal de la retraite à 65 ans, auraient du soutenir cette réforme. Oui, mais pour ne pas apparaitre rejoindre la majorité, une partie d’entre eux a menacé de faire dissidence. Pour sortir de cette contradiction, le gouvernement – contraint et forcé – leur a servi le 49.3 sur un plateau. On peut faire le scénario que, s’il n’y avait pas cette procédure de vote par défaut, les LR auraient voté la réforme. C’est le paradoxe du 49.3.
Ces erreurs d’appréciation ont contribué le Président à se placer dans une nasse politique et sociale pour pas grand-chose au fond : une réforme paramétrique dont l’intérêt est faible. Tout ça pour ça.
Les objectifs définis pour sortir de cette impasse répondent-ils aux attentes des Français et sont-ils à la hauteur des enjeux ? Pour louable qu’il soit, l’objectif de permettre à ceux qui en ont besoin d’avoir un médecin traitant ne saurait être l’alpha et l’oméga de la remise en état de notre organisation de santé.
Le Président s’est donné 100 jours pour avoir la réponse. Drôle de référence que cette durée. On saura donc le 14 juillet si on est à Austerlitz ou à Waterloo. Emmanuel Macron joue son quinquennat à quitte ou double.