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Billet de blog 19 juin 2025

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Réforme de l’audiovisuel public : « A vous Cognac Jay !!! »

La création d’une holding regroupant tout l’audiovisuel public dirigée par un super PDG fait peser la menace d’une mise sous contrôle de l’information par l’Etat. L'instance de régulation indépendante qui sera mise en place est un rempart qui ne résisterait pas à un régime illibéral. L’indépendance de l’audiovisuel public doit être constitutionnalisée. Explications et petit voyage dans le temps.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Plusieurs fois annoncée et reportée – notamment en raison de la dissolution et de la chute du gouvernement Barnier – la réforme de l’audiovisuel public voulue par Rachida Dati arrive à l’Assemblée nationale le 30 juin.

Elle est contestée, jugée inutile et même dangereuse par les professionnels du secteur et les syndicats qui y voient les prémices d’une privatisation et d’un appauvrissement de l’audiovisuel public. Le point nodal de cette réforme – le regroupement des télévisions et radios publiques et de l’INA dans la holding France Média dirigée par un super PDG qui aura sous son contrôle direct le directeur de l’information du groupe – fait craindre une remise en cause de l’indépendance de l’audiovisuel et de la liberté des journalistes.

A tout cela, la ministre de la culture répond (Le Monde 17/06) « qu’il est nécessaire d’avoir un PDG unique et une stratégie partagée afin d’éviter des divergences opérationnelles qui ralentissent les rapprochements et coopérations nécessaires » et, s’agissant du big boss, que celui-ci « sera nommé avec un projet et une équipe par une autorité indépendante, soit un mode de nomination semblable à celui qui a cours actuellement et qui est indépendant du politique ».

Ce rempart – avec cette autorité indépendante de type Arcom – est bien fragile. Rien n’empêcherait un parti illibéral – le Rassemblement national par hypothèse – de le supprimer. Le risque n’est pas théorique. Il suffit de regarder ce qui se passe dans les pays européens dirigés par des partis populistes. En Pologne, lorsque le PIS était au pouvoir, l’audiovisuel public était bâillonné. Dans la Hongrie d’Orban, il est sous contrôle. En Italie, Meloni mène une offensive contre la RAI et ses journalistes dont certains sont écartés de l’antenne et dont certaines émissions au ton persifleur sont arrêtées.

On n’y peut rien, le contrôle de l’information est dans l’ADN des partis populistes.

La réforme Dati ne serait acceptable qu’à la condition que l’indépendance de l’audiovisuel public, la liberté et le pluralisme d’expression dans les médias publics soient verrouillées et pour cela, il n’y a qu’un seul moyen : la constitutionnalisation.

En 2024, l’avortement a été introduit dans la Constitution parce qu’il a été considéré que ce droit fondamental pouvait être remis en cause si un pouvoir conservateur et réactionnaire s’installait et ce n’est pas une vue de l’esprit. Les exemples polonais et américain le prouvent.

La liberté et le pluralisme de l’information ne sont-ils pas des droits aussi fondamentaux que l’avortement ? C’est même un critère qui fonde la démocratie. Il constitue, selon l’expression consacrée, le 4e pouvoir. Dans un paysage médiatique en voie de « bollorisation », c’est un enjeu essentiel que d’avoir un pôle public garant du pluralisme et de l’indépendance par une affirmation constitutionnelle.

A défaut, l’audiovisuel public pourrait retomber dans les affres du passé comme on va le voir.

Les plus anciens vont se rappeler - et les plus jeunes apprendre - qu’au temps du Général de Gaulle, le sommaire et les sujets du journal télévisé de 20 h sur l’unique chaine en noir et blanc se décidaient, chaque matin dans le bureau du ministre de l’information.
En 1964, ce ministre, Alain Peyrefitte, s’invite un soir sur le plateau du journal présenté par Léon Zitrone – celui dont les détracteurs disent alors que lorsqu’il s’adresse à un ministre, ses phrases se composent d’un sujet, d’un verbe et d’un…compliment – pour expliquer la réforme du.. journal télévisé qui comptera moins de plateaux et plus de sujets pédagogiques sur l’actualité explique le ministre. Il faut voir aussi cette archive de l’INA où ce même Peyrefitte s’indigne que l’opposition réclame du temps d’antenne. « Elle n’est pas en responsabilité, alors pourquoi veut-elle s’exprimer ? »…
En 1968, le Général vire tous les journalistes de la télévision et de la radio publiques – et ils étaient nombreux – qui avaient eu la mauvaise idée de faire grève pour revendiquer leur indépendance.

En 1970, après une brève période de libéralisation de l’ORTF initiée par le premier ministre Chaban-Delmas, le Président Pompidou reprend la main. La télévision devient « la voix de la France » et « les journalistes de la télévision ne sont pas des journalistes comme les autres ».

En 1974, avec l’arrivée du libéral moderne Giscard d’Estaing, il est mis fin à ces pratiques dignes de l’Union soviétique. On la joue subtil, à travers les nominations de dirigeants choisis pour leur affinité pour ne pas dire proximité. En 1977, le Président nomme Jean-Pierre Elkabbach, directeur de l’information de la 2e chaîne de télévision - devenue Antenne 2 - contre l’avis de Marcel Julian, PDG de la chaîne qui s’en plaindra publiquement. Un épisode en dit long sur le rôle de commissaire politique de JPE. En 1979, un jeune journaliste – Claude Sérillon – fait une revue de presse dans le journal de 13 h de la chaîne. Un mercredi du mois d’octobre, le Canard Enchainé publie une information choc : Le Président Giscard d’Estaing aurait reçu des colliers et des rivières de diamants en cadeau de Bokassa, empereur de la Centrafrique. C’est le début de ce qui deviendra l’affaire des diamants qui empoisonnera la fin du septennat de VGE. Ce jour-là, les radios et les journaux font leur choux-gras de ce « scoop ». C’est l’information du jour. Difficile de passer à côté quand on fait une revue de presse. Et pourtant. Elkabbach prévient le journaliste « si tu parles des diamants, je te vire ». Sérillon n’en tient pas compte et accorde une large place dans sa revue de presse à la révélation du Canard. Il sera viré ou plus exactement mis dans un placard dont il ne sortira qu’en 1981 après l’alternance, auréolé de cet acte de résistance.

Parce qu’avec Mitterrand, le contrôle sur l’audiovisuel public ne faiblit pas. Au contraire. Une petite histoire dans la grande est révélatrice du fantasme que la télévision et les 30 ou 35 millions de téléspectateurs qui, en ce temps-là, regardent les 20 h de la 1ere et 2e chaines – les grands-messes comme on disait alors - exercent sur les hiérarques socialistes.

En 1980, pour soutenir son candidat à l’élection présidentielle de 1981, le Parti socialiste créé un quotidien du soir – Combat socialiste – dont il voulait faire rien de moins - on est prié de ne pas rire - que le concurrent du Monde.  Ayant participé à cette aventure, j’en conserve un souvenir à la fois ému et instructif. Emu, parce que, côtoyant - pendant une campagne électorale d’une intensité unique - les dirigeants socialistes qui deviendront après l’élection de 1981, les grandes figures du régime, rencontrant, interviewant François Mitterrand et recueillant parfois ses confidences, j’ai le sentiment d’avoir participé à un moment fort de notre vie politique.

Instructif parce que cette expérience a été, en quelque sorte, une formation accélérée sur les relations incestueuses entre les médias et les politiques. Ce journal de combat – à tous les sens du terme – modeste eu égard à ses moyens était une sorte d’armée mexicaine. La hiérarchie – du directeur aux chefs de services en passant par les rédacteurs en chef - reproduisait le comité directeur du PS. Chaque courant du parti s’était battu pour être représenté dans le pilotage de ce média. Il y avait donc les mitterrandistes évidemment, les mauroyistes, les chevènementistes, les rocardiens (dont tous les autres se méfiaient), etc..
Et pendant que les petites mains – les jeunes journalistes comme moi – se battaient pour faire tant bien que mal leur métier, les chefs s’affrontaient en guerres picrocholines pour choisir les thèmes à valoriser et les titres de la Une. Il y avait une ambiance de fébrilité autant que d’affrontement qui montait au fur et à mesure que la perspective de l’élection de FM s’affirmait.
Le 10 mai au soir, l’exaltation est évidemment à son comble. Outre la victoire du « peuple de gauche », l’équipe du journal a une autre raison de se réjouir. Elle considère qu’avec cette élection, Combat socialiste va devenir Le grand journal de la nouvelle ère qui s’ouvre avec la manne financière de l’Etat qui va s’abattre sur lui.

Las, François Mitterrand va se charger de doucher grave ce rêve. Quelques jours après son élection, il décide de mettre fin à l’aventure du quotidien socialiste. A ceux qui lui font remarquer que c’est dommage de se priver d’un journal de soutien alors que l’essentiel des journaux et magazines sont en opposition, le nouveau président répond : « Peu importe la presse, maintenant ON a la télévision »…..

Elkabbach – ou plutôt Ex-kabbach comme le brocardaient les socialistes chauffés à blanc le soir du 10 mai sur la place de la Bastille – est donc débarqué manu-militari pour ainsi dire. Dans la charrette robespierrienne qui l’embarque, il retrouve nombre de dirigeants et de journalistes coupables d’incarner l’ère giscardienne, pour ne pas dire l’Ancien régime. Jack Lang, jamais à court d’emphase, n’a-t-il pas dit que « le 10 mai, la France est passée de l’ombre à la lumière » ? Ils seront remplacés par des cartes de presse plus en phase avec le nouveau pouvoir. En plus, pour complaire au Parti communiste, Mitterrand fait engager une sorte de quota de journalistes communistes. Des plumes, issues de l’Humanité, le quotidien du PC, se retrouvent journalistes, éditorialistes, commentateurs sur les 3 chaines de télévision….

Mais cette emprise lourde sur la télévision publique devient encombrante et est de plus en plus contestée, y compris et surtout par les journalistes de la télévision qui, malgré leur affinité, voudraient bien être des journalistes comme les autres et exercer leur métier en toute indépendance. Pour donner le change et préparer l’éclatement du monopole qui interviendra d’abord avec la création de Canal+ en 1984 et surtout la privatisation de TF1 en 1987, le gouvernement crée une autorité indépendante, - la Haute autorité pour la communication audiovisuelle – qui aura pour mission de veiller à l’indépendance des chaînes avec, en particulier, la responsabilité d’en nommer les dirigeants. Eureka, les liens sont coupés ? En fait, ils sont distendus. Les membres de cette autorité sont choisis avec soin. La journaliste Michèle Cotta qui en est la première présidente n’est pas une adversaire. Pour autant, elle entend exercer en pleine autonomie ses fonctions. Elle racontera dans un livre, les difficultés qu’elle a eu à imposer son indépendance, soumise qu’elle était à des demandes pressantes, voire des pressions de la part des ministres et autres hiérarques du PS.

Revenue au pouvoir en 1986, la droite supprimera la haute autorité et la remplacera par un clone, dirigé par un proche. Il en sera ainsi presque à chaque alternance. Néanmoins, à chaque fois, l’instance de régulation avance sur la voie de l’indépendance, à tel point que cela agace Nicolas Sarkozy qui la réforme en redonnant au président de la République le pouvoir de nommer les dirigeants des chaines publiques. Pour montrer son souci de l’indépendance de l’audiovisuel, François Hollande revient en arrière, redonnant à l’instance de régulation le pouvoir de nomination. Enfin, dernière étape, en 2022, l’Arcom – fusion du CSA et de la Hadopi – est créée.

Cette histoire tourmentée des instances de régulation veillant à l’indépendance des médias publics en montre la fragilité et les limites. Le comble est que la ministre de la culture vient d’en faire la démonstration. Au début du mois de juin, elle a essayé d’empêcher la diffusion d’un reportage du magazine d’investigation Complément d’enquête qui la mettait en cause pour une affaire supposée de corruption : elle aurait reçu 300 000 € de la part d’ENGIE pour faire du lobbying en faveur de l’électricien lorsqu’elle était député européen. France 2 a résisté et le reportage a été diffusé. Depuis, Rachida Dati ne décolère pas, jurant qu’elle « finira par avoir le scalp de Delphine Ernotte », la PDG de France-Télévision.

Cet épisode est révélateur de la tentation permanente des politiques de contrôler l’audiovisuel public et de considérer que les médias publics sont à leur service. Cela confirme la nécessité d’une constitutionnalisation de l’indépendance et du pluralisme de l’audiovisuel.

A défaut, le risque d’un retour en arrière est réel. Or, à l’exception des nostalgiques conservateurs, adeptes du « c’était mieux avant », personne n’a envie de revoir sur les chaînes publiques les journalistes conclurent leur direct par le fameux « Ici, Kiev, Téhéran, Moscou ou Mont-de-Marsan, à vous Cognacq-Jay !!! ».

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