Après 17 jours de crises, d’invectives, de noms d’oiseaux, d’insultes, de jeu de « tournez manège » autour de noms aussi vite disparus qu’apparus, sur le choix d’un(e) Premier ministre, les partenaires du Nouveau Front Populaire croient ou plutôt essaient de nous faire croire depuis mardi 23 juillet qu’ils ont résolu le casse-tête avec Castets.
Mais c’est faux. Le choix d’une totalement inconnue – il fallait voir la mine désespérée des journalistes des chaines d’info continue à la pêche aux informations sur cette haute fonctionnaire de la Ville de Paris qui n’a même pas de fiche Wikipédia – est une gesticulation destinée à cacher la fin du NFP.
Une rupture à bas bruit, en douceur mais une rupture profonde. Les dirigeants du Front ont même tenté une opération médiatique grosse ficelle en sortant le nom de Lucie Castets une heure avant qu’Emmanuel Macron prenne la parole à la télévision. A moins qu’ils soient totalement débiles, ils ne pouvaient pas croire que le Président allait dire « j’ai appris par BFM que le NFP s’est accordé sur une personne pour Matignon, très bien, je la nomme ». C’était juste pour pouvoir marteler une fois de plus que « Le Président ne respecte pas le vote des Français ».
Malgré toutes les qualités qui lui sont prêtées, Lucie Castets ne sera jamais nommée Premier ministre. Les responsables de la gauche le savent bien et c’est cela qui acte la rupture. Ne pouvant et surtout ne voulant pas s’entendre sur un nom crédible, ils ont préféré arrêter le jeu mais sans éclat pour entretenir l’illusion de l’unité afin, comme on disait autrefois de « ne pas désespérer Billancourt ». La trêve olympique va jeter un voile pudique sur cette rupture mais la vérité se révèlera après le 15 août ou en septembre lorsque le Président, comme il l’a confirmé, nommera un Premier ministre avec pour mission de trouver un accord de gouvernement entre les partis de l’arc républicain. Les écologistes, les communistes et surtout les socialistes devront alors se prononcer et faire savoir s’ils sont à la hauteur des enjeux répondant ainsi à la demande du Chef de l’Etat de prendre leur responsabilité dans l’intérêt du pays.
En fait, l’échec de la gauche était consommé dès le soir du second tour des législatives lorsque, prenant tout le monde de vitesse, Jean-Luc Mélenchon annonce que la gauche ayant la majorité, elle va proposer un premier ministre qui appliquera « le programme, rien que le programme mais tout le programme du NFP ». Une affirmation péremptoire qui repose sur un mensonge. Avec 182 députés, le NFP n’a pas de majorité, même relative. Pour gouverner dans ces conditions – c’est la règle dans toutes les démocraties parlementaires – il faut composer avec d’autres forces politiques.
Jean-Luc Mélenchon sait tout cela mais s’il reste inflexible et entraîne la gauche dans le mur, c’est pour une raison simple : il ne veut pas d’un gouvernement de gauche. Pour écarter cette perspective, il provoque la rupture.
Cette situation de la gauche qui, au bord du pouvoir, refuse l’obstacle renvoie à une situation étrangement analogue. Les circonstances sont différentes mais l’été 2024 de la gauche entre en résonnance avec l’été 1977 de la gauche, comme si l’Histoire, à défaut de se répéter, bégayait.
Pour comprendre, il faut faire remonter le contexte des années 70. En 1969, à l’élection présidentielle qui suit la démission du Général de Gaulle, Gaston Deferre, le candidat socialiste, recueille à peine 5% des suffrages, contre 20% pour Jacques Duclos, le pittoresque candidat communiste. La SFIO – rebaptisée Parti socialiste en 1970 – sort exsangue de la période gaullienne. Elle n’existe plus. Alain Peyreffitte disait « entre nous (les gaullistes) et les communistes, il n’y a rien ».
En 1971, François Mitterrand – qui se cherchait un destin – réalise avec quelques complices comme Jean-Pierre Chevènement une OPA sur le PS. Son objectif est d’en faire une machine de conquête du pouvoir. Pour cela, il modernise la doctrine en l’adaptant aux aspirations de la société des 30 glorieuses qui s’illustre par l’émergence de la classe moyenne, la réduction de la part des ouvriers et des aspirations sociétales issues de mai 68. Il s’entoure de jeunes politiques, en quête d’un horizon politique comme Laurent Fabius, Jack Lang et de caciques désespérés par la chute de la vieille maison socialiste. Ce sont les sabras de Mitterrand qui deviendront plus tard, à force de vivre sous les ors des palais nationaux, les éléphants du PS.
Il a une stratégie : l’Union de la gauche avec le puissant parti communiste. Les 3 partis de gauche – le petit parti radical de gauche est entré dans le jeu -, il signe, en 1972, le Programme commun. Un projet de « rupture avec le capitalisme », à base de nationalisation d’un vaste secteur industriel et bancaire, d’un renforcement du pouvoir syndical dans les entreprises et de mesures sociales généreuses. Le soir même de la signature du Programme commun, le premier secrétaire du PS s’envole pour un congrès de l’internationale socialiste dominée alors par les partis sociaux-démocrates de plusieurs pays comme l’Allemagne avec Willy Brandt et les pays d’Europe du Nord comme la Suède avec le charismatique Olof Palme. A l’étonnement de ses partenaires au fait qu’il adhère à une telle rupture économique, François Mitterrand répond qu’il n’a que faire du Programme commun. C’est juste un moyen de récupérer 3 millions de voix au PC. « Il s’agit de plumer la volaille communiste » dit-il crument.
Les résultats ne se feront pas attendre. Aux législatives de 1973, le PS dépasse légèrement en voix et en sièges le parti communiste.
En 1974, à l’élection présidentielle anticipée à la suite du décès de Georges Pompidou, François Mitterrand est, comme en 1965, le candidat unique de la gauche. Il rate de peu l’élection (49,2% contre 50,08% en faveur de Giscard d’Estaing) et devient le leader incontesté de la gauche. Le PS poursuit ce qui semble être une irrésistible ascension. Il gagne les élections cantonales de 1976 et prend 31 grandes villes aux municipales de 1977 à la majorité giscardo-chiraquienne mais aussi au parti communiste.
Les élections législatives de 1978 sont données gagnantes pour l’Union de la gauche. C’est alors qu’au début de l’été, le Parti communiste demande « l’actualisation du Programme commun ». Prétextant que depuis 1972, les temps ont changé et que la situation des classes populaires s’est dégradée, Georges Marchais, le mirobolant secrétaire général du PC, exige une révision du projet dans un sens encore plus gauchisé, comme un périmètre élargi des nationalisations, un pouvoir syndical et politique renforcé dans les entreprises, ce qui aboutirait à une soviétisation de l’économie française.
C’est un vrai coup de Jarnac. Et, comme en matière de coup de Jarnac, le leader socialiste s’y connait, il comprend que son partenaire veut la rupture de l’Union de la gauche pour lui faire perdre les élections. Mais, il ne peut pas refuser la négociation au risque d’apparaitre comme le responsable de la rupture. Le PS se met à la table des négociations, tentant de tempérer les ardeurs des communistes qui restent intransigeants. Le piège risquant de se refermer, au début du mois de septembre, Mitterrand, avec Robert Fabre, le président du PRG, met fin aux négociations et dénonce les dérives et les délires du PC. La rupture ainsi consommée, les élections législatives de 1978 seront perdues pour la gauche.
Mais, pourquoi Georges Marchais ne voulait-il pas la victoire de la gauche ?
Le PC est alors inféodé à Moscou. On est en pleine guerre froide. Les dirigeants soviétiques ne veulent pas que la France soit dirigée par la gauche, surtout avec….le parti communiste. La France gaullienne et désormais giscardienne appartient sans contestation au camp occidental mais elle n’est pas alignée sur les Etats-Unis. Elle est sortie du commandement intégré de l’OTAN et sa stratégie nucléaire est indépendante. Elle est une sorte de pont, de point d’équilibre et de dialogue. Les dirigeants soviétiques considèrent que si la France bascule à gauche, les Etats-Unis intensifieront la guerre froide et renforceront leur présence militaire, y compris nucléaire en Europe à un niveau qu’ils ne pourront pas suivre. Trop dangereux. Conclusion : pas de gouvernement de gauche en France.
En bon soldat, Marchais s’exécute et torpille l’Union de la gauche.
Le parallèle entre 1977 et 2024 est dans le refus d’un partenaire d’aller au pouvoir. Pour Jean-Luc Mélenchon, il ne s’agit pas de complaire à Moscou mais d’une stratégie personnelle pour la présidentielle de 2027. S’il devait y avoir un gouvernement de gauche maintenant, il ne serait plus au centre du jeu et risquerait d’être marginalisé dans l’application d’un projet qui réussirait ou échouerait. Dans les deux cas, il serait hors-jeu. En cas d’échec évidemment mais aussi en cas de réussite où ce serait le Premier ministre ou un autre leader de la gauche qui tirerait les marrons du feu
Alors, il joue le pourrissement, pousse les partenaires à la faute et les place dans un corner. Comme Marchais en 1977. Mais la différence est dans les acteurs de ce théâtre politique.
Le plus étonnant pour ne pas dire le plus consternant est, en effet, la comparaison entre les partenaires de 1977 et ceux de 2024. Il y 47 ans, on avait affaire à des stratèges. Le casting de 2024, n’est pas le même. On a affaire à des amateurs. Si Mélenchon est dans son genre, un assez bon remake de Marchais, que dire des autres, à commencer par Olivier Faure qui se fait promener par le leader insoumis, qui semble ne rien comprendre au film, qui s’accroche au NFP comme une huître à son rocher comme il le faisait avec la Nupes ? Et François Hollande qui garde un silence assourdissant ? Est-ce au niveau d’un ancien Président de la République ?
Y-aura-t-il, le moment venu, un responsable à la hauteur de l’enjeu ? Rien n’est moins sûr.
Tout se passe comme s’ils voulaient donner raison à Marine Le Pen qui a considéré aux lendemains des législatives que « la victoire n’est que différée ».