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Billet de blog 24 septembre 2024

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Politique : Les médaillés aux Olympiades de la honte

La séquence politique qui s’achève provisoirement avec la constitution du gouvernement Barnier a montré l’effondrement et la décrédibilisation des politiques qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux, jouant leurs ambitions contre l’intérêt du pays. Cette situation pose la question des institutions devenues des habits trop grands pour les politiques et peut-être pour les Français eux-mêmes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsqu’il dissout l’Assemblée nationale le soir des élections européennes, Emmanuel Macron tente une stratégie pour sortir de l’ornière dans laquelle le scrutin pour le Parlement de Strasbourg l’a placé avec la large victoire du Rassemblement national.

Il sait – et tout le monde partage cette analyse – qu’à la rentrée, une motion de censure votée par le RN et une bonne partie de la gauche fera tomber le gouvernement Attal et le contraindra à la dissolution. Plutôt que d’être cornérisé et se trouver sur la défensive, il anticipe et provoque les élections législatives avec un double pari. Le premier est que les Français reculeront et ne donneront pas les clés de Matignon à Jordan Bardella qui s’y voit déjà. Le second est qu’il n’y aura pas vraiment de majorité – il ne croit évidemment pas à une victoire du bloc macroniste – et que les représentants de l’arc républicain allant de LR aux sociaux-démocrates du PS – seront capables de s’entendre sur un projet politique. Bref, il parie sur leur intelligence et leur capacité à dépasser leurs clivages au nom de l’intérêt général.

Ce pari a été perdu et dans les grandes largeurs. C’est l’enseignement de cet été meurtrier.

Léon Marchand, le jeune prodige de la natation qui a remporté 4 médailles d’or dans plusieurs exercices de sa discipline, ne pratique pas la brasse coulée. Et il a raison parce que, dans cette figure de style, il aurait été battu par les politiques qui – en parallèle des jeux Olympiques – ont été les acteurs d’une Olympiade de la décrédibilisation et de la honte dans laquelle ils se partagent les médailles.

La médaille de bronze leur revient collectivement. Après le résultat des élections, ils ont rivalisé dans l’hypocrisie et la posture. D’abord, la gauche martelant qu’elle a remporté les élections avec une majorité relative – ce qui est faux, elle est, avec ses 182 députés, le bloc le plus important mais loin d’une quelconque majorité -, se déchirant pour désigner un potentiel premier ministre avant de s’arrêter sur le plus petit commun dénominateur, Lucie Castets, une illustre inconnue dont tout le monde savait – sauf elle-même qui a fini par se prendre au jeu – qu’elle ne serait jamais nommée.

Ensuite, la droite et les macronistes jurant – la main sur le cœur – que leur seule boussole était l’intérêt général et la recherche de compromis mais pour aboutir à ce compromis, chacun brandissait « ses lignes rouges ». Cette expression est incontestablement le tube de l’été. Entre les lignes rouges des uns sur les impôts, celles sur l’immigration pour les autres et celles sur le pouvoir d’achat des troisièmes, le compromis est apparu impossible. A ce stade, le RN commençait à compter les points.

Pendant ce temps, le Président, entre Brégançon et Paris, jouait à « recherche premier ministre désespérément », appelant les uns et les autres à faire preuve de dépassement et de sens des responsabilités. En vain. Les mêmes qui se pâment devant l’exemple de la coalition au pouvoir en Allemagne, constituée de 3 partis - SPD, écologistes, libéraux – qui se sont rapprochés pour mettre en œuvre un programme de gouvernement, refusent toute discussion au nom de leurs fameuses lignes rouges et surtout de leurs petits calculs de boutiques et d’ambitions personnelles.

La médaille d’argent revient aux LR, rebaptisés La droite républicaine. Ils ont perdu les élections, n’obtenant que 40 députés mais ils ne doutent de rien. Laurent Wauquier – potentiel candidat à la prochaine présidentielle – présente un projet de gouvernement dont il affirme qu’il veut bien le mettre en œuvre dans le cadre d’une coalition à condition que ce soit ce projet, tout ce projet, rien que ce projet qui s’applique. Le même discours que Mélenchon à propos du programme du NFP. Il affirmera plus tard que son parti ne participera pas à une coalition avec les macronistes.

Enfin, la médaille d’or est attribuée sans conteste à la gauche et, en particulier, au parti socialiste.

Restant accroché, pour ne pas dire inféodé à LFI, le parti socialiste – celui de Blum, de Mitterrand, de Jospin - a perdu toute qualité à se prétendre parti de gouvernement. Les élections européennes ont montré, avec les 14% de Raphaël Glucksmann, que les électeurs socialistes sont en quête de social-démocratie, loin des outrances islamo-gauchistes de Mélenchon. Un élément achève de déconsidérer le PS. François Hollande a repris du service et a été élu, avec la bannière NFP, député de Corrèze. Comment l’ancien président de la République qui a, lors de son mandat, fait basculer son parti vers le social-libéralisme, qui a affronté les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan peut-il accepter et défendre l’abrogation de la réforme des retraites alors qu’il sait que c’est impossible, cautionner par son silence l’idée que les dirigeants du Hamas, ciblés par Israël sont « des martyrs » ? Comment peut-il soutenir que si Bernard Cazeneuve avait été nommé Premier ministre, il serait tombé sur une motion de censure de la gauche ou que la gauche aurait voté une motion de censure déposée par le RN ? François Hollande aurait-il vraiment voté la censure contre Bernard Cazeneuve, son ami et ancien Premier ministre ? On ne le saura jamais mais cette séquence signe l’honneur perdu de François Hollande qui, pourtant, n’exclut pas d’être sur les rangs en 2027, rejouant, après d’autres, l’éternel retour.

Le comble – et pour cela le PS mérite une médaille non pas d’or mais plaquée or, sertie de diamants -, c’est que, en raison de cette menace de censure, Emmanuel Macron a renoncé à nommer Cazeneuve et s’est tourné vers Michel Barnier qui a réussi à construire une très aléatoire coalition entre les LR et les macronistes. Et voilà que la gauche – socialistes en tête – dénonce cette alliance, « cette droitisation du gouvernement, placé sous la surveillance de Marine Le Pen »…. Mais, qui est responsable de cette situation ?

Comme avec les socialistes d’aujourd’hui, on ne sait jamais quand le fond est atteint, ils en ont rajouté une couche en soutenant la recevabilité de la demande de destitution d’Emmanuel Macron déposée par LFI, tout en affirmant que le moment venu, ils voteront contre.

Mais, pourquoi les politiques sont-ils en dessous de tout à ce point-là ? Pour la simple raison qu’ils ne comprennent rien au film qui se déroule sous leurs yeux. Ils crient haro sur le Président qui a provoqué cette crise avec la dissolution mais ce n’est pas le sujet. La crise aurait éclaté de tout façon.

C’est confondant de constater que ceux qui, depuis 2022, reprochaient à Emmanuel Macron de ne pas entrer dans une logique de compromis qui lui était imposée par la majorité seulement relative dont il disposait, ont refusé de se prêter à cet exercice alors que le résultat des élections de juillet était une formidable opportunité de dépasser les clivages, de faire un Front républicain de gouvernement qui aurait été la suite logique du Front républicain électoral qu’ils avaient initié pour écarter la menace populiste, d’extrême droite comme d’extrême gauche.

Le pire, ce sont ces politiques qui ont dénoncé, avec des termes d’une virulence inouïe, la décision de dissoudre et qui maintenant estiment qu’il faut « bidouiller » jusqu’en juin prochain afin que le Président décide une nouvelle dissolution parce qu’il en aura retrouvé le droit constitutionnel.

Mais que croient-ils ces politiques hors-sol ? Que ces nouvelles élections effaceraient celles de 2024, qu’il en sortirait une « bonne grosse majorité » de droite ou de gauche à l’ancienne et une cohabitation sur le modèle de celles des années 80 et 90 ? Pensent-ils que les Français mordraient une nouvelle fois à l’hameçon du Front républicain ? Illusion délirante. Au mieux, il sortirait de ces élections, une Assemblée tout aussi éclatée que l’actuelle et au pire une majorité RN qui conduirait cette fois Jordan Bardella à Matignon.

Et puis, il y a ceux qui ont en tête, l’élection présidentielle de 2027 ou peut-être avant car la petite musique d’une démission d’Emmanuel Macron se fait entendre.

Dans le genre, Edouard Philippe mérite non pas une médaille d’or mais un prix spécial du jury comme on dit au festival de Cannes.

En déclarant qu’il serait candidat à la prochaine présidentielle en plein cœur de la crise, au moment où de Barnier à Cazeneuve en passant par Thierry Beaudet, le choix était impossible et la crise à son paroxysme, l’ancien premier ministre a très clairement cherché à affaiblir Emmanuel Macron à la manière de…. Georges Pompidou déstabilisant le Général avec sa déclaration de Rome le 17 janvier 1969. Petit rappel.

En ce début d’année, malgré le raz-de-marée gaulliste aux élections législatives anticipées de juin, le Général de Gaulle est affaibli. Il n’a plus la main et ne sait que faire du pays après la crise de mai 68 à laquelle il n’a rien compris. La classe politique et les Français savent qu’une époque épique touche à sa fin, d’autant qu’affichant 78 ans, le Général ne sait pas s’il pourra aller jusqu’au bout de son deuxième mandat. Et beaucoup spéculent là-dessus. C’est dans ce contexte que Georges Pompidou - reconnu par les politiques et les Français comme celui qui a tenu le pays pendant le joli mois de mai et a surtout trouvé une issue à la crise avec la réforme des universités et les fameux accords de Grenelle - fait savoir depuis Rome où il est en voyage « qu’il sera candidat à une élection présidentielle quand il y en aura une ». Le message aux gaullistes est clair : la relève est assurée. On sait ce qu’il adviendra 5 mois plus tard.

C’est exactement le même message subliminal qu’Edouard Philippe envoie aux macronistes, qui pour avoir perdu les élections n’ont pas pour autant disparu du paysage politique avec leurs 165 députés. « La relève est assurée » dit celui qui est ancien premier ministre - comme l’était Pompidou en janvier 1969 - au moment même où le Président était dans une impasse politique.

Mais il n’est pas seul à avoir cette perspective obsessionnelle en tête. Tous ceux – Laurent Wauquier, Xavier Bertrand, Gabriel Attal, Marine Le Pen – qui ont participé à ces Olympiades de la honte sont dans la même posture.

Leur scénario est lunaire. Chacun s’imagine être élu en 2027 – voire avant en cas de départ d’Emmanuel Macron -, dissoudre l’Assemblée actuelle, disposer d’une majorité absolue, être le nouveau Jupiter et refermer ainsi la parenthèse ouverte en juin 2024.

Mais c’est la grande illusion. Il y a gros à parier que l’élu(e) quel qu’il ou elle soit, y compris Marine Le Pen, se retrouve avec une majorité relative, voire pas de majorité du tout comme actuellement.

Les politiques n’ont pas compris que les Français ont pris goût à s’immiscer dans le jeu politique et surtout à le perturber. Mais, ce n’est pas un jeu justement. Cela traduit le fait que, dans cette période extraordinairement anxiogène entre guerre à nos portes, crise économique, sociale, sociétale, fracture territoriale et identitaire, les Français n’ont plus de boussole, ne savent pas où il faut regarder pour trouver une voie et un destin collectif. Face à ce vide, les réponses politiques sont affligeantes et, en réalité, absentes.

Pour importantes que soient ces questions, l’avenir du pays et la voie à suivre ne sauraient se résumer à l’abrogation de la réforme des retraites et à l’augmentation du smic.

Du Général de Gaulle à Emmanuel Macron en passant par Valery Giscard d’Estaing et François Mitterrand, tous ceux qui ont entraîné les Français à un moment donné de l’Histoire incarnaient un projet, une vision, « une certaine idée de la France » comme disait justement le Général.

Qu’est-ce que les politiques d’aujourd’hui incarnent ? Rien ou si peu. Des positions plus ou moins populistes, des positionnements, des approches clientélistes. Mais une addition d’engagements catégoriels ne fait pas un projet et encore moins une incarnation.

Sauf si, d’ici là, un des potentiels prétendants se révèle et incarne un projet - comme Emmanuel Macron en 2017 avec son idée du dépassement pour une France redynamisée dans une Europe puissance -, l’élection de 2027 sera un coup pour rien.

Cela renvoie à une question qu’il faut se poser dès maintenant. Les institutions de la Ve République ne sont-elles pas trop grandes pour les politiques d’aujourd’hui ? Faut-il les remplacer ou les adapter à la nouvelle donne ? On y reviendra.

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