La reconnaissance de l’Etat de Palestine par le Président de la République, lundi 22 septembre, à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU est-elle une continuité, un symbole ou une rupture historique ?
Les débats enflammés n’en finissent plus depuis l’annonce de l’annonce en juillet. En fait, - même si cela n’éteindra pas les polémiques – ce sont les trois à la fois.
Une continuité parce que l’idée d’un Etat Palestinien côtoyant l’Etat d’Israël – la fameuse solution à deux Etats – est aussi vieille que la Ve République. C’est le Général de Gaulle qui a commencé à la porter et ses successeurs l’ont suivi. Giscard d’Estaing l’a réaffirmée avant que Mitterrand la consacre dans son discours devant la Knesset, le parlement israélien, en 1982. Ensuite, Chirac, Sarkozy et Hollande n’ont pas dévié de cette ligne. Au demeurant - comme l’a rappelé Emmanuel Macron – cette solution a une légitimité historique. La résolution n° 181 de l’ONU du 29 novembre 1947 organisait le partage de la Palestine en deux Etats.
Un symbole parce que, à l’évidence, cette reconnaissance aujourd’hui n’aura pas d’effet immédiat sur le drame qui se joue à Gaza.
Une rupture historique enfin et surtout justement parce qu’elle intervient aujourd’hui, dans le contexte où en réponse aux attentats terroristes du 7 octobre 2023 du Hamas, Israël mène une guerre inique, frayant avec le nettoyage ethnique et le génocide dont l’accusent de plus en plus d’organisations internationales, y compris l’ONU.
Dans ce discours - dont la densité, la teneur, le niveau et la force de l’engagement rappellent celui de Dominique de Villepin en 2003, exprimant le refus de la France de la guerre en Irak voulue par Bush – Emmanuel Macron a pris la mesure du moment charnière que cette région et le monde avec elle vit.
En effet, « le temps est venu » alors que l’on touche le fond de l’inhumanité de rebondir et d’arrêter le massacre. Derrière la reconnaissance de l’Etat de Palestine, le Président a proposé une stratégie de paix : élimination du Hamas, libération immédiate des otages, mise en place d’un gouvernement légitimé de la Palestine, sécurité pour les deux Etats.
Que n’avait-on pas entendu avant cette déclaration ? La reconnaissance de l’Etat de Palestine, sans la libération préalable des otages serait une consécration du Hamas. La France serait isolée et s’attirerait la foudre de la terre entière.
Le premier argument est paradoxal. Ce n’est pas légitimer le Hamas que de ne pas conditionner la reconnaissance de l’Etat de Palestine à la libération préalable des 48 otages encore détenus par l’organisation terroriste. C’est le contraire qui en ferait un interlocuteur reconnu. Il suffit de réfléchir 2 secondes pour comprendre. C’est suspendre un choix politique de cette importance à une décision d’un groupe terroriste qui en ferait un interlocuteur reconnu car cela reviendrait à admettre sa légitimité et sa représentativité du peuple palestinien. Or, on ne négocie pas avec un groupe terroriste, on le combat.
Le Président de la République a été clair à ce sujet : les otages doivent être libérés sans condition. En attendant, « le chemin » qu’il a tracé doit s’ouvrir. Ceux qui prétendent qu’il faut, en préalable, une libération des otages pour envisager un Etat Palestinien sont, en réalité, les vrais partisans d’un « hamasland « ou « hamastan » selon la honteuse expression de Marine Le Pen et ne veulent pas la paix et les deux Etats parce que le Hamas ne le veut pas.
Le second argument – l’isolement de la France – prêterait à rire si la situation n’était pas aussi tragique. Dans la foulée de la déclaration de cette reconnaissance par le Président, plusieurs pays et pas des moindres ont emboité le pas. Que l’Angleterre, le Canada, l’Australie - les pays occidentaux les plus suivistes des Etats-Unis - aient aussi reconnu l’Etat de Palestine et dans la foulée, la plupart des pays européens, s’ajoutant aux 140 pays de l’ONU reconnaissant déjà la Palestine est un bouleversement diplomatique majeur. L’isolement désormais est la situation des Etats-Unis et évidemment d’Israël. Parmi les membres permanents du Conseil sécurité de l’ONU – les 5 qui disposent du droit de véto - et les pays du G7, l’Amérique de Trump est le seul pays à refuser cette reconnaissance.
Et maintenant, que faire « de ce jour d’après » qui vient de commencer ? Clairement, la balle est dans le camp de Trump et de Netanyahou. La guerre sans merci que ce dernier mène avec la complicité ou sous le contrôle des suprémacistes délirants de son gouvernement est la plus grande menace qui plane sur Israël et sur la diaspora juive du monde entier.
Quelques jours avant son intervention à l’ONU, Emmanuel Macron avait donné une interview à une télévision américaine dans laquelle il analysait qu’Israël perdrait « sa crédibilité » si elle continuait les massacres à Gaza. Le Président était en dessous de la réalité. Ce n’est pas seulement sa crédibilité qu’Israël perdrait en poursuivant cette guerre sans fin, c’est sa légitimité. La famine organisée, la stratégie d’évacuation des gazaouis de leur territoire, la volonté exprimée d’annexer la Cisjordanie dans le seul but d’empêcher la création de l’Etat de Palestine n’alimentent pas seulement l’antisémitisme mais aussi et peut-être encore plus, l’antisionisme. Les juifs du monde entier devraient avoir conscience de cette réalité et sonner l’alarme. Israël pourra-t-il éternellement être seul face au monde avec comme seul allié les Etats-Unis, un allié de poids certes mais qui ne le sera peut-être pas éternellement ?
C’est aussi cela le message fort et stratégique du Président. Par cette reconnaissance et cette stratégie de paix, la France tend une perche à Israël pour sortir de l’impasse mortifère dans laquelle Netanyahou l’enfonce.
Le retentissement de cette reconnaissance par la France est considérable alors que celle des autres pays qui l’ont suivi est presque passée inaperçue. C’est peut-être injuste mais cela signifie que la voix de la France et son poids sur la scène internationale sont plus importants que les Français – enclins au déclinisme – ne le pensent.
Il sera temps, le moment venu à l’approche de 2027, de dresser le bilan de 10 ans de macronisme. Evidemment, il sera contrasté, sans parler du « macronbashing » qui s’en donnera à cœur joie. Mais, il y a un point sur lequel, il sera difficile de contester les avancées du Président sortant, c’est celui de la politique étrangère où la réussite est réelle même si elle est ignorée.
Le Président a renoué avec la tradition gaullienne des initiatives diplomatiques stratégiques. Elles constituent même une étonnante forme de prolongement.
La reconnaissance de l’Etat de Palestine s’inscrit dans cette logique. Par son impact, elle rappelle la reconnaissance par le Général de Gaulle de la Chine en 1964. La communauté internationale avait dénoncé cette initiative visant à crédibiliser le pays communiste le plus dur du monde. Mais, visionnaire, le Général avait anticipé qu’on ne pouvait pas éternellement ignorer un pays de 700 millions (à l’époque) d’habitants, qui sortirait un jour de son isolement (Quand la Chine s’éveillera comme l’écrira Alain Peyrefitte) et qu’il fallait aussi faire contre-poids à l’inquiétante Union soviétique. La France avait montré la voie. Après avoir violemment critiqué l’initiative française, en 1971-72, les Etats-Unis de Nixon reconnaissent la Chine et on sait quelle a été la vigueur du réveil chinois et le bouleversement géopolitique qu’il a provoqué.
En 1967, le Général de Gaulle décide que la France sort du commandement intégré de l’OTAN d’abord parce qu’il ne supporte plus de voir des bases militaires étrangères sur le territoire national et ensuite parce que l’organisation est sous la férule américaine. Là aussi, les critiques sont violentes, non seulement de la part des Etats-Unis mais aussi de tous les alliés qui soupçonnent le Général de vouloir se rapprocher de Moscou. En fait, son objectif est de développer un arsenal nucléaire indépendant, dans sa technologie et sa doctrine d’emploi. Pas comme les Britanniques dont la stratégie nucléaire dépend des Américains avec le système de double commande. Le Premier ministre anglais ne pourrait pas, le cas échéant, décider d’envoyer des missiles nucléaires et de faire décoller ses F16 et F35 sans l’accord du Président américain. Le Général de Gaulle avait proposé aux Anglais de développer en commun et en toute indépendance européenne un missile balistique mais ils avaient refusé, préférant l’installation sur leur territoire de missiles américains appelés « Polaris » ce qui avait permis au Général de faire un de ces bons mots dont il avait le secret : « Les Anglais ont sacrifié l’Europe pour un plat de Polaris », a-t-il lancé.
Emmanuel Macron poursuit cette logique d’indépendance stratégique mais au niveau européen. Depuis 2017, il plaide pour une Europe puissance sur les plans économique et militaire fondée sur une indépendance par rapport aux Etats-Unis. Pendant des années, l’écho a été plutôt faible, les Européens se satisfaisant de la protection du bouclier américain et se rassurant avec l’article 5 du traité de l’OTAN, selon lequel, en cas d’attaque d’un membre de l’Alliance, les autres – à commencer par les Etats-Unis – voleraient à son secours. Mais, la guerre en Ukraine et surtout l’élection de Trump - qui a montré qu’il était prêt à renverser les alliances au profit de Poutine et a menacé de faire voler en éclat la solidarité transatlantique si les Européens n’augmentaient pas considérablement leur budget militaire – a ébranlé les certitudes.
L’électrochoc a été violent. Pris de panique, face à une potentielle menace russe, les dirigeants européens ont commencé à trouver de l’intérêt aux thèses du Président Macron, au point de se demander – comme le chancelier allemand – si le parapluie nucléaire français ne pourrait pas se substituer à l’américain. Même les Anglais ont pris leur distance. Paris et Londres ont signé en juillet dernier un accord visant à rapprocher et à coordonner leur doctrine nucléaire.
Comme le général de Gaulle, Emmanuel Macron a eu une vision stratégique et n’a pas prêché dans le désert, même si l’Europe de la Défense et plus encore la défense indépendante de l’Europe sont encore loin d’être une réalité.
Sur l’Ukraine aussi, le Président a développé une stratégie d’anticipation, comprenant avant les autres que les ambitions de Poutine pourraient ne pas s’arrêter au pays de Zelenski. Il a poussé les Européens à s’engager politiquement et militairement aux côtés de l’Ukraine, suggérant même qu’il ne fallait pas exclure d’envoyer des troupes si les forces russes s’approchaient trop près de l’Europe, ce qui lui avait valu une pluie de critiques des pacifistes, tendance munichoise.
Après l’élection de Trump, lorsque celui-ci a semblé lâcher l’Ukraine – la terrible séquence dans le bureau ovale avec le Président ukrainien – pour tout donner à Poutine, Emmanuel Macron a initié la coalition des volontaires. 24 pays européens mais pas seulement – Australie, Japon, etc.- sont prêts à déployer des forces de garanties de sécurisation le jour où il y aura un accord de paix en Ukraine. Trump a capitulé d’abord parce qu’il a fini par comprendre la duplicité de Poutine et ensuite parce qu’il a admis la position du Président français selon laquelle, la paix et la sécurité en Europe ne se feront pas sans les Européens. Ceux-ci sont de nouveau dans la boucle des échanges, grâce au Chef de l’Etat.
Emmanuel Macron n’aura pas l’occasion, en tant que Président, de voir si les impulsions majeures sur la scène mondiale qu’il a donné aboutiront car le temps va lui manquer.
En 2027, avant de déposer leur bulletin dans l’urne, les Français devront aussi se poser la question de savoir si un candidat a le niveau pour continuer à porter les ambitions mondiales de la France et à faire entendre son message. C’est aussi un enjeu de l’élection présidentielle.