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Billet de blog 26 novembre 2024

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Procès des assistants parlementaires du RN : Chassez le naturel,…..

En dénonçant le caractère politique du réquisitoire du parquet à son encontre, Marine Le Pen a fait voler en éclat sa patiente stratégie de dédiabolisation et de respectabilité et a réveillé l’ADN du FN, celle d’un parti prêt à tout – y compris à une alliance objective avec LFI – pour accéder au pouvoir au prix d’une déstabilisation de la République. Décryptage.

Philippe DUPUIS-ROLLANDIN

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« C’est ma mort politique qu’ils veulent ». Marine Le Pen n’a pas fait dans la demi-mesure dans sa réaction au réquisitoire du parquet dans l’affaire des assistants parlementaires RN au parlement européen demandant à son encontre 300 000 € d’amendes, 5 ans de prison dont 3 avec sursis et surtout 5 ans d’inéligibilité « avec exécution provisoire ».

De fait, si le jury suit ce réquisitoire, elle ne pourra pas concourir à l’élection présidentielle de 2027. Un coup rude pour celle qui est « la candidate naturelle du RN », selon la rhétorique du parti.

Depuis cette annonce, les leaders du parti courent les plateaux TV et les matinales des radios  pour marteler les éléments de langage d’une justice politique qui cherche à casser le parti du peuple, empêcher les 11 millions d’électeurs de se faire entendre. Pour le RN, seuls les électeurs peuvent déterminer qui est candidat à l’élection présidentielle.

Cette argumentation niant la légitimité de la justice, considérant qu’elle est un anti-pouvoir opposé à la volonté populaire est la quintessence du discours populo-complotiste. Ce positionnement est en effet partagé par tous les populistes du monde à commencer par Donald Trump. Poursuivi pour pas moins de 94 chefs d’inculpation pour une série de motifs dignes d’un inventaire à la Prévert, allant d’une tentative d’achat de silence d’une prostituée à de multiples affaires financières en passant par l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, le (re) nouveau président des Etats-Unis ne voyait dans ces procédures qu’une volonté du « système » de l’abattre.

Pour les populo-complotistes, la justice - qui doit être impitoyable pour les délinquants - ne doit pas entraver les politiques, ce qui revient à leur accorder une impunité totale.

Marine Le Pen est exactement dans cette logique. Elle n’a pas de mots assez durs pour dénoncer le laxisme de la justice, ces juges qui remettent en liberté des délinquants, pour demander l’exécution des peines, etc…

Et voilà qu’un procureur, loin d’être laxiste, prononce un réquisitoire puissant, argumenté, sévère et demandant des peines exemplaires pour des délits de détournement d’argent public de plusieurs millions d’€. Elle devrait s’en réjouir….non ?

Avec cette réaction, le RN fait tomber les masques. En quelques minutes, toute la stratégie de dédiabolisation qu’elle avait engagée depuis 2011, lors de son arrivée à la tête du FN a volé en éclat.

En effet, l’idée de la dédiabolisation était de sortir le parti fondé par Jean-Marie Le Pen de sa marginalisation, de son positionnement extrémiste, antisémite – les chambres à gaz, détail de l’Histoire – et antisystème pour en faire un parti central et de gouvernement démocratique. La stratégie a parfaitement réussi. Deux fois au second tour de la présidentielle, ce qui augure d’une possible victoire au troisième assaut, Marine Le Pen a fait du FN - rebaptisé RN pour marquer la rupture - le parti dominant de France, premier groupe à l’Assemblée nationale avec ses 126 députés, ses maires de villes importantes, ses conseillers généraux et régionaux et bien sûr, ses députés au parlement européen.

Le parti antisystème est devenu le parti du système, il est même au cœur du système.
Depuis 2022, avec son entrée en force à l’Assemblée nationale, la stratégie de la cravate – des députés bien habillés, respectant le règlement, travaillant sérieusement pour mieux souligner le comportement provocateur et irresponsable des députés LFI - était la dernière étape avant la conquête du pouvoir. D’ailleurs, c’est sans surprise et presque naturellement que la campagne après la dissolution avait pour thème « Bardella premier ministre ».

Eh bien, tout cela a été effacé en quelques minutes. Un parti responsable qui prétend à l’exercice du pouvoir dans un cadre démocratique ne peut pas mettre ainsi en cause la justice, vouloir l’instrumentaliser, faire pression politiquement et médiatiquement – le RN a lancé une pétition contre le réquisitoire – sur un jugement à venir parce que la justice est un fondement de la démocratie. Sans état de droit, il n’y a pas de démocratie.

Comme le dit la sagesse populaire « chassez le naturel, il revient au galop ». C’est exactement le sens de cette réaction. Le populo-complotisme, c’est l’ADN du RN et on n’échappe pas à son ADN. La dédiabolisation était une tentative de manipulation génétique. L’opération a échoué.

Cette clarification est saine et nécessaire mais elle n’écarte pas le risque d’un RN au pouvoir, avec ou sans Marine Le Pen. L’élection de Trump aux Etats-Unis en témoigne. Si « la cheffe » devait être empêchée, le RN a un plan B. B comme Bardella ? L’intéressé a du mal à contenir son impatience mais ce ne serait peut-être pas aussi simple pour lui. Les historiques et les caciques du parti – qui n’ont pas apprécié la fulgurante ascension de ce jeune homme sorti de nulle part – ne lui dérouleraient pas le tapis rouge.

Outre le vernis qu’elle fait craquer, la thèse complotiste ne tient pas la route sur le fond. Marine Le Pen n’est pas la première responsable de haut niveau à voir son destin entravé par la justice.

Alain Juppé, condamné à une peine d’inégibilité de 10 ans - ramenée à 1 an en appel - dans l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris a dû faire une croix sur ses ambitions présidentielles. Pour des raisons totalement différentes, Laurent Fabius aussi a été empêché. Mis en cause pour sa gestion du SIDA, lorsqu’il était premier ministre, il a été conduit devant la Cour de Justice de la République. L’affaire a traîné en longueur et, en raison de cette épée de Damoclès, il n’a pas pu concourir aux élections présidentielles de 1988 et 1995.

La thèse du complot ne tient pas. Mais le plus important n’est pas là. 

Ce système d’emplois fictifs au Parlement européen ressemble en tout point à celui mis en place dans les années 80 par la Mairie de Paris. Celle-ci avait engagé et rémunéré au frais des contribuables parisiens des « chargés de mission » qui, en réalité travaillaient au RPR au service des ambitions présidentielles de Jacques Chirac. C’est cela qui avait valu condamnation à Juppé et à d’autres responsables de l’Hôtel de Ville. Chirac lui-même a fini par être condamné à l’issue de ses mandats à l’Elysée où il bénéficiait de l’immunité présidentielle.

C’est exactement la même situation avec les assistants parlementaires du RN à l’assemblée européenne. Les audiences ont démontré que ces assistants n’allaient quasiment jamais au parlement européen mais œuvraient au siège du parti à Paris. Marine Le Pen a tenté de justifier cette distorsion par le fait qu’un assistant parlementaire a une fonction politique qui l’amène à aider les élus dans leur action politique, selon une conception en vigueur au Parlement français

C’est faux. La fonction d’assistant parlementaire est clairement définie autant à Paris qu’à Strasbourg. Elle consiste à aider l’élu dans ses actions – courrier, contacts, préparation d’interventions et de propositions – en lien direct avec son mandat de parlementaire.

Mais, le plus important est que, si le réquisitoire est si sévère, c’est parce qu’avec la mise en place de ce système de détournement d’argent public, le RN n’a pas respecté le « deal » de 1990. Petit rappel.

En janvier de cette année-là, le gouvernement de Michel Rocard fait voter une loi organisant le financement de la vie publique et des partis politiques. Ce premier texte sera suivi d’autres législations complémentaires, en particulier les lois Sapin I et Sapin II dont l’objet est d’assurer « la transparence de la vie publique ». Les premières lois fixent les conditions de financement des partis par l’Etat – pour l’essentiel, les partis encaissent des €uros pour chaque voix et par élu -, les secondes déterminent les conditions dans lesquelles les partis peuvent recevoir des dons de particuliers ou d’institutions. Ces fonds sont plafonnés et – c’est le principe de la transparence – les montants et les donateurs sont publiés. Ce sont aussi ces lois qui ont imposé comme peine complémentaire et automatique l’inégibilité d’un élu reconnu coupable de détournement de fonds publics ou de prise illégale d’intérêt. Cette inégibilité que dénonce Marine Le Pen a été votée par le Parlement et elle est mécanique : un jury peut en dispenser le mis en cause mais il doit motiver cette exemption.

La création du parquet national financier – qui ne traite pas seulement les affaires financières impliquant des politiques – et de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a bouclé la boucle. La HATVP passe au tamis la situation fiscale, patrimoniale et de conflits d’intérêt de toute personne pressentie pour être nommée ministre ou à un poste important de la haute fonction publique.

Cette grande mutation est la conséquence de ce qui est resté dans les annales sous le nom d’affaire Urba-Gracco impliquant le Parti socialiste. En 1988, un inspecteur de la brigade financière de Marseille découvre le pot aux roses. En résumé, au début des années 70 – à l’orée de l’ère Mitterrand – le Parti socialiste a mis au point un système de financement occulte. Toute entreprise candidate à un marché public dans une collectivité – commune, département, région – tenue par le PS devait passer par Urba-Gracco, un bureau d’études qui n’étudiait rien du tout mais imposait aux entreprises une commission de 2 à 3% sur le marché visé. Cette commission était ensuite répartie entre l’élu local pour financer son activité politique, la fédération départementale du parti et le niveau national, le siège du PS, rue de Solférino à Paris.

Le scandale est énorme. La gauche morale – celle qui dénonçait les turpitudes de la droite – est prise la main dans le sac dans un contexte politique compliqué. En effet, le second mandat de François Mitterrand ne s’ouvre pas sous les meilleurs auspices, entre une majorité relative et un tournant de la rigueur qui a provoqué la rupture de l’Union de la gauche et accentué les divisions au sein même du PS.

Avec cette affaire Urba, la popularité du Président et celle du gouvernement tombent au plus bas. Le thème du « tous pourris » agité par le Front national fait des ravages.

D’autant plus qu’en 1989, croyant éteindre l’incendie, le gouvernement commet l’irréparable, la faute politique majeure. Il fait voter une loi d’amnistie pour les délits financiers des politiques. En d’autres termes, ils s’auto-amnistient. C’est ainsi que l’opinion comprend cette loi. Elle sera corrigée par une autre loi, réduisant le champ de l’amnistie et en excluant les députés encore qu’ils soient amnistiés lorsqu’ils sont mis en cause en tant qu’élu local.

Mais, c’est trop tard, le mal est fait.

Les politiques tentent de justifier leurs pratiques occultes par le fait qu’aucune disposition n’est prévue pour financer la vie politique et les partis. La démocratie n’a pas de prix mais elle a un coût et il faut pouvoir l’assumer.

Ce n’est pas faux mais l’ennui est que ce vide alimente corruption, trafic d’influence et autres pratiques financières illégales.

Les lois sur le financement de la vie publique ont pour objectif de mettre fin à ces caisses noires et à ces pratiques délictueuses. En échange d’un financement public consolidé et pérennisé par l’Etat, les politiques s’engagent à respecter les règles et à ne pas sortir des clous. Sinon, la sanction sera lourde. D’où les peines de prison, les amendes et surtout l’inégibilité qui pour un politique est une forme de condamnation à mort sociale. Solvabilité contre probité. C’est le deal.

Il faut reconnaitre – même si cela va à l’encontre du ressenti de l’opinion dont une enquête révèle que 80% des Français considèrent que les politiques sont corrompus – que le deal a été respecté. Les politiques, contraints et forcés peut-être, se sont acheté une conduite.

De fait, si on regarde en arrière, on constate qu’après la phase de « purge » des affaires antérieures ou n’entrant pas dans le champ de l’amnistie de la loi de 1989 comme celle de la Mairie de Paris – qui comportait aussi un volet marchés truqués -, les affaires politico-financières qui émaillent la chronique médiatique et judiciaire depuis le début du siècle ne sont pas systémiques mais individuelles. Elles ne mettent plus en cause des structures comme des partis politiques mais des responsables politiques à titre personnel.

C’est le cas des dossiers les plus médiatisés comme Balkany, Fillon, Sarkozy et Cahuzac. Affaire d’enrichissement personnel, l’emploi fictif de l’épouse de l’ancien premier ministre ne mettait pas en cause le parti gaulliste. De même, le dossier du financement libyen – pas encore jugé – de la campagne de Sarkozy en 2007 et l’affaire Bygmalion visant à masquer le dépassement des dépenses de sa campagne de 2012 n’étaient pas de nature systémique. Enfin Cahuzac est une affaire personnelle de compte en Suisse et de fraude fiscale.

En organisant ce système d’emplois fictifs – en tout point comparable à celui de la Mairie de Paris – au détriment du Parlement européen, Marine Le Pen a rompu le deal, renvoyé la classe politique à ses vieux démons et redonné de la vigueur au fameux « tous pourris », sauf que cette fois-ci, c’est le RN qui est en première ligne.

Et elle ne peut pas prétendre l’avoir ignoré. Parmi les éléments révélés au cours du procès, il y a cet échange de mails entre le trésorier du parti et un député européen. Le second écrit au premier « Ce que Marine nous demande équivaut qu’on signe pour des emplois fictifs (…) On va se faire allumer car on regardera, c’est sûr, nos utilisations à la loupe avec un groupe si important. » Le premier répond : « Je crois bien que Marine sait tout cela… ».

Si on comprend bien – et le procureur l’a compris ainsi -, non seulement, elle savait mais en plus, elle organisait.

Une attitude d’autant plus coupable que le RN – devenu un parti important – bénéficie largement du financement public. Il a reçu 10 millions d’€ en 2023 et a ainsi pu rembourser son fameux emprunt russe et devrait recevoir 15 millions d’€ en 2024, conséquence de sa performance aux législatives de juillet.

Ulcérée à la perspective de cette inégibilité à titre provisoire qui la priverait de l’élection présidentielle, Marine Le Pen semble vouloir plonger le pays dans le chaos au nom de ses intérêts personnels.

En effet, dès le lendemain du réquisitoire, elle fait savoir – contrairement à ses précédentes déclarations - que les députés RN pourraient voter la motion de censure qui sera déposée par LFI lorsque Michel Barnier brandira le 49.3 pour le budget 2025. Elle fait le coup de la ligne rouge. En effet, elle affirme que cette menace sera mise à exécution si le « budget met en cause le pouvoir d’achat des Français », comme si elle avait découvert que le projet de loi de finance contient des augmentations d’impôt.

En réalité, elle rejoint Jean-Luc Mélenchon dans sa stratégie de mise en cause des institutions de la république. Comme le leader maximo des insoumis, elle fait le pari que si le gouvernement tombe, Emmanuel Macron sera acculé à la démission, qu’il y aura donc une élection présidentielle – dont elle sortira gagnante – qui interviendra avant le jugement et donc rendra inopérante l’inégibilité puisque les juges ne pourront pas la déloger de l’Elysée.

Il ne faut pas se payer de mots. Cette stratégie des deux leaders extrémistes est de nature néo-putschiste puisqu’elle consiste à vouloir s’emparer du pouvoir au prix d’une déstabilisation du Président élu et une déstabilisation du Président est une déstabilisation des institutions parce que le Président en est à la fois la clé de voute et le garant.

On savait déjà que Mélenchon était dans cette logique puisqu’il avait déposé une proposition visant rien moins qu’à destituer Emmanuel Macron. Mais, pour Marine Le Pen qui faisait profession de respectabilité et de respect des institutions, c’est une rupture.

Mais cette rupture n’est pas pour autant une surprise. Là aussi, les masques tombent : la respectabilité n’était qu’un ripolinage, un camouflage de la vraie nature du RN, celle d’un parti prêt à tout pour s’emparer du pouvoir.

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