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Billet de blog 29 mai 2024

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NOUVELLE-CALEDONIE : UNE MANIPULATION NICKEL CHROME

Les émeutes déclenchées par une minorité d’indépendantistes kanaks ont révélé l’inconsistance des politiques qui ont surfé sur le discours wokiste dénonçant le colonialisme français oubliant les 3 référendums par lesquels les Calédoniens ont réaffirmé leur attachement à la France et l’intérêt stratégique du pays. Il a fallu que le Président remette les pendules à l’heure.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En décidant de s’impliquer directement dans la crise de la Nouvelle Calédonie après en avoir confié la gestion successivement à Gérald Darmanin et Gabriel Attal, Emmanuel Macron a-t-il pensé à un fameux dessin paru à la Une du Figaro le 1er septembre 1960 ? On est alors au lendemain des Jeux Olympiques de Rome où la France a fait naufrage, ne ramenant que 5 médailles dont aucune d’or, à comparer aux 103 médailles récoltées par les Soviétiques, aux 71 par les Américains et aux 42 par les Allemands. Cet échec est une honte pour la France gaullienne en pleine renaissance et expansion. C’est dans ce contexte que le caricaturiste Jacques Faizant croque le Général de Gaulle revêtu d’un survêtement, portant un javelot et disant dans une bulle cette sentence : « dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même ».

S’il ne l’a pas exprimé en ces termes, c’est, à coup sûr, dans cet état d’esprit que le Président de la République a repris en main le dossier calédonien car il n’a pu que constater la faillite des politiques, ministres compris, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux, des principes et des intérêts stratégiques du pays.

Les émeutes lancées par une minorité d’indépendantistes pour protester contre le vote à l’Assemblée nationale et au Sénat du dégel du corps électoral prélude à une révision de la Constitution, ont tétanisé les politiques, redoutant d’être taxés de colonialistes s’ils osaient contester l’action des activistes.

En ces temps de politiquement correct et de wokisme, c’est la pire des opprobres, surtout dans le contexte calédonien où, dans le passé, les pratiques néocoloniales ont marqué l’histoire et ont été à l’origine de la grande crise des années 80.

Mais ce temps est – heureusement - révolu, ce que les politiques n’ont pas eu le courage d’affirmer et de faire valoir. A droite comme à gauche, ils se sont comportés comme des lapins pris dans les phares d’une voiture, ne sachant quel chemin prendre pour échapper à l’embardée.

Passe encore que LFI embraye aussitôt sur l’écrasement de l’identité kanake parce que les émeutes, qu’elles se produisent dans la banlieue de Nouméa ou dans le 9-3, c’est toujours bon à prendre pour le parti d’extrême gauche. Pour un peu, LFI aurait soufflé : Nouméa-Gaza, même combat.

Mais que les partis de la gauche responsable et ceux de la droite républicaine n’aient pas eu le courage de reconnaitre la réalité et qu’au-delà de la traditionnelle demande de retour à l’ordre, ils n’aient pas pointé que ces manifestations étaient le fait d’une minorité de Kanaks, non représentatifs et sous influence étrangère, notamment de l’Azerbaïdjan et donc de la Russie est confondant.

La palme d’or de la position la plus confuse doit être attribuée à Marine Le Pen qui 3 jours après voté avec tous les députés RN, le dégel du corps électoral, a déclaré qu’il fallait annuler la réforme constitutionnelle et organiser un référendum dans 40 ans, sans préciser comment on gère institutionnellement, politiquement, économiquement le territoire d’ici à 2064.

Et que dire de cette drôle d’idée d’une mission de médiation qu’il aurait fallu confier soit au Président du Sénat, soit à Edouard Philippe. Ceux qui ont lancé ces fadaises croyaient-ils qu’Emmanuel Macron serait assez naïf pour offrir sur un plateau à Gérard Larcher et donc à LR une occasion d’apparaitre comme les sauveurs de la République et à son ancien premier ministre le moyen de se valoriser en vue de la présidentielle de 2027 ?

Alors oui, face à cette faillite des politiques, le Président n’a pas eu d’autres choix que de se saisir du dossier et de sauter dans le Air Macron One pour aller sur le territoire calédonien et remettre les pendules à l’heure, ce qui n’est pas forcément facile avec un décalage horaire de 9 h.

Et ces remises à l’heure commencent par le rappel de quelques réalités. La crise actuelle a fait ressurgir le débat sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie. Or, celui-ci n’a plus lieu d’être. Au titre des accords de Matignon de 1988 et de Nouméa de 1998, 3 référendums ont été organisés et à chaque fois, le maintien dans la France a été voté à la majorité. Les indépendantistes dénoncent celui de 2021 parce que la participation a été faible. La belle affaire ! Ils l’avaient boycotté pour mieux le dénoncer parce qu’ils savaient que l’attachement à la France serait voté.

Le sujet politique actuel de la Nouvelle Calédonie n’est donc pas l’indépendance comme certains extrémistes l’ont revendiqué mais la recherche d’un accord global sur la reconnaissance de l’identité kanake. Ce n’est pas politiquement correct mais il faut le dire : des lors que, démocratiquement, les calédoniens ont réaffirmé à trois reprises leur volonté de rester dans la communauté française, il ne peut y avoir au sein de la République « de peuple kanak », pas plus qu’il n’y a de peuple breton, occitan ou corse.

C’est ce que le Président a rappelé dès son arrivée le 23 mai à Nouméa en affirmant que l’apaisement qu’il est venu établir « ne peut pas être le retour en arrière. L’apaisement ne peut pas être de ne pas respecter l’expression populaire qui s’est déjà jouée. L’apaisement ne peut être de nier en quelque sorte un chemin qui a déjà été fait.  Néanmoins, nous devons remettre toutes les parties prenantes autour de la table ».

Le Président a commis une erreur en faisant voter le dégel du corps électoral et programmer le Congrès pour la révision constitutionnelle avant qu’il y ait un accord entre les parties prenantes locales. Il l’a implicitement reconnu en indiquant qu’il attendrait un accord global sur les institutions politiques de l’ile pour le remettre sur la table, mais ce n’est pas « un coup de force » comme cela a été dit.

Ce dégel est prévu par les accords de Nouméa parce qu’il met fin à une anomalie ou plus exactement à une exception démocratique, justifiée par le contexte historique de la Nouvelle Calédonie.

Petit rappel. C’est en 1853 que La France met définitivement le pied sur ce territoire du bout du monde pour y construire « une colonie pénitentiaire », en clair un bagne. La population originelle – les Kanaks – deviennent des « indigènes ». Sans aucun droit de citoyens, ils sont regroupés dans des réserves, à la manière des Indiens d’Amérique lorsque les « blancs » ont conquis ce vaste territoire. Pour remercier les Calédoniens de leur ralliement à la France Libre dès 1940, le statut d’indigénat est aboli en 1945 et les Kanaks deviennent des citoyens français avec tous les droits afférents, enfin pas tout à fait. Leur droit de vote est limité et ne concernera la totalité de la population adulte qu’en 1967. Le problème est qu’avec l’expansion économique du territoire liée à l’exploitation du nickel, des vagues importantes de métropolitains s’installent en Nouvelle-Calédonie. Du coup, les Kanaks sont minoritaires et en plus, ils ne profitent absolument pas de la richesse.

C’est dans ce contexte, en effet très colonial, qu’éclatent les évènements des années 80 avec l’aspiration à l’indépendance et l’affrontement entre les Kanaks et les Caldoches comme les métropolitains et leurs descendants sont appelés.

Il ne faut pas se payer de mots. Il y avait un côté Algérie française dans la population Caldoche qui ne voulait pas perdre le contrôle de ce précieux territoire et les violences sont allées très loin, culminant avec la prise d’otages dans la grotte d’Ouvea. C’est pour enrayer ce processus fatal que les leaders de chaque camp – Jacques Lafleur pour le RPR et Jean-Marie Tjibaou pour le Front de Libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) – entament des pourparlers pour tenter de trouver un compromis entre l’aspiration indépendantiste et le statu quo.

C’est ainsi que, sous l’égide de Michel Rocard, Premier ministre, sont signés, en août 1988, les accords de Matignon qui engagent un long processus de pacification incluant un rééquilibrage territorial avec la création de 3 provinces, un statut de plus large autonomie du territoire et surtout, un partage plus équitable des richesses. La perspective de l’indépendance est renvoyée au bout de ce processus et résultera de référendums. Ce cadre fondateur sera complété par les accords de Nouméa en 1998 qui préciseront le calendrier des référendums qui se feront avec le fameux gel du corps électoral, le but étant que l’Etat ne renouvelle pas les pratiques de l’après-guerre qui consistaient à envoyer des contingents de métropolitains s’installer sur le territoire avant chaque élection.

Les indépendantistes extrémistes n’acceptent pas ce compromis. Jean-Marie Tjibaou est assassiné par l’un d’entre eux en 1989. Ce sont les héritiers de ces extrémistes qui sont à l’origine des émeutes du mois de mai.

La demande du maintien du gel du corps électoral est inquiétante pour la démocratie ou plus exactement pour la conception que certains s’en font. Les référendums et les élections locales depuis 1998 ont été réalisés avec le corps électoral figé cette année-là, pour exorciser en quelque sorte les pratiques coloniales mais cette situation ne saurait perdurer. En effet, depuis 26 ans, des citoyens français qui se sont installés sur le Caillou ou qui y sont nés et sont majeurs depuis 2016 pour les plus âgés n’ont pas le droit de vote. Une aberration démocratique qui ne pouvait être que provisoire et c’est bien pour cette raison que ce dégel est prévu par les accords de Nouméa.

On ne peut que s’interroger sur l’attitude du RN qui accepte que des Français « de souche » selon son expression n’aient pas le droit de vote. De même, comment à LFI où l’on préconise le droit de vote aux élections locales pour les immigrés en situation régulière, on peut justifier cette interdiction de vote à des Français ? C’est sans doute pour mettre ces partis devant leur responsabilité qu’Emmanuel Macron a évoqué l’hypothèse d’un référendum sur cette question.

Mais, pendant ces jours d’affrontements politiques sur fond de résurgence du discours colonialiste et d’envolées lyriques sur l’identité kanake, un mot - qui est pourtant la clé de la question calédonienne - n’a pas été prononcé. C’est un petit mot, de deux syllabes à peine, qui exprime l’enjeu stratégique du territoire. Ce mot, c’est nickel.

Pour son malheur, la France ne dispose dans son sous-sol d’aucune source d’énergie, ni de minéraux stratégiques. Pas de pétrole, pas de gaz, pas de fer, pas d’uranium, etc. et se trouve pour ses approvisionnements en situation de dépendance. Il n’y a qu’un seul élément dont elle dispose en abondance, c’est le nickel et il se trouve en Nouvelle-Calédonie. Le territoire ne recèle pas moins de 25% des réserves mondiales. Et, le nickel, c’est l’or noir de demain.

En effet, le précieux minerai est appelé à devenir encore plus stratégique qu’il ne l’est avec le basculement vers les voitures électriques parce qu’il est le composant essentiel pour la fabrication des batteries.

Comment les mêmes qui dénoncent à longueur de discours sur l’air des lampions la perte de souveraineté de la France, sa « naïveté » face à des puissances comme la Chine, la Russie et même les Etats-Unis qui nous ont placé en situation de dépendance énergétique et industrielle peuvent-ils envisager sans état d’âme l’indépendance de la Nouvelle Calédonie ? Les Calédoniens eux-mêmes ont fini par la refuser en raison des profondes réformes politiques que la France a fait en direction de ce territoire et qui ont été l’objet d’une étonnante continuité. Le processus a été engagé par Rocard et Mitterrand, s’est poursuivi avec Chirac, Sarkozy, Hollande et maintenant Macron.

C’est bien un enjeu de souveraineté qui est posé. Pour sortir de la dépendance industrielle, le Président de la République a engagé avec le programme France 2030 une stratégie de réindustrialisation qui commence à donner des résultats. Depuis 2021, le pays crée plus d’emplois industriels qu’il n’en détruit et l’attractivité du pays est confirmée par le niveau des investissements étrangers.

S’agissant de la transition vers la voiture électrique, il a lancé la construction, dans le Nord du pays, de plusieurs « gigafactory », des usines qui fabriqueront des batteries pour les voitures électriques. Il s’agit d’être prêt pour 2035, année où selon une loi européenne, il sera interdit de vendre des voitures thermiques en Europe. Les industriels se préparent à cette grande mutation pour laquelle, le besoin en batteries sera colossal.

Les gigafactory sont un élément essentiel de la souveraineté française et européenne et pour éviter de se mettre en situation de dépendance vis-à-vis de la Chine comme cela a été le cas avec les médicaments et les panneaux solaires.

Mais l’indépendance sur la production ne serait qu’une apparence si on ne contrôlait pas la matière première pour la fabrication des batteries, le fameux nickel.

Il ne faut pas se faire d’illusion. Si la Nouvelle-Calédonie devenait indépendante, il ne faudrait pas longtemps à la Chine pour mettre la main sur les réserves de nickel du territoire.

Les sociétés qui exploitent le nickel sont actuellement en difficulté du fait d’une chute des cours, d’une incertitude sur l’évolution politique et de la concurrence étrangère. L’Etat va devoir intervenir en injectant quelques milliards pour remettre à flots une activité stratégique qui représente 20% de la richesse du territoire.

Et après cela, il faudrait qu’il abandonne la Nouvelle Calédonie à des indépendantistes minoritaires qui seraient vite sous la dépendance chinoise ?

Face à une classe politique qui, entre populisme et tétanisation, n’a pas été capable d’avoir une vision stratégique des intérêts du pays, il a bien fallu que le Président s’en mêle et démonte cette manipulation...nickel chrome..

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