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Billet de blog 29 juillet 2025

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Accord UE-USA sur les droits de douane : Un Munich commercial et stratégique

Dépourvue de mandat clair et ferme de négociation de la part des Européens, Ursula von der Leyen a capitulé face à Trump. Divisé, - sa faiblesse structurelle - le roi Europe est nu. Il avait le choix entre le déshonneur et la guerre. Il a choisi le premier mais il aura aussi la seconde.

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Alors que certains, d’un air désolé et contrit, ânonnaient « que c’est un accord déséquilibré » et dénonçaient « l’absence de contreparties » et que d’autres faisaient des comptes d’apothicaires pour savoir quels secteurs seraient gagnants et lesquels seraient perdants, François Bayrou constatait froidement : « C’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission ».

C’est bien de cela dont il s’agit à propos de ce « deal » comme dit Trump entre l’Union Européenne et les Etats-Unis sur les droits de douane. Tout, la forme comme le fond, fait de cette pitoyable poignée de mains entre la Présidente de la Commission européenne et le Président américain une sorte de Munich commercial et stratégique. Comme à propos de ceux de 1938, conclus dans la capitale bavaroise entre Hitler et les alliés, un Churchill contemporain pourrait dire de ces accords : « vous aviez le choix entre le déshonneur stratégique et la guerre commerciale, vous avez choisi le déshonneur stratégique et vous aurez la guerre commerciale ».

En 1938, les Français et les Anglais avaient accepté de céder à l’Allemagne les Sudètes, une partie de la Tchécoslovaquie, en échange d’un arrêt de l’offensive d’Hitler et ils étaient repartis de Munich avec le « lâche soulagement » d’avoir éviter la guerre au prix de l’abandon de leur allié à l’ennemi.

Le 27 juillet 2025, à travers Ursula Von der Leyen, les Européens ont quitté Turnberry en Ecosse avec le « lâche soulagement » d’avoir évité la guerre commerciale - Trump les menaçait de droits de douane de 30% et même plus et s’est contenté de 15% sur la plupart des produits et même moins pour certains secteurs – au prix de l’abandon de leur honneur stratégique mais ils auront quand même la guerre commerciale.

Leur déshonneur est d’avoir renoncé à jouer le rapport de force pourtant potentiellement en leur faveur. Que n’avait-on pas entendu dans les semaines et les mois précédents sur le thème « vous allez voir ce que vous allez voir ». « L’Europe, ce n’est pas l’Angleterre, ni le Japon et encore moins l’Australie ». Avec ses 450 millions d’habitants et de consommateurs parmi les plus riches du monde, l’Europe est le premier marché pour les services informatiques des grandes entreprises américaines – les fameuses GAFAM – qui pourraient faire l’objet de mesures de rétorsion si les droits de douanes sur les produits industriels explosaient. Et, ce n’est pas tout. L’Europe dispose d’un puissant « instrument de coercition ». Mis en place en 2021, il est présenté comme une sorte de bazooka, voire de dissuasion nucléaire commerciale. Il consiste en une série de mesures de restriction en matière de commerce et d’investissement – notamment la fermeture des marchés publics – et de sanctions sur les droits de propriété intellectuelle, ce qui signifie la possibilité de bloquer les droits d’auteurs sur les logiciels, les moteurs de recherches et l’IA, domaines dans lesquels les Américains sont en position ultradominante. C’est du lourd en effet.

Où est passé le « bazooka » ? Il n’est même pas sorti du hangar. Pourquoi les Européens n’ont-ils pas engagé ce rapport de force avec un Président américain qui ne connait que le rapport de force ? Dans son fauteuil trop grand pour elle, face à l’arrogance et dans la propriété du blond peroxydé, Ursula Von der Leyen a été dans une situation d’humiliation comparable à celle vécue par Zelensky le 28 février dans le bureau ovale. Et, à travers elle, ce sont tous les Européens qui ont été humiliés.

Voilà pour le déshonneur. La guerre ne va pas tarder. Pourquoi, l’impérieux Président s’arrêterait-il en si bon chemin ? Dans 6 mois, dans un an, si les rentrées fiscales ne sont pas suffisantes ou s’il estime que les Européens ne jouent pas le jeu avec l’autre partie du « deal » - leur engagement d’acheter pour 750 milliards de dollars d’énergie et d’investir 600 milliards de dollars aux Etats-Unis -, il pourrait revenir à la charge. Ces engagements ne sont ni plus ni moins que du racket au sens mafieux du terme.

Alors, haro sur Ursula ? Ce n’est pas si simple. Si la Présidente de la Commission n’a pas livré combat, c’est parce qu’elle n’en n'avait pas le mandat.

Cette affaire met à jour une réalité cruelle : L’Europe n’est qu’une illusion de puissance. C’est un mirage. Les dirigeants de l’Union ne cessent de répéter sur l’air des lampions et en étant au bord de l’extase qu’avec ses 450 millions d’habitants et son PIB de 17 942 milliards d’€, l’Europe est le deuxième ensemble économique du monde, à égalité avec la Chine et juste derrière les Etats-Unis. Mais cela ne veut rien dire. Une addition de petits pois, ne fait pas un gros pois. Ce qui fait la puissance des Etats-Unis, ce n’est pas l’addition des PIB de la Californie, de la Nouvelle Orléans, de la Georgie et de tous les autres Etats mais la dynamique résultant du fait qu’il y a un pilote à bord et un commandement unique.

La Présidente de la Commission est allée à Turberry – pour ne pas dire à Canossa- les mains vides pour exprimer le plus petit commun dénominateur des attentes contradictoires des Européens, partagés entre les positions fermes de plusieurs pays dont la France - qui avait compris les enjeux stratégiques de cette affaire - et les positions individualistes de pays qui ne pensaient qu’à sauver l’un ou l’autre de leur secteur d’activité. C’est le cas en particulier de l’Allemagne, obsédée par la survie de son industrie automobile pour laquelle le marché américain est essentiel. Or Trump menaçait d’imposer 30% de droit de douane aux Mercedes, aux BMW et aux Audi.

L’Europe est dans la situation d’une équipe de football dont chaque membre ne penserait qu’à une chose : marquer un pénalty et tant pis si l’équipe perd. Or, on ne devient pas une équipe dominante avec la seule addition d’indivualités sans esprit collectif. C’est la leçon à retenir de ce Munich stratégique et il est consternant de constater que l’Europe en est là 68 ans après la signature en 1957 du traité de Rome qui l’a fondée.

L’obsession allemande pour son industrie automobile entraine l’Europe dans une spirale mortifère. Malgré la limitation des droits de douane, le modèle économique allemand est condamné. Il est pris en étau entre les modèles américain et chinois qui ont pris le virage de l’électrique et il est même bousculé par les concurrents européens qui, comme le français Renault et l’européen Stellantis, ont aussi pris de l’avance sur l’électrique. A cause de cette obsession, les Allemands ont réussi à faire repousser l’échéance de 2035 pour la fin du moteur thermique en Europe. Mais, c’est une victoire qui revient à dire « encore une minute, monsieur le bourreau » parce que la transition vers l’électrique est inéluctable.

Enfin, cet échec est un coup dur pour Emmanuel Macron dont le rêve et l’objectif – pour lequel il se bat depuis 2017 - d’une Europe puissance semble s’envoler. Il lui reste moins de deux ans pour recoller les morceaux et réveiller les partenaires européens, peut-être en organisant une réunion de refondation, dans une grande ville européenne autre que Munich de préférence….

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