Le 17 octobre 2024
Lettre ouverte à l'attention de Monsieur le Premier Ministre Michel BARNIER
Monsieur le Premier Ministre,
À l’instant où vous lirez cette lettre, au moins deux agricultrices et agriculteurs ne pourront pas le faire. Ils seront retrouvés pendus, suicidés, la corde au cou ou le fusil à la main, dans la grange de leur ferme, laissant femmes et enfants dans le désarroi le plus total.
Le savez-vous, chaque année en France au moins 730 agricultrices et agriculteurs se suicident et ce, malgré les différents discours et politiques publiques prises depuis ces quarante dernières années.
Le savez-vous, au début des années 1900, la France était pionnière en termes d’organisation stratégique pour nourrir sa population. 6 millions de paysans nourrissaient 30 millions de français.
En 1990, il restait un million de paysans pour nourrir 58 millions, au 1er janvier 2025, ils seront environ 380 000 et si l’hécatombe se poursuit, ils ne seront plus que 270 000 en 2030.
Le savez-vous, les paysans sont des exploitants agricoles, mais n’ont pas leur carnet de facturation, ils ne font pas de facture. Les collecteurs fixent leurs prix qui bien évidemment ne correspondent pas à notre cout de production.
Le savez-vous, nos paysans survivent, pour 80 % en dessous du SMIC brut et dont 40 % sont sous les minima sociaux, avec un endettement moyen de 250 000€ par exploitation. Les femmes et compagnes sont obligées d’aller travailler en dehors de la ferme pour pouvoir payer les factures.
Pour répondre aux urgences des situations gravissimes, financière, moral, familiale, juridique, le SAMU Social Agricole National intervient auprès des paysannes et paysans, c’est une hémorragie de grande ampleur.
Le savez-vous, la France n’est plus en capacité de nourrir sa population, aucune réserve de sécurité n’a été mise en place et en cas de rupture dans la chaîne alimentaire, coupure de réseaux internet sur tout le territoire notamment, mais pas que, et bien en 3 jours nos magasins seront vides.
Votre premier discours en tant que Ministre de L’agriculture le 21 juin 2007, à Épinal, résonne encore aujourd’hui.
Vous déclariez :
« C’est Charles De Gaulle qui disait qu’un pays qui n’est pas capable de se nourrir lui-même n’est pas un grand pays » ; « Exploitants et futurs exploitants avec cette part de responsabilité qui est aussi la vôtre vis-à-vis des consommateurs dont vous savez l'exigence relayée par les médias et il faut vivre avec cette exigence qui est assez légitime puisqu'elle touche la santé publique, s'agissant de la qualité, de la sûreté, de la diversité des produits » ; « Et on oublie trop souvent que les agriculteurs remplissent cette condition sine qua non de notre identité et de notre force nationale ».
Nous y sommes arrivés Monsieur le Premier Ministre et cette prophétie se réalise aujourd’hui, elle plonge notre pays dans le chaos de la faim, la précarité et le désespoir d'une jeunesse désemparée.
Doit-on vous rappeler que les ventres vides n’ont point d’oreilles.
Vous déclariez également :
« Nous ne voulons pas d'une France avec des fermes géantes à l'américaine où une poignée d'exploitants plus ou moins âgés, d'ailleurs plutôt plus âgés que moins, accumuleraient la terre sans limite. Nous voulons une agriculture à visage humain où les jeunes puissent rapidement se mettre à leur compte ».
Le saviez-vous, le 24 septembre dernier, la Société d’Aménagement Foncier et d’établissement Rural (SAFER) a tranché en faveur de l’agrandissement de fermes existantes à Denée dans le Maine-&-Loire, au nez et à la barbe de quatre jeunes qui voulaient s’installer et qui avaient réussi une levée de fond de 685 000€ auprès de 270 particuliers et 400 000€ d’emprunt auprès du Crédit agricole, pour un projet d’élevage allaitant, de culture de céréales et maraîchage bio sur 170 ha à la ferme du hameau des joncs.
Allant ainsi à l’encontre des recommandations du Schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) qui privilégie l’installation de jeunes et impose des critères comme l’agriculture biologique, le maintien de l’élevage et du siège d’exploitation.
Visiblement ce n’est plus l’État qui décide, mais bien les détenteurs de capitaux qui privatisent nos terres et rendent tous projets inaccessibles aux citoyens.
Le savez-vous, vous qui êtes né à la Tronche dans l’Isère, que selon, le site Parcel, pour le territoire Grenoble Alpes Métropole, 7 490 emplois agricoles peuvent être créés pour nourrir sainement une partie de sa population.
Les circuits courts vont permettre aux agriculteurs de reprendre en main leur carnet de facture et ainsi leur garantir une rémunération à hauteur de leurs coûts de production.
Si l'agriculture va, dans chaque territoire, l’emploi ira, notre métier n’est pas délocalisable, il garantit la cohésion sociale et peut susciter l’envie d’investir à court, moyen et long terme.
L’actualité rappelle régulièrement les rôles de l’alimentation saine, de qualité, dans la lutte contre l’obésité des jeunes et l’importance des repas de qualité dans les maisons de retraite et en restauration scolaire.
Un homme d’état, Monsieur le Premier Ministre, ne peut laisser mourir ces paysans, qui nourrissent le peuple, qui font que l’on nous envie ces paysages et territoires.
Aurait-on oublié cette sinistre période de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle, ce sont ces agriculteurs paysans qui ont permis à la population de trouver pains, fromages, pommes de terre, une subsistance quasi inabordable en ville ?
Il est de votre devoir d’inscrire l’Agriculture comme une priorité, une souveraineté inaliénable.
Le ministère de l’agriculture devrait être régalien pour la sécurité des Français, au même titre que le ministère de l’intérieur, c'est-à-dire les fonctions dont la responsabilité doit normalement être prise par l'État et qu'il ne doit pas déléguer à des sociétés privées.
Nous, citoyens et agriculteurs, sommes prêts à expérimenter des solutions, il est urgent d’agir.
Pour notre sécurité nationale, il faut repenser ensemble le modèle agricole sur tout le territoire français et laisser la main aux municipalités, pour qu’un plan de sécurité alimentaire se mette en place rapidement.
Il ne tient dorénavant qu’à vous d’ouvrir votre porte, nous avons des propositions concrètes à vous soumettre.
En hommage à toutes les agricultrices et agriculteurs sacrifiés qui ne pourront plus lire cette lettre.
Philippe et Séverine, agriculteur et consommatrice