Dans son ouvrage, "Maternité (s) en colère, le combat pour la maternité du Blanc". Sylviane Van de Moortele entraîne le lecteur au cœur d’une mobilisation, sans doute jamais connue dans la sous-préfecture de l’Indre. Elle décrit la succession des événements, notamment, à partir de la création, en juin 2018, du collectif « cpasdemainlaveille », qu’elle suit pas à pas. L’existence de ce mouvement répond d’abord à une frustration. « Un constat s’impose : ce qui ne leur convient pas dans les manifestations statiques telles que celle du 18 juin, c’est que cela ne se voit pas. Il y a des discours mais rien ne permet aux participants présents d’exprimer leur colère. Seuls les organisateurs et élus ont droit à la parole ». Le premier acte fondateur est la décision d’inviter la population à assister à un simulacre d’accouchement sur la voie publique. Mise en scène provocatrice qui vise à marquer les esprits. Une telle situation risquerait bien de se produire si, la maternité de proximité du Blanc venait à fermer définitivement.
Dès lors le collectif n’aura de cesse de redoubler d’imagination pour inventer des formes d’actions percutantes. Un seul objectif. Visibiliser la protestation, en attirant les médias. Parmi les expressions les plus frappantes, la très visuelle présence des Servantes Écarlates lors d’initiatives publiques. Des femmes défilent, vêtues de capes rouges, la tête baissée couverte d’une coiffe. Ces personnages sont inspirés d’un livre de science-fiction où les femmes sont des esclaves sexuelles, exclusivement réservées à la reproduction. Depuis, les Servantes Écarlates symbolisent la lutte pour la condition féminine. Et assurer un service de qualité pour les accouchements, relève en premier lieu, du respect de la santé et du droit des femmes. Exigence pour la future maman, le bébé à venir, et bien évidemment pour le papa. Autant de raisons pour que la défense d’une maternité de proximité soit une revendication portée par les femmes et par les hommes.
Aussi retrouvera-t-on les unes et les autres au coude à coude dans toutes les actions. Ensemble, elles et ils décideront d’investir les locaux de la maternité suite au cadenassage de la salle d’accouchement. Une occupation jour et nuit, qui durera onze jours. En décembre 2018, temps fort de la mobilisation avec la Marche des oreilles qui mènera les manifestants du Blanc à Paris. Symboliquement, les marcheuses et marcheurs veulent offrir à Macron des oreilles, puisqu’il ne les entend pas.
Une véritable aventure, narrée dans le détail, du début à la fin.
« En trois semaines tout était prêt pour le départ. Les compétences des uns et les réseaux des autres ont été fortement sollicités. Il a d’abord fallu cerner un itinéraire qui passerait obligatoirement par Châteauroux et Orléans (les deux cités administratives de référence pour l’Indre) et le tronçonner en portion de vingt à trente kilomètres, distance journalière réalisable pour des marcheurs non émérites, trouver pour chaque journée de marche un lieu abrité pour la halte du déjeuner de midi et surtout, une ville ou un village qui accepte d’héberger l’équipée pour l’étape du soir. »
L’opération sera sans doute l’une des plus médiatisées, suscitant un vaste soutien de l’opinion publique et l’intervention de nombreux responsables politiques. Dans le livre de Sylviane Van de Moortele, elle reste cependant une action parmi tant d’autres. C’est précisément cette multitude d’interventions, relater avec précision, qui donne toute sa force à un ouvrage enrichi de nombreux témoignages, pris sur le vif. Des personnes impliquées dans cette bataille expriment leur ressenti. Enthousiasme, colère, espoir, déception. Toute une palette de sentiments partagés par des hommes et des femmes fermement décidés à obtenir gain de cause.
« Maternité (s) en colère » montre aussi, à quel point ce mouvement a soulevé des enjeux dépassant le simple cas de la maternité du Blanc. Un collectif de citoyens, sans « chef », a fait l’expérience d’un fonctionnement démocratique. Il a prouvé qu’il était possible de gérer des organisations lourdes, de se faire entendre des médias et des dirigeants, de porter des revendications touchant une grande partie de la population française ( développement des territoires ruraux, présence des services publics), de dénoncer les double langages et les mensonges des gouvernants, d’élaborer des propositions.
Si au bout du compte, la maternité n’est pas ré-ouverte, l’expérience accumulée tout au long de ce mouvement, n’est pas sans suite. Elle a donné naissance à Carte Blanche qui « s’installe en lieu et place du quartier général de cpasdemainlaveille dont il est l’émanation directe. Ici naît un projet collectif et citoyen porté par des habitants à qui on a confisqué un service public majeur, mais qui n’ont jamais accepté la défaite ».
Ce livre, loin d’être un album nostalgique d’une cause perdue, ouvre des réflexions pour une construction d’une démocratie réinventée et d’une citoyenneté active. N’est-ce pas l’urgence du moment ?
Maternité (s) en colère, le combat pour la maternité du Blanc. Sylviane Van de Moortele. Éditions La Bouinotte. 21 €