le visage de l’autre Rom
par Philippe Grauer
- Un gaz toxique imprégnerait-il les ors de la République du côté de la place Beauveau, corrodant la conviction socialiste du nouvel hôte ? Le précédent locataire un certain Guéant, se plaisait à y jouer les odieux inhospitaliers. Il avait poussé le bouchon loin, jusqu’à s’en prendre à des citoyens français. Cible, les Roms. Une plaie européenne au sens où ce peuple traqué maudit, objet du racisme roumain (mais pas seulement), vit chez nous dans des campements à l’occasion douteux du point de vue de l’hygiène, et du droit. Son successeur à la prose à l’occasion humaniste prend le relais. Que faire ? il se doit d’appliquer des arrêtés d’expulsion. Selon le ministère de l’Intérieur, "ces démantèlements doivent se faire en concertation avec les élus locaux et les associations." Alors à quoi rime l’opération déromisation en cours, nullement concertante ?
Des Roms poussent leur caravane sous le regard des CRS après avoir évacué leur camp à Villeneuve d’Ascq, le 9 août 2012. (Photo Pascal Rossignol. Reuters)
Ah ! l’hygiénisme ! ça a donné les grandes déchetteries humaines du XX ème siècle (que les gitans ont alimenté à hauteur de 700 000), ça continue de faire son petit bonhomme de chemin reconduisant à l’enfer pourvu que ce soit ailleurs. En période de récession, pour tenir un équilibre difficile il faut savoir aussi tenir en respect l’électorat d’extrême droite et envoyer les pelleteuses sur quelques camps de Roms encombrants. On nettoie, on dialoguera ensuite. Il n’y aura pas besoin de dialoguer, les déménagés dispersés (où ça ?) on n’en parlera plus – jusqu’au prochain coup. Décidément la karchérisation comme concept sociologique et politique a la vie dure.
relation roumaine, relation humaine
Cela n’a pas grand-chose à voir direz-vous avec la psychothérapie relationnelle. Enfin, si l’on se prend à penser le concept de relation à l’autre, soit comme objet, détritus, ou comme celui dont le visage me commande un engagement sans limite dans l’humanité, on n’est pas trop loin de l’obligation de protester pour ne pas sombrer par indifférence dans l’abandon des valeurs que par ailleurs nous nous efforçons de maintenir, dans nos cabinets – et Écoles, ordinairement moins par l’exhortation que par l’exemple.
navette entre deux inhospitalités
Les problèmes que traînent après eux les Roms ambulants sont difficiles à résoudre, car il ne suffit pas de s’installer quelque part (les terrains vagues le sont de moins en moins, il ne restera bientôt plus que les décharges et quelques infrastructures de bretelles autoroutières) pour y séjourner en ayant droit et dans la dignité. Pourtant la pelleteuse exécutant en plein août un jugement rendu antérieurement certes mais sans concertation avec associations et élus, sans alternative, ça ne convient pas et il convient de le dire. Cette expulsion sèche comme un coup de trique n’honore pas celui qui l’ordonne. Aux Roms Salut et fraternité – à égalité de responsabilité. Au gouvernement la délicate tâche de maintenir le bon ordre local et de définir les termes d’un accueil juste et du dialogue au peuple du voyage chez nous réfugié. Car il s’agit bien de cela. Et de la tragique navette entre deux inhospitalités, deux espaces nationaux invivables, dont il nous faut penser les termes de cohabitation en accord avec nos lois et le respect de la culture de l’autre, pour que chez nous cela devienne enfin, pour les deux parties, vivable – et, qui sait ? bon à vivre.
le système Rom
Que faire avec cette population chez nous intersticielle chassée de Roumanie (et d’ailleurs), avec la misère et l’oppression pour patrie et la mobilité comme fond identitaire (tout de même, ne pas oublier la musique et la danse – [1]) ? le cœur du problème réside dans le système, qui, comme le dit Michel Henry, tel qu’il est aujourd’hui, condamne les Roms à la mendicité et met à mal toutes les tentatives d’insertion. Un véritable casse-tête. Il ne faudrait pas que les Roms s’y cassent les dents – ni notre humanisme (que de bons apôtres désignent comme laxisme), pas plus le bon ordre public. Et n’oublions pas au passage que nous avons nos propres SDF vivant plus ou moins à la Rom au creux des bois ou dans leur voiture, n’oublions pas le plus vaste système de la misère installée autour de nous, qu’ATD Quart monde courageusement s’efforce d’aider. Les Roms ont le mérite de poser crument la question de la misère du monde, de notre monde, ambiante à lui. Et comme chacun sait, malheur à celui par qui le scandale arrive.
Il demeure comme l’écrit fort justement Christiane Duc Juveneton (psychothérapeute ou psychopraticienne on ne sait plus, relationnelle et jungienne (SFPA) de surcroît), que les expulsions systématiques, sans traitement sur le fond, sont non seulement inhumaines mais contraires à une bonne gestion du bien public.
Libération puis Le Monde
Contrairement à ce qui se passait sous le sinistre Guéant, il semble que ce ministère de l’Intérieur se montre attentif aux interpellations et représentations que lui adressent les amis des Roms. L’article de Libération en date du 7 août que nous joignons à ce dossier en fait foi. Notre éditorial lancé le 8 août devenu évolutif s’appelait initialement Manuel Vals, sinistre de l’Intérieur ? Ce titre s’avère trop étroit, vu les réactions de la presse, nous le modifions le 10 pour :
SOS ROMS
Ça n’est pas pour dédouaner le ministre un temps pestif mais pour élargir l’appel. Gauche embarrassée, protestations hésitantes, "dans les starting blocks", pendant que les Roms eux on les retrouve dans les starting charters. Il y a comme ça des mouvements baladeurs oscillants, en France métropolitaine avec les Roms, à Mayotte avec des comoriens. Les reconduites coûtent cher, ne règlent rien, font la honte et ajoutent à la détresse des populations, il faut tout repenser.
commencer par stopper la fausse manœuvre
Notre SOS exprime non seulement le désespoir des Roms charterisés ou laissés c’est le moment de le dire sur le bord de la route, mais se soucie d’activer la réactivité – de la Gauche certes mais des citoyens humanistes de tous bords, dans ce sacré mois d’août traditionnellement propice aux déménagements. On ose espérer d’un gouvernement socialiste qu’il entende quand on dit non aux expulsions sèches, tout de même davantage que du temps du cynisme du précédent gouvernement. Encore faut-il faire entendre ce non avec assez de vigueur. Ce que pointe Le Monde c’est bien la relative indifférence qui accompagne ce lamentable ballet des pelleteuses et des charters, ruinant à chaque fois la difficile mise en place d’un véritable accueil.
soutenir la protestation
Persévérons dans la protestation. Ne faisons pas non plus dans l’angélisme. L’occupation plus ou moins forcée par des Roms d’emplacements accaparés peut se révéler désastreuse et déprédatrice pour leurs hôtes contraints. Mais c’est dans le cadre d’un système qui dysfonctionne que cela se produit, l’expulsion sèche ne constituant pas une réponse humainement raisonnable. Quand une solution est mauvaise on suspend son exécution, on réunit, à la Hollande, d’urgence une Commission, elle fait diligence, et on progresse. On ne commence pas par expulser sachant que "dans les prochaines semaines" il y aurait peut-être des solutions (mais alors pourquoi ne pas avoir attendu les prochaines semaines ?), pour recommencer ensuite à ne pas réfléchir pour réexpulser aussi mécaniquement au tour suivant. Pour que ce ne soit plus toujours la misère et la persécution qu’on envoie se faire voir ailleurs, au diable vauvert, au diable tout simplement. Voilà. Ce sera sans notre complicité.
L'historique
se trouve en ligne : http://www.cifpr.fr/+SOS-ROMS+
Mon amie Christiane Duc Juveneton, militante à Cent paroles [->http://blogs.mediapart.fr/edition/cent-paroles-d-aix-journal-local-alternatif/article/140812/cent-paroles-sort-de-son-iso] m'a alerté aux premiers jours : sardinade d'un côté, rominade de l'autre. J'ai depuis constitué un dossier, qui permet de suivre l'évolution de l'affaire sur http://www.cifpr.fr/