Lettre écrite suite à un long échange issu de mon refus d’acheter un médicament générique de la marque israélienne Teva et du fait que je portais le tee-shirt de BDS France : « Boycott Israël Apartheid ».
Cette lettre a été écrite au premier jour de la rupture de la trêve de trois jours, alors que les bombardements reprenaient sur la bande de Gaza et que la plainte à la cour pénale internationale concernant « les crimes de guerre commis par l’armée israélienne en juin et juillet 2014 en Palestine, dans le contexte de l’opération militaire appelée « Bordure protectrice » » semblait dans l’impasse.
Madame L., bonjour,
Malgré une certaine colère à l’égard de votre légitime peur de subir la violence haineuse de l’antisémitisme, en ce que cette peur vous amène à compromettre votre humanisme pour, au mieux, selon les termes de notre échange, regretter la mort – pour vous épargner je n’utiliserai pas le mot « massacre », quand bien même c’est bien de cela dont il s’agit – d’enfants et d’adultes civils palestiniens et participer à des actions humanitaires israéliennes du niveau médical – regrets et actions humanitaires dont le peuple palestinien, dans son expression en tant que peuple, ou l’ensemble des PalestiniensNES que j’ai rencontréEs et que je connais, ne font aucunement leur revendication principale, tant ce qu’ilsELLES demandent simplement et avant tout c’est de vivre en-dehors du joug colonial ; malgré donc cette colère, c’est par respect pour l’échange et la parole ainsi que pour votre personne et l’humaniste que vous déclarez être, qu’en ces temps de nouveau déluge de feu et d’acier – je vous remercie d’avance de ne pas mettre sur un même pied les tonnes de bombes israéliennes et les roquettes des branches armées palestiniennes – sur celles et ceux de la bande de Gaza je vous écris et fait suite à notre échange.
Avant toutes choses je tiens grandement à vous assurer que je comprends parfaitement votre peur de la violence haineuse de l’antisémitisme. Bien loin de moi la volonté de la relativiser ou de dévaloriser votre peur. Non seulement parce qu’elle vous habite, pour ce que je peux en constater suite à notre échange, et la dévaloriser serait nier cet élément qui vous constitue et donc vous nier personnellement. Mais aussi parce qu’à je ne sais quel terme, en l’état actuel des choses, je pense comme vous que la violence haineuse de l’antisémitisme risque fort de se développer.
Ma colère ne tient donc pas à votre peur légitime mais aux conséquences de votre manière de l’accompagner qui, de fait, participe à la perpétuation de la mort d’enfants et de civils palestiniens, alimentant un processus qui risque fort de rendre votre peur concrète quand elle n’est aujourd’hui que fantasmé, relativement à ce vous imaginez de déferlement de violence. Au cas où, lisez moi bien : je ne dis pas ici que l’antisémitisme n’existe pas mais qu’au regard de ce que vous me disiez sur son déferlement tant en Palestine à travers le Hamas qu’en France à travers les personnes qui manifestent, il n’a pas l’ampleur de la peur que vous en avez
S’il me paraît important que vous entendiez ma colère et que vous sachiez qu’elle fait le ton de ma lettre, ce n’est pas pour la développer que je vous écris. Je vous écris pour garder malgré tout la porte de l’échange ouverte. Je vous écris donc pour vous poser des questions. Je suis par avance désolé de leur ton rude et j’espère que vous attacherez comme moi suffisamment de valeur à l’échange pour me lire jusqu’au bout.
Je tiens à commencer par quelque chose de précis.
Lors de notre échange vous m’avez avancé, référence à l’appui, que la destruction de la centrale électrique de Gaza était le fait du Hamas. Vous n’auriez pas eu de référence, je ne me serais pas arrêté dessus. Mais vous en aviez une : un journaliste italien (Gabriele Barbati, je suppose). Assumant pleinement les conséquences de l’acceptation d’échanger avec une personne ayant une vision du sujet différente, si ce n’est opposée, de la mienne, je me suis penché sur votre assertion.
Je ne peux que vous demander de trouver le moyen de me faire parvenir votre référence car en l’état de mes recherches il est largement admis que ce sont les forces d’occupation israéliennes qui ont détruit cette centrale (et j’ajoute que si vous cherchez bien cela fait suite à une demande faite par le vice-président de la Knesset le 9 juillet).
En matière de journaliste italien dénonçant une roquette du Hamas comme source du malheur de palestiniensNES, je ne trouve qu’essentiellement l’explosion controversée au camp de Shaati le 28 juillet
A moins que vous ayez une référence précise à me proposer pour la centrale, j’avance donc que votre assertion est problématique. D’une part parce qu’elle occulte la responsabilité de l’Etat d’Israël dans la rupture capacitaire en électricité de la bande de Gaza avec les conséquences désastreuses que cela a pour la population civile et les services qu’elle utilise. D’autre part, parce qu’en ce qui concerne le camp Shaati un minimum de recherche critique souligne que la question de la responsabilité de cette explosion n’est aucunement tranchée.
Enfin, je ne trouve votre référence à un journaliste italien que sur des sites internet « pro-Israël ». C’est un peu comme si je vous avais dit que la responsabilité israélienne dans l’assassinat des trois jeunes colons est une certitude alors que je n’ai fait qu’émettre une hypothèse sur la base d’une seule source, une enquête journalistique allemande.
En attendant que vous me détrompiez, je voudrais savoir ce que vous faites des conséquences de cette imprécision pour votre vision des choses. Nous avons fait le choix d’être dans l’espace de l’échange et donc du langage et ainsi de lui reconnaître une importance. Les détails, la précision sont donc ici choses à prendre en considération en matière de construction de nos visions respectives.
J’en viens à des questions plus globales.
Comment pouvez-vous vous dire humaniste sans mettre l’énergie que je vous ai vu développer lors de notre échange, dans la dénonciation des responsables directs de morts d’enfants et d’adultes civils ? Vous oeuvrez dans le domaine de la santé et vous n’êtes pas sans connaître le devoir d’assistance à personne en danger.
Face à une personne en train d’en tuer une autre qui ne lui a physiquement et concrètement rien fait, concevriez-vous qu’il s’agirait, avant d’arrêter le tueur en plein acte, de dire à la personne en train de mourir que ce serait bien qu’elle comprenne que le tueur ne veut pas la tuer ?
Telle est une des raisons qui m’amènent à vous dire que ce n’est pas votre peur qui génère ma colère mais les conséquences de la manière dont vous l’accompagnez. Ne me dites-vous pas, avec beaucoup de regret et d’humanisme, que si les enfants et les adultes civils palestiniens meurent sous les bombes larguées par des drones et des avions militaires israéliens ainsi que sous les balles de soldats israéliens, c’est parce que ces enfants et ces adultes ne comprennent pas que l’Etat d’Israël ne cherche pas à les tuer mais à détruire le Hamas pour le bien de tous ?
Comment pouvez-vous justifier les entorses à votre humanisme en avançant que le Hamas se sert de la population civile comme bouclier et l’oblige à rester sur place malgré les avertissements israéliens ? Croyez-vous vraiment que les plus que 100 morts à Rafah juste avant le dernier cessez-le-feu, alors que des centaines d’autres fuyaient, sont des gens qui se sont retrouvées mises en joue par les militaires du Hamas pour qu’elles ne fuient pas les bombardements ? Croyez-vous vraiment que quand une bombe explose au cœur de la ville de Khan Younes, sur l’immeuble où se sont réfugiés des membres de la famille Najjar, alors que milliers d’autres personnes se sont aussi réfugiées dans cette zone, fuyant les bombardements à l’Est de la région, sur Khuzaa, sur Abassan, les morts sont ceux et celles que le Hamas a empêché de fuir à nouveau, entourés de tousTES les autres en train de regarder ? Croyez-vous vraiment que l’ONU, en la personne de son secrétaire général, soit l’allié du Hamas et conduise les réfugiéEs vers des bâtiments de l’UNRWA qui seraient en fait des caches d’armes pour que l’Etat d’Israël bombarde ces bâtiments, en l’occurrence des écoles, afin qu’ensuite l’ONU, de concert avec le Hamas, puisse dire : « Regardez Israël commet des crimes de guerre ! » ? Et quand bien même il y aurait du vrai là-dedans (les horreurs de la guerre n’ont pas de frontières), cela pourrait-il justifier de tuer les otages pour atteindre le ravisseur quand le nombre d’otages à tuer est trois fois plus important que le nombre de ravisseurs ? Ne me disiez-vous pas que vous, vous attachiez une grande importance à la vie, bien plus que les membres du Hamas ? Parliez-vous en fait de la vie juive ou parliez-vous, en tant qu’humaniste, de toutes les vies, ou, encore, en tant qu’humaniste, faisiez-vous une hiérarchie dans la valeur des vies des unEs et des autres ?
Comment justifiez-vous les entorses à votre humanisme quand vous me dites que tout les membres du Hamas préfèrent la mort à la vie et veulent la mort des JuifsVES ? Croyez-vous vraiment que si le Hamas a gagné aux élections législatives c’est parce que la majorité de la population palestinienne ayant voté a fait allégeance à la voie du martyr pour pouvoir faire régner l’antisémitisme ?
Comment justifiez-vous votre focalisation sur le Hamas quand à ses côtés lutte par exemple le Front Populaire de Libération de la Palestine, parti laïc ?
Comment justifiez-vous votre focalisation sur le Hamas quand vous m’avouez ne pas être au courant de la manière concrète dont se passe la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem en mettant ainsi la longue histoire de la colonisation de la Palestine et de l’oppression du peuple palestinien de côté alors que c’est cette histoire qui mène entre autres à la création du Hamas ?
Je m’arrêterai là avec mes questions posées sur la base de ce que vous m’avez dit, quand bien même vous avez, par exemple, aussi avancé que le fait qu’il n’y ait pas eu de mobilisations de même ampleur pour les morts en Syrie souligne que derrière la mobilisation pour le peuple palestinien se cache l’antisémitisme, faisant de la peur des juives et des juifs la seule référence possible en terme de mobilisation populaire, comme si nous devions toutes et tous nous préoccuper exclusivement de cela.
Je constate simplement que l’ensemble des arguments que vous avancez sont ceux avancés par l’Etat d’Israël et me demande ce qui vient de vous, de votre autonomie d’être humain.
Je ne nie ici aucunement votre dénonciation de l’extrémisme juif et ai retenu avec attention votre interpellation d’un membre de la LDJ. Je souligne simplement que vous mettez sur le même plan des choses qui ne le sont pas, en me disant que vous seriez d’accord avec moi si sur mon tee-shirt, aux côtés de « Boycott Israël » il y avait « Boycott Hamas » et, ce faisant, vous prenez, de fait, le parti de l’Etat d’Israël.
L’humanisme n’est pas une abstraction, extraite des réalités qui l’entoure.
Je tiens juste à conclure en vous disant que vous m’avez avancé que nous avions plein de choses en commun, à commencer par notre humanisme.
C’est parce qu’avec ce mot vous brandissez des valeurs auxquelles je crois et pour lesquelles je m’engage que je vous écris.
Mais sans des réponses précises et convaincantes à mes questions je considérerai votre humanisme comme un leurre cachant votre refus d’avoir une lecture historique et politique de la situation et vous permettant de ne pas assumer que la conséquence de votre peur est le sang d’enfants et d’adultes civils palestiniens et ceci depuis des décennies.
Vous, comme les IsraéliensNES et tousTES les autres qui soutiennent l’Etat d’Israël avaient une question sérieuse à vous poser : pourquoi n’entendez-vous pas que les revendications du peuple palestinien sont basées sur la Justice et le Droit international ? Pourquoi faites-vous tout pour qu’une telle posture, qui refuse justement la haine, deviennent inaudible ? Ne vous sentez-vous pas enferméEs dans votre peur quand bien même elle a sa légitimité ? Ne croyez-vous pas que votre peur vous aveugle ? Et qu’une personne aveuglée risque gros face au danger ?
Vous me disiez aveugle face à ma manipulation par le Hamas. Soyons très clair, ce n’est pas le Hamas que je défends ici. C’est le peuple palestinien en tant que communauté qui n’a jamais rien fait d’autre que réclamer de pouvoir vivre en paix avec celles et ceux qui souhaitent vivre avec lui. Ce sont les Palestiniennes et les Palestiniens que je connais qui en font de même. Jusqu’à preuve du contraire, depuis des décennies, ce sont celles là et ceux là qui meurt sous les balles et les bombes israéliennes. Il s’agit là de quelque chose de concret et, que je sache, en cette partie du monde l’antisémitisme n’a encore jamais concrètement fait autant de victimes que du côté palestinien. Alors en tant qu’humaniste, entre le concret et les peurs, je choisis le concret pour juguler les peurs et leurs conséquences désastreuses.
Malheureusement la peur des Juives et des Juifs, des Israéliennes et des Israéliens conduit trop souvent à un soutien pour le moins de fait, si ce n’est idéologique, à l’Etat d’Israël qui transforme cette peur en outil d’une politique coloniale, avec le soutien de beaucoup, qui mène directement à la concrétisation de cette peur.
En espérant sincèrement que vous lire nous permettra de continuer d’échanger. Sinon soyez certaine que je n’aurai jamais de haine contre vous mais toujours beaucoup de colère pour le détournement que vous faites de l’humanisme.
Sivan Halévy – 9 août 2014