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Billet de blog 6 juin 2012

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La droite française et le modèle espagnol

Préparant un éventuel retour de leur idole, les « Amis de Nicolas Sarkozy » ont récemment publié une tribune dans le Figaro pour expliquer qu'ils défendront « pied à pied » le bilan de l'ex-Président de la République. En dépit de leur talent de bonimenteur, les membres de cette fine équipe pourront difficilement masquer les lourds dégâts du quinquenat en matière d'emploi, de revenus, de droits sociaux ou de libertés fondamentales.

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Préparant un éventuel retour de leur idole, les « Amis de Nicolas Sarkozy » ont récemment publié une tribune dans le Figaro pour expliquer qu'ils défendront « pied à pied » le bilan de l'ex-Président de la République. En dépit de leur talent de bonimenteur, les membres de cette fine équipe pourront difficilement masquer les lourds dégâts du quinquenat en matière d'emploi, de revenus, de droits sociaux ou de libertés fondamentales.

Ils auront aussi du mal à faire oublier qu'ils avaient tenté d'instrumentaliser la crise espagnole et que celle-ci signe en fait la faillite d'un modèle dont Nicolas Sarkozy avait fait l'éloge.

L'instrumentalisation de la crise

 Le 11 avril 2012, la porte-parole du gouvernement français déclarait à la sortie du Conseil des Ministres : « Nous jugeons les craintes qui s'expriment aujourd'hui sur la santé économique de l'Espagne excessives ». S'agissant d'un pays qui venait de tomber en récession, avec un taux de chômage de 24% et un système bancaire au bord du gouffre, un tel optimisme pouvait surprendre.

Les contre-vérités distillées au sujet de l'Espagne nous éclairent en fait sur le désarroi de la droite française à quelques jours d'élections difficiles. Le gouvernement cherchait à présenter la crise espagnole comme le résultat du laxisme des socialistes :« Nous pensons que le gouvernement de Mariano Rajoy est en train de mener une politique de réforme structurelle courageuse, nécessaire, qui est de nature à améliorer la croissance potentielle de l'Espagne […] il est évident que les inquiétudes qui s'expriment sur l'Espagne viennent essentiellement du fait que l'Espagne, qui devait l'année dernière réduire son déficit à 6%, n'a pu réaliser son équilibre budgétaire qu'à 8%». La droite vertueuse serait plombée par l'héritage du laxisme de la gauche.

Sarkozy, admirateur de Zapatero

Cette tentative de réécriture de l'histoire a quelque chose de dérisoire tant il est vrai qu'en visant cette année une réduction du déficit public de 3,2 points de PIB, les conservateurs espagnols prolongent la politique économique de leur prédécesseur « socialiste », José Luis Zapatero. A partir du printemps 2010, son gouvernement a mis en place des mesures d'austérité telles que la diminution des salaires des fonctionnaires ou le gel des retraites. Au prétexte de favoriser les embauches et réduire la précarité, la loi du 17 septembre 2010 a facilité les licenciements. Dès leur arrivée au pouvoir les conservateurs s'empresseront d'accroître encore cette flexibilité du marché du travail1.

En France, durant la campagne électorale, le cas espagnol était pour la droite un témoin gênant révélant brutalement les conséquences de la poursuite de l'utopie néo-libérale. Il fallait donc impérativement lui faire dire autre chose. Si ce n'est nullement la première fois qu'une fraction de la classe dirigeante instrumentalise une crise économique à des fins électorales, elle l'a fait cette fois-ci de façon désordonnée et contradictoire.

D'un côté, Nicolas Sarkozy tentait de miner la crédibilité de son rival : « Regardez comment est l'Espagne, après sept ans de régime socialiste »2. Mais d'un autre côté, le candidat de l'UMP rappelait souvent à François Hollande que son homologue socialiste espagnol n'avait pas rechigné, lui, à porter l'âge de départ en retraite à 67 ans et à couper dans les dépenses publiques. En janvier 2011, Nicolas Sarkozy avait même adressé un courrier à Monsieur Zapatero pour « saluer les décisions fortes prises sous [son] autorité », les « courageuses décisions [qui] renforcent la compétitivité espagnole et la stabilité de son système financier »3. En retour, quelques mois plus tard, le gouvernement espagnol accédait à la demande de Mme Merkel et de M. Sarkozy d'adopter une« règle d'or » de limitation des déficits publics.

On ne peut donc pas imputer la crise espagnole à « sept ans de régime socialiste ». Elle trouve d'ailleurs ses racines dans une période plus longue au cours de laquelle les gouvernements successifs, conservateurs et socialistes, ont aligné l'économie espagnole sur le modèle néo-libéral.

Sarkozy, admirateur de la bulle immobilière

Pendant plusieurs mois, Nicolas Sarkozy a cherché à convaincre les électeurs que sa « seule préoccupation » a été de les « protéger » de la crise. Mais si la France a été un peu moins touchée que la moyenne des pays européens, ce n'est pas à cause de la clairvoyance de ses dirigeants. Bien au contraire, la crise a partiellement protégé les français des méfaits de Nicolas Sarkozy en empêchant ce dernier d'aligner l'économie française sur le modèle néo-libéral.

Le directeur adjoint du quotidien El Pais a bien souligné les contradictions du champion de la droite française: « je n'oublie pas les bonnes relations qu'entretenait Sarkozy avec Zapatero, et surtout l'éloge de la politique espagnole du logement qu'il faisait lors de sa campagne de 2007, en promettant d'imiter les incitations fiscales et les facilités de crédit mises en place pour que les jeunes puissent accéder à la propriété. Heureusement pour la France, il n'a pu mettre en pratique ses idées. Et il a sûrement totalement oublié qu'il avait été un admirateur ébloui de la bulle immobilière espagnole »4.

Nicolas Sarkozy s'est souvent présenté comme une victime du système médiatique. Force est pourtant de constater que lorsque le candidat revêtait sur les plateaux de télévision les habits du « capitaine dans la tempête », aucun journaliste n'osait lui rappeler son discours du 17 mars 2005 : « Ce n’est quand  même pas excessivement audacieux de proposer que les crédits immobiliers soient simplement et uniquement garantis sur la valeur des biens achetés »5. Ou sa récidive de février 2007 : « Je propose que ceux qui ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de leur logement »6. Tel était son projet. « Le spectacle des subprimes a cependant été un peu trop riche en impressions colorées »7. La situation serait encore plus dramatique aujourd’hui si de telles propositions avaient été mises en œuvre.

NOTES

1 Pour plus de détails sur la loi du 17 septembre 2010, cf. Catherine Vincent, « Chroniques d'une rigueur espagnole imposée », Chronique Internationale de l'IRES, n°127, novembre 2010, p. 113-121. Pour une comparaison avec la loi instaurée par le gouvernement Rajoy, lire du même auteur : « Une réforme de plus pour flexibiliser le marché du travail », Chronique Internationale de l'IRES, n°135, mars 2012.

2 Conférence de presse du 5 avril 2012.

3 http://ambafrance-es.org/france_espagne/spip.php?article4645

4 http://www.courrierinternational.com/article/2012/04/26/sarkozy-et-l-epouvantail-espagnol

5 Convention sociale (sic) de l'UMP, 17 mars 2005. Le texte, retiré du site de l'UMP, est disponible ici : http://discours.vie-publique.fr/notices/053000896.html

6 Abécédaire des propositions du candidat Nicolas Sarkozy, UMP, 2007, « Crédit hypothécaire ».

7 Frédéric Lordon, Jusqu'à quand ?, Raisons d'Agir, 2008, p.209.

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