« Aujourd’hui, les Etats et les entreprises arrêtent d’investir et nous allons vers la destruction » affirmait très récemment le directeur des études de la banque Natixis. Il ajoutait toutefois: « Si nous pensons une croissance de long terme, le désendettement se fera tout seul ». C’est une solution de ce type, une « stratégie de croissance européenne », que promettait sans cesse le candidat Hollande. Avant d’analyser cette stratégie, revenons brièvement sur les raisons pour lesquelles la production de la zone euro est actuellement inférieure à son niveau d’avant-crise.
Après la sortie de la récession de 2009, des premiers plans d’austérité ont été mis en œuvre dans les pays périphériques. En 2011, les politiques budgétaires restrictives ont été généralisées et représentaient 1,1 point du PIB de la zone. L’austérité a alors provoqué un grand ralentissement. Celui-ci s’est désormais transformé en récession. Le recul du PIB de la zone euro est de 0,5% en 2012 selon l’OFCE, de 0,4% selon la Commission européenne. Entre la récession amorcée fin 2008 et celle qu’elle traverse actuellement, la zone euro aura connu seulement neuf trimestres de faible croissance. Selon Eurostat, la formation brute de capital fixe est historiquement basse, elle représente aujourd’hui 18,6% du PIB de la zone contre 21,8% en 2007.
A l'exception de l'Irlande, aucun pays ne voit son secteur industriel redémarrer. Selon l'enquête PMI réalisée par le cabinet d'études Markit auprès des directeurs d'achat, l'activité de l’industrie allemande est en baisse depuis huit mois. Les exportations germaniques viennent de subir leur plus forte baisse depuis décembre 2011. En France, le secteur industriel s'est contracté au cours de 14 des 15 derniers mois.
Pour quiconque suit un peu l’actualité économique, il était donc pour le moins surprenant de lire le 17 octobre 2012 dans un entretien du Président Hollande que « sur la sortie de la crise de la zone euro, nous en sommes près, tout près ». Les termes sont certes un peu plus prudents que ceux qu'avait employés Christine « tout-va-bien » Lagarde en 2008, ou Nicolas « la-crise-est-finie » Sarkozy en mars 2012. La déclaration de François Hollande n'en demeure pas moins mensongère.
Selon les dernières prévisions de l’OFCE, avec une austérité accrue en 2012 et maintenue en 2013, la croissance de la zone euro demeurera négative en 2013 (-0,1%) tandis que celle de l’économie française sera nulle. Le chômage atteindrait, fin 2013, le taux record de 12,1% dans la zone euro (11% en France)[1]. Les prévisions de la Commission et celles de l’OCDE sont à peine plus optimistes[2]. Et le ministère allemand des Finances s'attend, selon un communiqué diffusé le 9 novembre, à ce que la première économie de la zone subisse « une dynamique économique remarquablement plus faible pendant la période hivernale ».
Le 27 novembre, François Hollande a pourtant refusé de réviser la prévision officielle de croissance pour 2013 (+0,8%). Et il n'est pas le seul dirigeant français à afficher son optimisme. Dans un entretien accordé le 24 octobre, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a estimé que dans la zone euro « les conditions d'une sortie de crise sont réunies » et que « nous pouvons espérer qu'en 2013 nous voyions en France la confiance revenir progressivement ». Sans doute avec l'aide de l'austérité ? Si le Ministre des finances, Pierre Moscovici, a salué la publication de la croissance du troisième trimestre (+0,2%) en déclarant que « la France est une économie solide qui a un potentiel de rebond », le seul rebond en vue est en fait celui du chômage. Or, si l'accroissement de cette « armée de réserve industrielle » n'est pas un problème pour le système capitaliste, il peut en devenir un pour des dirigeants politiques qui veulent être réélus. Après une année 2013 très difficile, les bienfaits du « changement » se feront-ils sentir ? Indépendamment de toute considération de justice sociale, la stratégie du gouvernement a-t-elle des chances de fonctionner ?
Trois idées sous-tendent l'optimisme des dirigeants français. La première est que 2013 ne laissera de traces trop profondes dans la dynamique du capitalisme français car l’effet récessif de l’austérité budgétaire sera partiellement limité par la baisse du taux d’épargne. Les augmentations de la fiscalité toucheraient uniquement « 10% des ménages les plus riches » qui pourraient puiser dans leur épargne pour continuer à consommer. L’INSEE estime que « les mesures nouvelles de hausse de prélèvements obligatoires, notamment celles concernant les revenus du capital, affecteraient en grande partie des revenus qui sont en général épargnés à court terme. Les ménages amortiraient ainsi les conséquences sur leurs dépenses de consommation de la baisse de leur pouvoir d’achat au second semestre 2012 en réduisant leur taux d’épargne »[3]. On peut d’abord objecter qu’en raison de l’incertitude actuelle, la poursuite de la baisse du taux d’épargne observée depuis le deuxième trimestre 2011 n’est pas assurée. En outre, la baisse des dépenses publiques et une petite partie de la hausses d’impôts auront bel et bien un impact sur les revenus des classes populaires, surtout si l’on y ajoute l’effet des mesures Fillon maintenues par Ayrault (gel du point d’indice des fonctionnaires, taxe de 7% sur les mutuelles, financement par les ménages de la réforme de la taxe professionnelle, etc.). Enfin, de nombreux travailleurs perdant leur emploi ne disposent pas d’une épargne importante. D’ailleurs, l’INSEE ne conclut pas à une consommation dynamique, celle-ci « résisterait », « ne progresserait pas ».
Si cette première source d’optimisme doit donc être relativisée, les deux autres hypothèses sur lesquelles repose la stratégie des socio-démocrates français sont en revanche absolument erronées.
La suite dans mon prochain billet...
[1] Revue de l’OFCE, « Zone euro : l’austérité pour tous, tous pour l’austérité ? Perspectives 2012-2013 pour l’économie européenne », URL : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/documents/prev/prev1012/ze181012.pdf
[2] Selon les prévisions publiées par la Commission le 13 novembre, en 2013 le PIB de la zone euro augmenterait de 0,1% et celui de la France de 0,4%. Dans les prévisions publiées par l’OCDE le 27 novembre, ces taux sont respectivement de -0,1% et +0,3%.
[3] INSEE, Point de conjoncture, octobre 2012. URL : http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/octobre_2012_ve.pdf