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Billet de blog 1 mars 2017

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Mélenchon/Hamon : résister au chant des sirènes et investir le champ de bataille

Lorsque Mediapart, Libération, et Regards "appellent ensemble Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon à débattre publiquement" afin de justifier l'impossibilité d'une alliance, ils sont tels celui en train de se noyer s'accrochant paniqué au nageur le plus proche, l'entrainant vers le fond. La gauche vaut mieux que ça.

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Entre le moment de la victoire de Benoit Hamon et sa rencontre infructueuse avec Jean-Luc Mélenchon, trois semaines se sont écoulées, trois semaines pendant lesquelles le point central de l'actualité politique a été cette possible alliance. Dans tous les journaux, sur toutes les radios et chaînes de télévision, dans toutes les émissions politiques, dans toutes les discussions politisées, il n'était question de presque que cela (et des déboires de François Fillon). Mais jusque là, personne n'avait exigé que leur rencontre ne soit publique.
La rencontre a finalement eu lieu, pendant deux heures. Les désaccords sont trop profonds, il n'y aura pas d'alliance.
Alors d'un coup, il faut rejouer le match mais en public cette fois. Peut-être le rejouer jusqu'à ce que le résultat change.
Evidemment, ça ne pourra pas se faire demain. Ni dans 3 jours. Et nous revoilà partis pour une semaine, deux peut-être, pendant lesquelles l'attention sera détournée du fond. A 9 semaines du premier tour. Est-ce bien raisonnable ?
Cela dit, le Parti Socialiste n'ayant pas encore de programme, cela éviterait qu'on s'y intéresse.
Mediapart, Libération, et Regards écrivent : "Il ne nous appartient pas d’appeler à une candidature unique de la gauche.", mais c'est exactement ce qu'ils font. Cela se comprend pour des médias dits de gauche. Certainement pour des raisons différentes d'ailleurs. Mais admettons que ce ne soit pas le cas, ils participent alors simplement à l'enfumage de la campagne, entretenant ce feuilleton qui empêche de parler de fond et de permettre aux gens de se concentrer sur les programmes.
Car depuis trois semaines, que de discussions sans aucun argument programmatique, que de divisions, de déchirures entre partisans des mêmes familles politiques mais défenseurs de stratégies différentes.
De même participent-ils à ce mensonge mathématique, qui plus est basé sur des sondages, de l'addition des voix garantie de victoire. PS (14%) + FI (14%) + EELV (2%) = 30%, premiers du premier tour et qualifiés face au FN au second ce qui assure la victoire.
Outre le fait que ces calculs se basent, comme le vote utile, ce vote anti-démocratique, sur des sondages qui, rappelons-le, présentaient Benoit Hamon et François Fillon très loin d'une possible victoire à leurs primaires respectives pour ne citer que ces deux exemples, il s'agit ici de considérer les blocs d'électeurs comme immuables. Le PS fera 14% tout seul et apportera ces 14% dans l'alliance. La FI de même. EELV également. On ne saurait être plus loin de la réalité.
Benoit Hamon a déjà du mal à conserver le soutien et donc le vote de la droite de son parti. S'il devait faire assez de compromis pour s'allier Jean-Luc Mélenchon, cette portion-là de son électorat irait immédiatement renforcer celui d'Emmanuel Macron, le rendant plus difficile encore à battre.
L'électorat de la France Insoumise s'est constitué autour d'un projet/programme radical, officialisé depuis des mois, de même que d'un rejet, souvent devenu viscéral, du Parti Socialiste. Si Jean-Luc Mélenchon devait faire assez de compromis pour s'allier Benoit Hamon, il perdrait immédiatement une large, vraiment large, majorité de son électorat, qui se rabattrait sur le NPA ou LO et pour beaucoup sur l'abstention.
Cela sans même prendre en compte ceux qui, pour des raisons de personnes, ne voteront jamais Mélenchon ou jamais Hamon. Or il faudra bien que l'un de ces deux-là mène le rassemblement.
On peut être opposé à cette désertion, la critiquer, la condamner, mais on est obligé de faire avec cette réalité de terrain. Elle ne va pas disparaitre sous l'effet d'un vœu pieux. L'alliance de ces 3 candidats ne fera pas les 30% fantasmés, parce qu'ils ne dépendent pas de robots mais d'êtres humains, avec leurs logiques, leurs convictions, leurs histoires, et au final... leurs choix.
Mon estimation personnelle, faite à l'aune de mon doigt mouillé et de mes neurones dédiés aux mathématiques prédictives, serait que, basé sur ces sondages de 14-14-2, l'amalgame ferait aux alentours de 18% en propulsant Macron à 30%.
Enfin, Médiapart, Libération et Regards déclarent : "En faisant le choix de maintenir et l’un et l’autre leur candidature, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon prennent la responsabilité historique de voir la gauche éliminée dès le premier tour de la présidentielle, le 23 avril."
Ce faisant ils déresponsabilisent totalement l'ensemble des politiques menées jusque là, ainsi que les médias.
Le rejet du PS, la bulle Macron, la domination du FN ne sont pas soudainement apparus lorsque Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon on refusé de s'allier.
Il ne s'agit pas de situations hors-sol.
- Des décennies de politiques rendant la vie de la majorité des citoyens plus difficile, plus misérable, plus agressive, plus désespérée souvent, alors que dans le même temps une petite caste s'enrichit de plus en plus indécemment tout en exigeant de plus en plus de sacrifices, en culpabilisant les plus démunis, et en mettant en scène des boucs émissaires, malheureux parmi les malheureux, ont servi de terreau à une extrême-droite agitée comme un épouvantail, utilisée comme garantie d'audience médiatique, et aujourd'hui créature fasciste au portes du pouvoir; échappant au contrôle de ses créateurs. Pourquoi en dédouaner les responsables ?
- Des mois de propagande médiatique intense au service d'un futur candidat qui n'est autre que l'homme de paille des pouvoirs de l'argent, lesquels pouvoirs possèdent plus de 90% des médias, le monde est bien fait, ont créé le phénomène Macron désormais assuré par les sondages d'être le futur président de la République. Pourquoi en dédouaner les responsables ?
- Des années à traiter Jean-Luc Mélenchon comme un pestiféré enragé et halluciné ont contribué à affaiblir l'émergence à gauche d'une alternative au PS. Pourquoi en dédouaner les responsables ?
Durant la campagne de la primaire de la Belle Alliance, une partie importante de l'électorat de gauche a préféré appliquer la stratégie du perdant, à savoir se prémunir du pire en votant pour le moins pire. Basé sur l'idée que Manuel Valls candidat aurait présenté le risque élevé de Manuel Valls président de la République, cette partie de l'électorat a préféré jouer la sécurité.
Mais comme il est dit, à voter contre le plus pire on finit tout de même avec le pire.
Et à partir perdant, on finit perdant.
Stratégiquement, faire gagner Benoit Hamon, c'est avoir fait gagner celui qui, lors de la véritable élection, allait diviser le plus l'électorat de gauche, en lieu et place de Manuel Valls qui aurait pris des voix à Emmanuel Macron et repoussé une partie des électeurs du PS vers la France Insoumise.
Lourde erreur stratégique.
Désormais, la peur à nouveau pousse les mêmes à exiger une alliance à tout prix, au mépris de tout différent de fond, alliance qu'ils voient comme le seul espoir de se sortir du guêpier dans lequel ils ont fourré leur camp. Rejetant au passage la responsabilité sur les autres.
M'est avis qu'au Parti Socialiste, le calcul est différent. Perdue pour perdue, la présidence n'est plus l'enjeu. Ce qu'il joue sont sa survie et sa position dominante "à gauche", ce qui implique de ne pas finir derrière la France Insoumise. Mieux encore si après l'échec du traquenard des primaires, le PS pouvait faire disparaitre Jean-Luc Mélenchon et désintégrer la FI dans une alliance empoisonnée. En cas de candidatures séparées, il suffirait de lui faire porter la responsabilité d'un échec de la gauche. Tellement facile vu le portrait d’irascible que l'on dresse de lui à longueur de temps. Une stratégie qui gagne quelque soit l'issue du scrutin. A moins que la France Insoumise ne se hisse au second tour.
Alors il est urgent, à moins de deux mois du premier tour, de sortir des invocations fantasmatiques, des calculs mathématiques foireux, temps d'acter le réel et de faire avec. C'est cela, faire de la bonne politique.
Benoit Hamon va devoir proposer un programme qui convienne à l'ensemble des forces du Parti Socialiste. Qu'il réussisse à convaincre la majorité des électeurs que ce qu'il y promettra est le meilleur programme de gauche.
Jean-Luc Mélenchon a le devoir de porter la radicalité de l'Avenir en Commun et de la France Insoumise. Qu'il réussisse à convaincre une majorité d'électeurs que ce qu'il défend est le meilleur programme de gauche.
Que les médias exposent et analysent les programmes sur le fond dans le but d'éclairer les citoyens sur ce qui leur est proposé.
Que les personnalités médiatisées sortent de leur tétanie face aux phares de la droite et de l'extrême-droite et prennent des positions argumentées pour l'un ou l'autre des candidats de la gauche.  
Qu'on sorte de la répétition paniquée de l'incantation "qu'ils s'allient ou nous perdrons, qu'ils s'allient ou nous perdrons, qu'ils s'allient..." et que chacun se fasse son idée, fasse son choix, et participe activement à diffuser, expliquer, débattre, convaincre sur le fond.
Que Mediapart, Libération et Regards organisent alors un débat entre Benoit Hamon et Jean-Luc Mélenchon, non pas pour qu'ils se justifient de ne pas faire candidature commune, voire se convainquent de changer d'avis, mais pour présenter et confronter les deux programmes qu'ils portent.
50% des électeurs disent ne pas encore avoir fait leur choix. Offrons-leur donc des projets de société entre lesquels choisir plutôt qu'un miroir aux alouettes mathématiques.

Post-scriptum : Et si jamais nous perdions, que cela se fasse sur les fondations enthousiasmantes d'un renouveau de gauche plutôt que sur les ruines sinistres et stériles d'alliances électoralistes.

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