Depuis le début de la crise des gilets jaunes, les scènes se sont multipliés. Régulièrement, on a vu des équipes de journalistes pris à partie, insultés, agressés. Quand certains s’acharnent sur des reporters sur le terrain, d’autres s’en prennent, masqués par l’anonymat, à des journalistes ou des dessinateurs sur les réseaux sociaux. En 2018, en 2019, en France. Oui c’est un fait établi : les rédactions et, plus largement, les médias ont perdu la confiance du public.
On les accuse de tous les maux. Ils roulent pour la concurrence, ou sont de mèche avec le pouvoir. Ils ne sont pas indépendants, sont reliés à des puissances d’argent. Ils mentent, accusent sans fondement, ne cherchent que le buzz, parfois au détriment de la réalité. Et de nombreux politiques se laissent aller, et tapent à tout va. Nicolas Sarkozy, Laurent Wauquiez, Emmanuel Macron, Alexis Corbière, Adrien Quatennens... Autant de figures de premier plan qui allient théorie du complot et victimisation à outrance, ce qui attise, à coup sûr, la violence.
Auto-censure
Pour Samuel Laurent, patron des Décodeurs du Monde, Twitter "est devenu, sous l’action de communautés militantes essentiellement, un lieu de haine, de violence, où quelques milliers d’internautes peuvent littéralement pourrir la vie d’un individu s’ils le décident de concert". Et de conclure, si ça continue : « Je vais m’auto-censurer, arrêter de donner mon avis, et publier juste mes papiers."
Face à ce climat de haine, que vient confirmer le Baromètre de La Croix, publié en janvier 2019, les journalistes essayent de faire leur autocritique, comme l'écrit Libération. Certains reconnaissent volontiers ne pas avoir su prendre le temps de partir sur la route pour interroger les Français, ces anonymes si souvent zappés du débat, qui sont parfois dans le rouge en fin de mois et qui réclamant un changement, maintenant.
Éducation aux médias
Mais il y a autre chose. La France dispose d'un paysage médiatique complexe, pléthorique, varié... et le public n’est pas (trop) au courant. Depuis des décennies, les rédactions portent des projets... mais ne parviennent pas à communiquer (ou certains citoyens ne prennent pas le temps de fouiller sur le web à la recherche des pépites médiatiques).
Les médias peinent à échanger avec leurs lecteurs, à expliquer leur fonctionnement. Qui, parmi les gilets jaunes, pourrait expliquer le fonctionnement réel de l'AFP, d'une rédaction locale de France 3, d'un petit magazine thématique, d'un studio de production de podcasts ou d'un pure player ? Dur à dire !
La solution, on la connaît. L'éducation aux médias doit devenir une priorité absolue pour faire face aux défis intellectuels des générations émergentes. Il faut répondre à l'ignorance par la connaissance et le dialogue. Il faut lutter pied à pied face aux fake news, aux attaques politiciennes et aux raccourcis.
Chaque année, le Centre pour l'éducation aux médias et à l'information organise la semaine de la presse et des médias dans l'école. Ce rendez-vous rassemble près de 220 000 enseignants de tous niveaux et 1 750 médias partout en France. L'édition 2019 de la Semaine de la presse et des médias dans l'école aura lieu du 18 au 23 mars prochain.
Au-delà de l'échange, ce projet doit être investi par l'ensemble de la profession.Pourquoi ne pas imaginer des programmes spéciaux aux heures de grandes écoutes ? Pourquoi ne pas diffuser des documentaires ou des éditions spéciales sur la question ?
Les valeurs, sur la table
Rien n’est perdu. Il faut continuer à échanger, discuter, débattre… Il faut proposer des forums, des rencontres… et remettre au centre du débat les valeurs du journalisme. Chaque équipe devrait les porter haut et fort, partout en France et au-delà.
Or, et c’est là que le bât blesse, ces valeurs-là sont mises en doute. Que faire ? Revenir aux sources. A la base d'un concept qui fonctionne, il y a une formule, un ton, des rubriques... et des valeurs. Il faut rompre avec la course au scoop, au clic ou à l'audience. Un média qui ne dégage pas de profit est un média mort. Certes... Mais sur quoi ce profit doit-il s'appuyer ? Sur des couvertures tapageuses et des raccourcis faciles ? Sur des montages dignes d'un délit de presse ? Sur de vagues présomptions et sur les trois secondes d'avance prises sur la concurrence ? Non. Ils doivent s'appuyer sur une qualité reconnue, sur une exigence, sur une honnêteté.
Un média qui mettrait en avant ses convictions éthiques et une transparence claire serait-il moins efficace que d'autres ?
Mediapart le fait depuis des années et ne cesse de voir affluer de nouveaux abonnés. Avant les dossiers Clearstream, Benalla ou Fillon, c'est la transparence, l'équité et la rigueur du travail effectué qui convainquent les internautes. Pas une formule où le nouvel arrivant se verrait offrir un radioréveil ou un livre dédicacé.
Quand Le Zéphyr a été lancé il y a trois ans, nous pensions avant tout à l'approche éditoriale et au sens profond de nos portraits. L'idée : explorer l'actualité à échelle humaine, rencontrer nos contemporains, donner la parole à celles et ceux qui vivent des aventures marquantes mais qui restent la plupart du temps à l'ombre du buzz et des gros titres.
Les médias ont rationalisé les coûts, investi sans discernement les réseaux sociaux et le web, bousculé des lignes éditoriales pour faire de la place aux "figures du moment", succombé aux charmes superficiels du brand content. Reste les valeurs ! Il faut les remettre au centre des démarches éditoriales et commerciales. Prouver la véracité dans les faits, rencontrer le public sur le terrain, et prendre des notes !
La rédaction du Zéphyr