Barre Phillips vient de mourir. C’est un ami qui me l’apprend au détour d’un message, je vérifie, la nouvelle est vraie, malheureusement. Pas surprenante, il était déjà âgé, mais vraie.
Barre, c’est par les films de Kramer que je l’ai connu, même si le jazz, et le free, et surtout ce free en articulation étroite avec les luttes et les utopies de l’époque m’était depuis longtemps familier. C’est par les parties musicales bouleversantes de Route one USA (et Doc’s kingdom aussi, avant) que je découvre et que je comprends le lyrisme bouleversant de Barre Phillips.
Dans le DVD, il y avait un CD aussi, et puis je vais voir toute la panoplie, toute l’histoire en voguant sur le net qui commence à exister. Cette histoire, il me l’avait racontée quand je vais le voir, chez lui, pour lui demander l’autorisation d’utiliser une de ses musiques. J’ai tripatouillé un de ses albums, reprenant des thèmes, faisant des tournes, prolongeant des climats, bref j’ai fait une musique de film de sa création et je lui ai envoyé le CD de prépa, (et sans doute le film, pour qu’il me trouve des excuses) en croisant les doigts avant d’aller le rencontrer pour négocier tout ça.
« Haw, j’aime beauquiou ce que tu as fait avec mon miousic… »
J’étais prêt à tout, et un assassinat en règle n’était pas exclu. Mais c’est la règle des grands, des très grands, de ne voir nulle part un crime de lèse-majesté. J’avais en face de moi un humain, un camarade, un égal. Lui l’immense créateur, et moi, le petit cinéaste de rien.
Mais il était embêté : « je te fais cadeau pour moi et ma fille. Les trois autres musiciens je suis obligé de te faire payer. »
« Oui… ? »
Pour les trois autres musiciens il fallait payer… l’équivalent d’un cachet, soit 105€ x3. Et encore il m’a demandé si c’était possible.
Je suis resté quelques heures, trop courtes. Des heures dont on se souvient toute sa vie. Il m’a raconté l’arrivée en France, le presbytère gratuit avec la mission de veiller pour la mairie sur l’église voisine, je ne sais plus s’il y avait l’eau courante, et sans doute pas l’électricité. Son amitié avec Kramer, et le travail en commun. Ils avaient le même accent à couper au couteau.
Il y a des gens que l’on ne rencontre que quelques heures dans une vie. Mais elles sont là, présentes. Elles vous accompagnent. J’ai tout oublié. Mais je me souviens de tout.
Bon vent, Barre.