J’écoute toujours avec délectation les élucubrations sur l’état de la société française d’un certain Jean Viard, qui est présenté comme sociologue sur France Info alors qu’il serait plus correct de le présenter comme un soutien de notre méprisant de la république.
En général, c’est une franche partie de rigolade, mais dernièrement ça a atteint des sommets. Lors d’une question sur les rémunérations et le niveau de vie des français, cet estimable personnage disait, du haut de sa science (qui est grande), que, hormis quelques situations particulières, tout allait plutôt bien. Le retour du doigt mouillé dans le domaine du concept sociologique doit être ici noté !
Il ne faut pas prendre à la légère des assertions de cette sorte. Pour aberrantes qu’elles puissent paraitre, elles rendent compte, sinon de la réalité, du moins de ce qu’il y a dans la tête de toute une catégorie de personnes dont le point commun est de vivre tout à fait hors-sol. Confinés dans les serres du sérail, et dûment alimentés en nutriments divers, ils pensent que la température générale est confortable. Même un peu trop chaud, peut-être ? Enlevons leurs quelques années de retraite, il faut être réaliste !
Le problème est que ces plantes en pot façonnent l’opinion, de façon mensongère en plus, car on les présentent d’abord sous le couvert de l’objectivité scientifique. Une façon d’être sociologue qui me permet de m’improviser curé sur le champ.
Evidemment, la présence de ce genre de commentateur sur les ondes a une fonction très simple : saturer l’espace médiatique et laisser chaque jour moins de place à une lecture de la réalité du monde qui n’a pas grand-chose à voir avec ce récit fabriqué qu’ils appellent l’actualité, entretenue à coups de suspense sans objet. Faux suspense : non, le jugement des agences de notation ne précipite pas le pays dans la catastrophe (on le savait avant). Vrai suspense : comment remplir le frigo après avoir payé le loyer.
Mais outre le « mensonge par omission » qu’il génère, cette opération de substitution prépare toujours au pire. « Combien d’esprits humains sont capables de résister à la lente, féroce, incessante, imperceptible force de pénétration des lieux communs ? » (Primo Levi/La Trêve)
Que cette réflexion soit de Primo Levi nous rappelle que cette « imperceptible force de pénétration » a partie liée avec les plus grands totalitarismes et nous en fait courir les plus grands dangers.