Haro sur l’aide publique au développement ! L’illibéral Donald Trump et son administration ont sonné la charge à travers l’attaque contre l’Usaid. Le même argumentaire été repris sans tarder en France , notamment par la voix de Sarah Knafo. Au-delà des approximations et contre-vérités, la seule vertu des propos tenus par la partenaire d’Eric Zemmour aura été de faire réagir les autorités mises en cause. Le secrétaire d’État à la Francophonie et aux Partenariats internationaux de même que les responsables de l’Agence française de développement, qui insistent généralement sur le versant solidarité de l’aide, sont sortis du bois. Ils se sont empressés de montrer, chiffres à l’appui (ce qui n’est pas si fréquent), que l’aide française, loin d’être désintéressée, représente une bonne affaire pour la France.
Cette politique publique, faite, selon tous les grands textes, de solidarité et d’intérêt, a de tout temps été pervertie. L’apparente schizophrénie a toujours caché la forte emprise de l’intérêt, comme le révèle l’intitulé même de cette politique : l’aide publique au développement DE LA FRANCE n’est pas du tout la même chose que l’aide publique au DÉVELOPPEMENT DE LA FRANCE. Et c’est bien cette deuxième acception qui a toujours dominé. Dès 1961, le général de Gaulle, « père de la coopération », déclare : « Tous les pays sous-développés qui hier dépendaient de nous et qui sont aujourd’hui nos amis préférés demandent notre aide et notre concours. Mais cette aide et ce concours, pourquoi les donnerions-nous si cela n’en vaut pas la peine ? » Les huit présidents de la Ve République ont agi de même, comme l’a illustré de manière imagée l’ambassadeur Guy Georgy : un gouvernement à droite, un à gauche…, finalement, comme dans un slalom, cela fait une belle ligne droite ! La tendance à l’aide-intérêt s’est même accentuée avec la mise en place, en 2013, par le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, de la diplomatie économique qui consiste à aider les entreprises françaises. Désormais, c’est tout le spectre de la coopération, à travers ses différents secteurs, qui est marqué par l’impératif utilitariste : la « coopération » culturelle, scientifique, agricole, environnementale, etc. est devenue la « diplomatie » culturelle, scientifique, agricole, environnementale, etc. Or la diplomatie n’est qu’intérêt.
Et pourtant, le besoin de solidarité est toujours aussi fort. La pauvreté, notamment après le Covid, est plus que jamais présente et même en augmentation, avant tout en Afrique. Une autre aide au développement, sérieusement engagée dans la lutte contre la pauvreté – objectif officiel premier de l’aide, rappelons-le – pourrait soulager de nombreuses personnes et enclencher un processus vertueux de développement. Pour cela, il faut éviter deux écueils.
Le premier est la politique de l’offre, très bien illustrée par l’ouvrage, ancien mais toujours actuel, de Jean-David Naudet (Trouver des problèmes aux solutions. Vingt ans d’aide au Sahel Paris, OCDE, 1999). Qu’est-ce à dire ? Les donateurs disposent de budgets (les « solutions »). Il faut donc trouver des « problèmes », à savoir les projets auxquels vont être attribués ces financements. Or, l’expérience montre que celui qui propose le projet le fait dans son intérêt. Qui paye commande. Il s’agirait donc de donner véritablement la main aux populations qui reçoivent l’aide, ce qui pourrait augurer de la pérennité des projets, objectif - rarement atteint - de toute aide réussie.
Les responsables de l’aide sont conscients de cette situation. Dans leurs discours, ils disent vouloir la corriger. On ne peut qu’être d’accord. Le problème est que la pratique ne suit pas. Il y a quelques années, ils ont clamé haut et fort l’adoption d’un « nouveau paradigme » : « Désormais, ne plus faire pour l’Afrique mais avec elle. » Ce slogan faisait écho à la parole de Gandhi : « Tout ce que vous faites pour moi, sans moi, vous le faites contre moi. » Or, simultanément, ces mêmes responsables ont décidé de doubler le nombre d’experts… et l’on sait que l’expert est le plus souvent celui qui exporte son savoir (contre une forte rémunération), bien loin des solutions locales.
Le second travers est le taux de retour. Ce point devrait rassurer Madame Knafo. Depuis qu’elle existe, l’aide revient en grande partie dans les caisses du donateur, celles de ses banques et de ses entreprises. Déjà, en 1970, le secrétaire d’État à la Coopération constatait : « Les études les plus sérieuses estiment que 80 % des sommes affectées à l’aide au Tiers monde reviennent dans le pays donateur sous forme de salaires, de commandes passées à ses entreprises, de réinvestissements d’économies personnelles et de bénéfices d’entreprises ». Ce chiffre a été confirmé par la suite à plusieurs reprises. Je me souviens même avoir entendu que le taux de retour de l’aide française au Programme des Nations unies pour le développement s’élevait à 300 %, sous forme d’achat d’équipement et de contrats de consultants.
Lors de l’anniversaire d’Expertise France, le 12 février dernier, le secrétaire d’État à la Francophonie et aux Partenariats internationaux, Thani Mohamed-Soilihi, a déclaré : « Nous avons le devoir collectif de convaincre l’opinion publique de l’utilité de nos investissements solidaires [nouveau nom de l’aide] et de leurs retours sur investissement ». Sachez, Monsieur le ministre – et vous aussi, a fortiori, Madame Knafo -, qu’une partie de l’opinion publique n’envisage pas forcément l’aide à travers son retour sur investissement.
Philippe Marchesin, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de La politique française de coopération. Je t’aide, moi non plus, Paris, L’Harmattan, 2021.