L’ORGUEIL AU TEMPS DU CHOLERA OU REFLEXIONS D’UN CONFINE OU FINI ?
Je ne suis un soutien inconditionnel de personne ni d’aucune doctrine. Pour ce qui est des personnes tous et toutes ont leurs faiblesses, leurs défauts, leurs côtés sombres. Je peux avoir un grand respect et même une certaine admiration pour des talents et qualités intellectuelles, artistiques, de savoir-faire. Je garde cependant une réserve, un esprit critique sans ignorer la distance qui me sépare de ceux et celles que l’actualité ou l’histoire des arts, des lettres ou des sciences nous ont décrit comme des maîtres de leur discipline (certains en ont même plusieurs) voire comme des génies. Et si certains maîtres ou génies antérieurs à notre époque, communicante à l’excès, ont souvent vu leur renommée cantonnée à la ville ou à la région où ils vivaient, au mieux aux villes ou aux cours qu’ils ont visitées, aujourd’hui difficile d’ignorer ce qui est présenté comme une prouesse dès lors que cela fait plus de 100 000 vues sur YT, followers sur Gazouillis ou Insta, ou amis sur le traquenard de Zuckerberg. Et certains de ces maîtres ou génies d’aujourd’hui, vrais ou autoproclamés, ont bien compris l’usage qui peut être fait des réseaux sociaux pour tenter de se construire une gloire éphémère sans compter tous les blogueurs ou commentateurs d’articles de presse que l’on peut classer dans les ‘’jesétouts’’, eux-mêmes subdivisés en ‘’yakas’’, ‘’faukons’’, ‘’fallés’’ et même ‘’faudras’’.
Depuis quelques semaines l’un de ces maîtres dans sa discipline suscite une de ces polémiques qui n’en finissent pas de remplir les colonnes des supports médiatiques de tous genres. La devinette est aisée, il s’agit bien du Professeur Didier Raoult. Qu’il soit un maître dans sa discipline peu le discutent et je ne suis bien sûr pas de ceux-là, la cause est entendue et la question n’est pas là. La polémique partage la population tant de ceux qui ont des connaissances dans son domaine que de ceux qui n’en ont que peu voire pas du tout entre les pro et les anti. Dans la réserve, l’esprit critique et la distance que je m’efforce de garder je ne me situe ni dans un camp, ni dans l’autre et je trouve que de bons arguments sont présents dans les plaidoyers ou les réquisitoires des uns et des autres.
Une évidence, me semble t-il, tout d’abord : compte tenu de la ruse de l’ennemi, de la variabilité des conséquences de ses attaques entre la guérison y compris des supposés plus fragiles, le décès en quelques jours de supposés mieux armés et la guérison spontanée sans traitement spécifique de la majorité, prouver quelque chose en la matière est extrêmement ardu a fortiori en quelques jours. Et il faudrait ajouter pour faire bon poids que certains résultats des tests tant réclamés ajoutent à l’incertitude notamment quand un positif se négative en 24 heures ou quand la quantification approximative que peut donner la technique de RT-PCR (en partie sans doute à cause de la qualité du prélèvement)joue les montagnes russes dans le même délai.
Je suis donc d’accord avec la proposition ainsi résumée : en l’absence de médication qui a fait la preuve indubitable de son efficacité j’administre sous contrôle médical, en surveillant les effets secondaires néfastes qui pour rares n’en sont pas moins parfois graves, un médicament dont on peut penser ou espérer, sans négliger l’effet placebo si le malade est conscient, qu’il améliorera l’état du patient qui sans cela (mais qui le sait ?) pourrait décéder.
Et je suis tout autant d’accord avec ceux qui affirment que les essais effectués par D. Raoult ont en tant que preuve scientifique de l’efficacité de l’hydroxychloroquine seule ou associée à l’azythromicyne une valeur proche de zéro.
Nous, le corps médical en première ligne bien sûr, sommes donc face à une situation quasi intenable face à une maladie aux profils tellement variés avec une population, là encore corps des soignants en première ligne, qui
prend peur à l’énoncé quotidien du nombre de décès et sans vraie solution fiable à proposer aux malades (quand on les connaît !). Une situation de ce type est très délicate à gérer dans l’absolu. Certains éléments extérieurs la rendent encore plus complexe. J’étais et redeviendrai sans doute très critique des orientations économiques et sociales prises par le gouvernement d’Emmanuel Macron. J’ai mis mes critiques sur STOP parce que comme je viens d’en exposer une des raisons cette période est complexe et que je suis persuadé qu’aucun des donneurs de leçons qui sévissaient jusqu’à hier au comptoir du Café du Commerce n’a LA solution miracle pour nous sortir de ce guêpier et donc que l’humilité et une relative bienveillance sont de mise en ces temps troublés et enfin qu’il me paraît contre-productif de semer la discorde quand la cohésion est nécessaire.
Mais j’en reviens à mon propos liminaire sur les maîtres et génies et la communication excessive de certains. D. Raoult me semble en être une bonne illustration. Parmi les faiblesses ou les défauts des grands esprits l’orgueil que l’on peut comprendre et admettre dans une certaine mesure a une place de choix. Etre bon et reconnu dans la discipline que l’on pratique peut si l’on n’y prend garde conduire à une estimation excessive de sa propre valeur, estimation excessive qui peut mener selon une définition de l’hubris à des outrances dans le comportement inspirées par l’orgueil. N’a-t-on pas assisté, déférence gardée envers sa valeur intrinsèque, de la part de D. Raoult à une saillie hubristique lorsqu’il s’est dressé seul contre tous en affirmant urbi et orbi qu’il détenait dans son institut à Marseille LA solution thérapeutique qui allait guérir du COVID-19 et qu’un éventuel manque de foi dans son ordonnance ne pouvait relever que du mépris dans lequel le tiennent les mandarins parisiens aux ordres si ce n’est vendus aux Big Pharma. Ce débat, ou plutôt cette quasi absence de débat, aurait pu et dû rester ‘’confiné’’ dans le milieu hospitalier et de la recherche médicale. D. Raoult, dans quel autre souci que de se faire une publicité facile dont il n’avait d’ailleurs pas besoin, l’a rendu public et a ce faisant semé le trouble et la discorde dans un contexte qui aurait largement pu s’en passer. Il est de ce fait en partie responsable d’une partie du malaise et de la défiance qui règnent aujourd’hui. Si ne pas soigner en employant au mieux ses connaissances est une faute d’éthique pour un médecin, mêler, pour faire pression sur les politiques et ses confrères médecins, le citoyen lambda à un débat dans lequel il n’a aucun moyen ni d’arbitrer, ni de se forger une opinion fondée est une faute d’éthique au moins aussi grande.
Philippe Massip
3 avril 2020
Billet de blog 7 avril 2020
L'orgueil au temps du choléra
La communication du Pr. Raoult autour de ses essais a mis sur la place publique un débat qui divise. Cette communication procède à mon sens de ressorts qui ne sont pas que scientifiques. Elle génère une polémique et des débats dont notre pays aurait pu se passer.
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