Il y a bien des mois que se prépare le crash démocratique qui s’annonce : la possibilité de voir Marine Le Pen accéder à la présidence de la République. Loin de la situation de 2017, où Emmanuel Macron pouvait se présenter comme le rempart démocratique face à la candidate d’extrême droite, celle de 2022 accumule les éléments qui peuvent mener à la victoire de cette dernière : le rejet de Macron et de sa politique est extrêmement étendu – tout le monde sauf LRM, en fait – et les dernières élections municipales ont montré à quel point l’influence de son parti est devenue faible dans le pays, même s’il est en tête à l’issue de ce premier tour.
Une frange non négligeable de l’électorat populaire ou n’ira pas voter Macron au 2e tour, ou même votera Le Pen pour sanctionner Macron, lui qui a mené avec constance une politique clairement ressentie comme antipopulaire et qu’il promet de continuer. De plus, les votes qui se sont portés sur Mélenchon ont exprimé clairement leur espoir de retrouver une force capable de s’opposer à cette politique, et la frustration d’être passés si près d’un second tour si radicalement différent démobilise évidemment ses électeurs.
« Exprimer sa colère »
Alors le choix électoral, pour ce deuxième tour, est donc : Ne pas voter, ou voter blanc ou nul, ce qui revient au même électoralement, sur le mode « c’est blanc bonnet et bonnet blanc » ou « ne pas choisir entre la peste et le choléra » ; voter Le Pen, pour « exprimer sa colère » et/ou par adhésion à ses propositions xénophobes ; ou voter Macron, par adhésion à sa politique ou pour faire barrage à Le Pen.
Ces mots s’adressent à tout ceux qui se retrouvent sur la position « voter Le Pen pour exprimer sa colère », mais plus encore à ceux qui disent ou approuvent la position « pas une voix pour Le Pen » sans appeler à voter Macron.
D’abord, rappeler que le programme de Le Pen est d’attaquer frontalement certains « acquis » : être un salarié, un travailleur, un chômeur, une femme et voter Le Pen, c’est voter contre soi. Rappeler aussi que le ciment du parti de Le Pen est un racisme obsessionnel, qui veut faire des étrangers les responsables de tous les maux et de la discrimination à leur encontre la solution de tous les problèmes ; qu’on aura, si elle est élue, une explosion de violence raciste, de la part de groupes qui n’attendent que ça – y compris dans la police. Rappeler enfin que l’objectif de toute extrême droite arrivée au pouvoir est d’empêcher tout retour en arrière.
On peut aller chercher les exemples dans l’histoire du XXe siècle, mais aussi dans les situations contemporaines de Pologne et de Hongrie, voire des USA de Trump ou, à l’extrême, de la Russie de Poutine. Faire taire les voix d’opposition, piper le jeu démocratique, tenir l’opinion par la propagande et la menace, voilà des recettes éprouvées pour en finir sans le dire avec la démocratie.
Mais on peut bien sûr dire que Macron est un pompier pyromane. Pendant cinq ans il nous a servi un discours raciste mal déguisé sous-tendant les mesures « anti-séparatisme », des niaiseries tendancieuses sur l’islamogauchisme, des mesures anti-réfugiés comme la remise en cause de l’AME, des remises en cause du droit démocratique de manifester par les arrestations arbitraires, des violences policières comme outil banalisé pour empêcher l’expression du mécontentement.
Compter sur les autres pour éviter l’élection de Marine Le Pen ?
Tout cela rapproche la politique de Macron des critères de l’extrême droite, et n’a fait que légitimer le discours de celle-ci. La mise en avant de Darmanin, censé damner le pion à Le Pen sur son terrain, va dans le même sens – et la droite classique n’a fait que surenchérir. Cela, et sa politique antisociale, et le fait qu’on se retrouve de nouveau, comme en 2002 et en 2017, à évoquer de devoir voter pour un politicien dont on connaît d’expérience la capacité de nuisance, ne donne certes pas l’envie d’aller lui prêter main forte avec son bulletin de vote.
Mais s’abstenir ou voter blanc ou nul ? Quand l’héritière de Pétain est aux portes du pouvoir ? Est-ce tenable, qu’on ait voté Mélenchon, Jadot, Hidalgo, Poutou, Arthaud ? Compter sur les autres pour éviter l’élection de Marine Le Pen ? Laisser la cécité et l’irresponsabilité conduire au désastre ?
Non, ce n’est pas le moment de faire semblant de croire que cela ne change rien de s’abstenir, ou de penser que l’avenir se jouera ailleurs que dans les urnes. La 5e République est une arme de guerre contre la démocratie, contre la majorité de la population, la classe sociale des salariés. Elle donne à une caste coupée depuis longtemps du peuple (mais par contre associée par de nombreux liens aux plus gros capitalistes du pays) les outils de sa domination, et remplace le débat d’idées par une course de chevaux.
Il est temps d’en finir avec cette constitution, et, que ce soit par les prochaines législatives ou plus probablement par les luttes sociales, la résistance face aux politiques antisociales doit maintenant s’associer à la lutte pour la transformation radicale de l’organisation démocratique. En conclusion, puisque nous n’avons pas réussi à empêcher le choix véreux Macron-Le Pen, éliminer Le Pen en votant Macron, puis éliminer Macron et le système qu’il représente par tous les moyens, des élections aux luttes sociales.
Tout autre choix risque de mettre Le Pen aux commandes, et nous serons comptables devant l’Histoire d’avoir été, ou non, ceux qui ont permis à l’extrême droite de prendre le pouvoir en France, et plus immédiatement, de voir revenir dans le pays le temps terrible des ratonnades et des discriminations systématisées.
Philippe MICHAUD
PS 1 : Rappel élémentaire : s’abstenir, voter blanc ou nul, modifie le dénominateur, qui est le même pour les deux candidats. Seul compte le numérateur, le nombre de bulletins exprimés sur un nom.
PS 2 : Les sondages donnent Macron à 55 % des voix ? Vous confieriez votre avenir à la capacité de prédiction des instituts de sondage ?