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Billet de blog 2 janvier 2019

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Rodrigue Benalla et Alexandre Chimène

Visiblement, Alexandre tutoie Emmanuel, et il ne comprend pas tout de ses déboires. Aurait-il oublié que Macron ne pouvait pas s'embarrasser de Benalla ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

"Va, je ne te hais point", les propos d’Alexandre Benalla dans l’interview accordée à Médiapart renvoient à une drôle de litote, qui semble situer son cas en ces territoires incertains où la vie publique, purement structurelle, confine avec la vie personnelle de ceux qui sont en charge de l'incarner.

À le lire, Alexandre Benalla est à cet égard très explicite. Il reconnaît qu'il n'a pas de fonction administrative exactement définie, mais plutôt un rôle. Les yeux et les oreilles que le Président ne peut pas laisser traîner dans "les coinstots bizarres", sinon de la République, mais pour le moins de sa propre cour. Pourquoi ne pas le croire ?

Il n'est pas du sérail, il le sait et surtout, le comprend et le revendique. Il ne fait pas l'erreur de croire en faire partie en franchissant les portes de l'Elysée. Au contraire, il en joue et ce sera son atout : électron libre au milieu des peigne-culs. Son intelligence n'est pas celle que l'on valide à l’ENA, mais ça ne fait pas de lui un imbécile. Emmanuel Macron, qui lui non plus n'est pas un imbécile, a probablement senti le parti qu'il pouvait tirer de ce personnage qui lui était tout entier dévoué, du corps jusques à l'âme, pour en faire son rémora dans l'aquarium des requins. Assez sage pour ne pas devenir la petite gouape avec laquelle on pourrait le confondre, mais assez frappe pour ne pas se laisser impressionner par les caves encravatés qui hantent les ors, il avait le profil pour rester sur un seuil convenable entre un besoin de basse besogne et l'impératif des convenances à respecter.

Bref : entre lui et le Président, c'était "une histoire de feeling", comme il dit. Une relation purement interpersonnelle à la charnière de la grande machinerie d'Etat.

Toutefois, Alexandre Benalla ne va pas résister aux lumières. Il va choir dans les ornières qu'il était censé signaler à son mentor. Là où certains vont trimballer leur fatuité dans des endroits "à cent euros le repas sans le vin", lui, qui a laissé ses études aux portes d'une salle de muscu, va prendre à son tour la grosse tête. C'est juste une question de langage et de report social, mais sur le fond, l'arrogance est la même.

Certains, on l'a vu, feraient venir des cireurs a l'Elysee et il est là pour conjurer ce genre de dérives. Mais hélas lui aussi cédé aux sirènes des petites talonnettes qui font les grands égos, Il joue de son bagout et fait briller ses cartes de visite pour guigner à son tour la prébende : un port d'arme, la bagnole de Starsky, le gyro, le "diplo"... Il a l'oreille du "patron" et c'est bien tout ce qui finit par compter, car pour ce qui est du regard, il s'aveugle. Et il trébuche en un endroit où son déterminisme le conduit : la rue où, avec une matraque en guise de hochet, il va exercer l'idée du pouvoir qu'il se prête. Un peu comme ces élus ruraux d'avant les radars, qui collaient ostensiblement leur cocarde au pare-brise pour s'affranchir des limitations de vitesse et impressionner les gendarmes vétilleux. Il eut été de la caste, il aurait peut-être poncé son cv pour ébarber quelque conflit d'intérêt , ou limé à coup d'oublis maladroits sa déclaration de patrimoine. Mais non. Il a fait l'erreur de croire que le simple fait d'être le super majordome du couple présidentiel valait carte d’immunité.

Il est à craindre qu'Alexandre Benalla ait oublié qu'entre lui et Lui, il y avait malheureusement quelques règles et, aussi et surtout, un système fait par des hommes qui, depuis le premier jour piaffent de l'exclure. Il n'est pas du sérail, et c'est une partie de sa faute : outre ses délits présumés et son arrogance de Raspoutine un peu précoce, il va aussi devoir avaler ses origines. Icare au petit pied, il risque de découvrir qu'admirer Clint Eastwood et l'abnégation du body guard Horrigan dans « La ligne de mire », ne suffit pas à une vie rêvée dans le monde de la haute administration où le corps physique et la personne de celui qui l’habite ne sont pas des considérations. L’ordre public et la continuité appartiennent à une intemporalité où les affects n’ont pas leur place.

De fait, le message qu'Alexandre Benalla délivre à Emmanuel Macron par le biais de cet article a quelque chose d'un peu pathétique, où l’on voit Rodrigue jouant soudain les Chimène à qui on aurait confisqué l’oreillette, comme ces vigiles de supermarché incités au zèle mais licenciés au premier client qui ose se plaindre.  Alexandre, visiblement, tutoie Emmanuel, à cet égard sans doute bien des choses pouvaient lui être pardonnées. Cependant il oublie qu’il est maintenant Benalla, et que c’est de Macron qu’il s’agit désormais. Son « je ne te hais point » a les accents pathétiques du dépit amoureux, tel un Planchet qui aurait oublié que la dilection du Maître a des raisons que la Raison d'Etat ne connaît pas.

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