Laïcité, partialité, irrationalité ! Un tissu de connerie !
Pour un journal qui se targue de promouvoir la démocratie, la participation, la radicalité démocratique, il y a quelques sujets sur lesquels il me semble acquis que le politiquement correct éditorial soit en contradiction avec ces principes.
J’ai beau me contorsionner dans tous les sens, je ne me retrouve pas dans certains partis pris assenés avec la régularité d’un coucou suisse. Cette insistance à vouloir imposer l’acceptation d’un certain irrationnel par souci peut être de résilience d’une culpabilité coloniale ou au nom de la défense des minorités, que sais-je,me trouble profondément. Certes, l’objectif est louable mais il me pose deux problèmes. Le premier est que je ne me sens pas coupable des crimes perpétrés par certains de nos ancêtres pour la simple raison que je n’en suis pas nostalgique et que je l’ai systématiquement combattu dans son principe ma vie durant. Le second concerne la défense des minorités qui ne m’interdit pas la distance critique les concernants quand cela s’impose dans une remise en question de nos libertés. Ce n’est pas faire preuve de racisme que de dire que l’excision n’est pas acceptable comme il n’est pas plus discriminatoire que certains comportements sont en contradiction avec la liberté sans fard et oserais-je le dire sans le voile de bons sentiments obséquieux envers un pouvoir religieux qui entend investir le champ du politique car c’est bien de cela dont il est question.
Comment interpréter le paradoxe qui semble échapper à Stéphane Allies qui dénonce d’un côté une gauche identitaire sur ce simple qualificatif en défendant le droit à l’identité des minorités. Quel est son problème exactement, le mot gauche ou le mot identitaire ? Si c’est le second, soit, nous serons donc d’accord mais pas à sens unique car c’est là qu’intervient mon malaise. Dans le poids deux mesures qu’impose cette approche.
Comment interpréter l’effet de répétition sur le thème, qui tel un marteau, enfonce le clou toujours un peu plus dans nos cerveaux récalcitrants. Pour bon nombre d’entre nous qui ne cessons de refuser l’injonction de se ranger d’un côté ou de l’autre d’une ligne de démarcation arbitraire, cela ressemble à un chantage bien malhonnête ou en tous cas indigeste.
Loin de moi de vouloir interdire la religion, pas plus l’Islam qu’une autre car je comprends et encourage même la spiritualité indispensable à nos vies comme l’air, l’eau et la nourriture mais celle-ci ne doit en aucune manière être régentée, embrigadée et circonscrite par ceux qui s’arrogent le droit d’en faire leur monopole. Encore moins leur accorder le droit de peser sur nos interdits et nos devoirs. Qui peut prétendre déclarer au nom d’un dieu hypothétique sur la simple parole de mortels que leur vérité est universelle et indiscutable ?
Voilà pourquoi malgré vos injonctions, vous n’aurez pas gain de cause. Les grecs nous ont enseigné grâce aux philosophes stoïciens que les dieux ne pouvaient intervenir dans le monde des vivants qu’à partir de leur appartenance à ce monde naturel. Le courant naturaliste qui émergea alors donna naissance à la science moderne qui reste pour le moment la seule explication valable aux phénomènes de ce monde même si celle-ci reste incomplète, je le reconnais. Le reste n’est que croyance et donc irrationnel par essence.
Si j’en juge par l’affirmation d’un créateur omniscient et omniprésent, le fait même d’aller prier dans un lieu de culte ne procède pas à mes yeux d’un dialogue entre lui et son fidèle mais d’un geste qui définit son appartenance à un groupe ou à une communauté. Une déclaration d’allégeance communautaire et identitaire. Il s’agit donc bien de politique inféodée plutôt que de spiritualité. Le croyant est en dialogue constant où qu’il se trouve et cela ne concerne que lui et son créateur, nul besoin d’ostentation. Alors, pourquoi une revendication identitaire serait plus légitime qu’une autre ?
Afficher son appartenance religieuse n’est donc qu’une déclaration de sécession d’une minorité avec la communauté nationale compte tenu du caractère indivisible de la république. Qui porte le Hijab ou la barbe coranique me déclare qu’il n’est pas de ma communauté puisque non musulman et pour moi qui défend une vision universelle de l’humanité héritée des philosophies des lumières, fondatrices de nos institutions, je le perçois comme un refus catégorique à cette notion républicaine. Le danger est grand d’une crispation à cet égard et commence déjà à se manifester dans ces appels aux luttes identitaires et si demain, par même raisonnement que celui qui impose l’islam communautaire et identitaire comme force politique, les croix fleurissent sur les poitrines des chrétiens, nous n’aurons plus beaucoup à parcourir pour voir renaitre les croisades d’un autre temps.
De tous temps le temporel et l’intemporel se sont disputé le pouvoir. Dès l’antiquité, Paris, alors appelé Lutèce, avait dédié l’est de la cité au temple d’Apollon pour réserver l’ouest à la gouvernance des hommes. Ensuite, la même séparation entre Notre Dame et le parlement. Notre histoire regorge des luttes de l’un contre l’autre dont les victimes, innombrables, jalonnent les plus terribles récits de notre cheminement jusqu’à la loi sur la laïcité de 1905. Cette loi peut aussi se voir comme le traité de non-agression des uns et des autres en instaurant une neutralité réciproque et j’insiste sur ce dernier mot de réciproque. Elle permet également au non croyant d’avoir une existence légale et protégée, libérant ainsi la pensée des interdits confessionnels.
Comment dans ces conditions prendre le parti du retour obscurantiste des prêcheurs de l’intolérance sans mettre en danger la cohérence nationale ?
Pourquoi placer le projecteur sur une soit-disant discrimination qui serait faite à une seule religion qui martyrise hypocritement sa situation ? Serait-ce que l’Islam soit devenu interdit pendant que je dormais ? Au dernières nouvelles, il ne me semble pas avoir entendu parlé de tels décrets.
Est-il plus utile de dénoncer le refus du voile plutôt que de braquer ces mêmes projecteurs sur les exactions commises au nom de cet Islam politique ?
Qu’en pense Zineb El Rhaouzi qui se voit menacée massivement par des fatwas, elle qui connait cette religion bien mieux que la plupart de celles qui se pare d’un tissu dont la descence déclarée nous ramène à la pudibonderie et son cortège d’hypocrisie d’un autre temps. N’auriez-vous pas plus de courage et de noblesse à défendre cette femme que je considère trop facilement lâchée par les bien-pensants de la propagande plus haut dénoncée.
Pourquoi ne pas mettre en lumière ceux qui dans des pays où le mélange des genres fait que ces obtus de la religiosité détiennent les deux pouvoirs ? Ca aurait une autre gueule et serait sans nul doute bien plus courageux et plus utile pour tous ceux qui tentent d’arracher ces libertés qui sont les nôtres et que vous galvaudez. Je pourrais aussi faire la liste de toutes les victimes d’une religion qui refuse pour un nombre de ses fidèles de faire son aggiornamento et qui ne font pas l’objet d’une grande attention. Tout au plus quelques entrefilets quand l’avalanche d’articles et de billets nous soulignent en rouge pour notre insupportable intolérance anti communautariste.
Qu’en est-il de l’esprit Charlie qui fit fureur un temps pour finalement laisser croire que blasphémer ne serait pas acceptable ? Qu’en penseraient Charb, Cabu, Wolinski et tous ceux qui en avaient fait leur bataille et pour lesquels tant de monde est monté au créneau ?
La communauté musulmane se trompe dans cette voie qui l’entraine vers un rapport de forces inutile et c’est notre devoir de lui dire, non pas dans un esprit de rejet mais plutôt dans le souci de l’inscrire dans une destinée commune déjà si difficile à dessiner.
Il n’y a pas d’un côté les bons et de l’autre les méchants, le manichéisme n’est pas de rigueur, il y a un chemin à inventer pour trouver la convergence et celle-ci ne peut se trouver dans l’injonction de se taire à certains et le droit de définir la vérité à d’autres.